Paradoxe entre impulsivité réfrénée et calme imperturbable. Entre la douceur et les piquants de ta carapace. On a du mal à t’approcher, encore plus à t’intéresser. Fainéantise sociale, ou protection de ta vie? Peut-être des deux.

Très peu attise ta curiosité, et ceux qui le font ne s’en rendront sûrement même pas compte car désormais tu te tiens à carreau, ce qui veut dire se mêler de ses affaires. C’est un mal pour un bien, ou l’inverse qu’importe.

Ton regard aura toujours tendance à éviter celui des autres, manquerait plus qu’ils t’adressent la parole. Peut-être pour cette raison que malgré tes sorties régulières dans New York tu restes solitaire. Un baladeur solitaire et bien désagréable pour ceux qui oseraient te parler. Tu as diverses méthodes d’ailleurs pour te défaire d’un inconnu trop bavard efficacement.

Ceux qui percerait la barrière comme l’a fait Louisa seraient de toutes manières bien déçus. Tu as bien peu de sujets de conversation. L’actualité? Tu en as cure, en bon égoïste, maintenant que tu vis tranquillement. Les arts? Tu n’y connais pas grand chose de plus que ce que ton maître t’a dit, et ça te semble bien abstrait. Les rumeurs? A quoi bon?

Si bien mauvais parleur que tu es, néanmoins tu es plutôt doué de tes dix doigts. Faire à manger ou des boissons? C’est ton métier. Recoudre ou ajuster le costume de soirée de Mr Cartier? Tu as bien dû t’y coller, vu la maladresse de Louisa. La plomberie, le bricolage de surface, la peinture pour restaurer une bêtise d’un chat. Et tu ne rechignes pas à ces tâches, bien trop résigné.

La colère? Quelle colère? Celle que tu n’exprimes pas? Comme la tristesse, ou l’appel de la liberté, ou la solitude parfois. Tout ce que tu refoules. Tout ce que tu rejettes, coupé de tes émotions pour que jamais tu ne regrettes.

TIMELINE:

né le 07 septembre 2036 d’une PMA en Louisiane à la Nouvelle Orléans.
2044- 8 ans: Enlevé durant une manifestation lors d’un mouvement de foule, début du calvaire dans un trafic d’enfants qui l'amènera au Tennessee dans le nord du comté de Hamblen.
2046 -hiver- 10 ans: Vendu au laboratoire Chroma de Baltimore.
2055- 18 ans: premiers maîtres.
2057- 20 ans: meurtre et fuite en Pennsylvanie jusqu’à Mansfield où il commence des petits larcins avec d’autres jeunes en galère, mais en particulier avec un.
2058-21 ans: Ce qui semble être un tout premier ami aide avec les économies de divers larcins l’hybride à être dépucé proprement de son oreille.
2059- 22 ans: Meurtre qui fait emprisonner cet ami à sa place. Un des camarades de ce groupe se venge et le fait embarqué dans la spirale du marché noir.
2060- 23 ans: Acheté par Cartier au marché noir.


C’est le matin, et ça fait deux heures avant le soleil que tu es levé. Tu aères la pièce dans laquelle l’homme qui viendra s’asseoir dans son fauteuil devant une petite table ronde prendra son petit déjeuner. C’est une journée comme les autres, enfin presque, c’est censé être l’anniversaire de ton arrivée ici, chose qu’il t’ait égal de savoir ou non. Mais bon, les habitants de la demeure aiment bien ce genre de détails, de changement dans le quotidien. Cela fait six ans que tu vis ici, et que tu as appris à faire du café sous pleins de combinaisons différentes. Que tu sais exactement où passer un coup de rouleau pour retirer les poils de Sa Majesté, le chat de Sir Cartier. Que tu sais comment recoller la porcelaine que l'empotée de Cartier, une hybride lapin avec un prénom plein d’humour, fait tomber au moins une fois par semaine.
Contrairement à Louisa, tu ne viens pas de la jolie vitrine d’un ChromaShop, mais plutôt de la sombre arrière boutique d’un lieu dont on entend parler que lorsqu'on s’y trouve.

Ta vie t’y a amené de la pire des façons. Tu ne te souviens ni de tes parents ni de ton nom, mais tu as fini par savoir qui elles étaient et comment on te nommait avant, chose que tu ne veux plus entendre. C’était trop cruel, de savoir que tu avais toutes les chances d’une vie normale. Que d’un battement de cil tu avais disparu dans la nature et qu’on t’avait cherché jusqu’à la fin de la vie d’une de tes deux mères. Le chagrin, qu'écrivirent les proches sur les différents réseaux. Le chagrin d’avoir perdu le seul enfant d’un couple aimant. Tu n’en as aucun souvenir, tu n’arrives même pas à en être triste, que la personne qui t’ait mit au monde ne soit plus là, car cela fait trop longtemps.

Tu te rappelles de tes recherches alors que tu montes en mousse le café, une pointe de sirop d’érable, et un peu de vanille fraîche. Tu piles de la glace, car aujourd’hui Sir Cartier voudra sûrement se rafraîchir. Du lait, et la mousse du café par dessus. L’odeur est exquise, tu arrives à l’apprécier grâce à l’habitude, ou peut-être ton palais a-t-il changé depuis l’adolescence.

Ce qu’il s’est passé, le moment, l’après et le pendant, s’est volatilisé de ta conscience. L’amnésie traumatique, mettre ce mot sur là te permet de moins t’en faire, de cette absence, même si depuis tu sais que c’est une bombe à retardement qui risque de te revenir en pleine face. Tu ne sais pas quand, tu ne sais pas où, mais un minuteur cliquette dans ta tête, sans aiguille, sans cadrans, à l’image de celui dont tu te sers pour préparer certains repas.

Ce dont tu te souviens, c’est des premiers jours à Chroma, d’avoir compris avoir été vendu des années après ton enlèvement. Avec au début un soulagement de pouvoir manger, te laver, et dormir dans un endroit propre, et ensuite un désenchantement total. Des adultes autour de toi qui parlent de divers animaux. Peut-être trop coupé pendant des années, tu ne savais pas ce qu’était Chroma et à quoi t’attendre. C’est quand les injections ont commencé, -et ces moments, tu les as gardé- que ta croissance s'est accéléré au point que tes os tirent sur tes muscles, que des écailles arrivent de sous ta peau suintante et qu’une forte fièvre te prenne des semaines de conscience que tu as compris. Une autre cage, un autre enfer. La cage de son propre corps qui se déforme, qui se tord de douleur. L’enfer d’une nouvelle prison. Tu devais avoir dix ou onze ans, tu ne sais plus, et à cause de ta croissance anormale, tu ne pourrais te fier à ta taille.

Tu pensais que tu allais mourir parfois tu l’espérais, car ce monde est cruel et que la chance n’était pas de ton côté. Mais tu es en vie. Tu as été formé dans un premier temps physiquement, on t’imaginais grandir encore peut-être, et donc être utilisé comme force de frappe, mais avoir grandi si brusquement te rendait maladroit et pataud, en plus de n’être pas de très bonne volonté envers les ordres. Actant la nullité avec un fond de vérité, cela te permis peut-être d’échapper à plus de brutalité que tu n’en avais déjà subi.
C’est pour ça que tu sais faire de la cuisine, des boissons, du ménage, que tu te tiens droit et que tu as une certaine étiquette. On t’a appris à faire le majordome, finalement tu n’es pas aussi toutou auprès de son maître aujourd’hui, tu es plus, l’homme à tout faire de la maison, avec plus de temps libre qu’un vrai homme à tout faire n’aurait.


Avant d’arriver ici, tu étais avec une autre maison. Moins grande, moins démesurée, et peut-être plus vivante. Mais là-bas, tu t’es vite retrouvé face à de nouveaux abus. Interdictions sur interdictions, ta parole était tout simplement prohibée, même la simple réponse. Bien que tu ne sois pas loquace de base, la tyrannie a fini par te monter à la tête. Il fallait que ça cesse. Trop longtemps que tu subissais les volontés des autres. Alors tu as réussi à t’enfuir. Non sans laisser le paternel dans un état végétatif pour le reste de ses jours. La faute à celui qui s’intéressait un peu trop à la criminologie dans cette famille. Savoir que le simple fait de glisser une aiguille avec précision dans la nuque te débarrasserait de lui t’avait obsédé des mois durant. Tu attendais le bon moment. Une journée en voiture, garés sur une place minute, seuls à seuls. Ton but n’était pas qu’il s’en sorte, mais finalement, enfermé quelqu’un d’autre dans une cage t’aura soulagé. Aucun remord, aucun sentiment vis à vis de cet acte qui était aussi simple pour toi que de faire la vaisselle. Tu t’enfuis avec l’intention de non-retour, mais inadapté et sans réel plans, après un trajet dans l’état d’à côté de deux semaines d’errance, tu finis à moitié gelé dans une cabane au fond de bois.
La chance tourne grâce à un jeune d'à peu près ton âge. Peut-être est-ce de te voir encore plus démuni que lui qui le fera te prendre en pitié? Ou juste de l'empathie. Il te permit de connaître un nouveau goût dans cette liberté: une amitié. C'est sûrement un des rares être à t'avoir vu sourire, entendu rire, blaguer.

Grâce à lui, tu pus finir par retirer cette puce à ton oreille dans un lieu sûr, d'escroqueries en vols, de petites économies aux grosses que vous aviez depuis un petit moment. Voilà, il t'avait fait libre. Tu avais le droit de vivre sans être traqué.
L’escalade du crime par subsistance, il n'y avait pas d'emplois de toutes façons, comment l'un de vous aurait pu s'en sortir autrement? Et finalement, la violence, la protection, le sang dans une voiture volée, ton regard aussi vide et détaché que celui que tu venais d'assassiner pour sauver cet ami. Tu ne pouvais pas le laisser se faire tuer, c'était peut-être ce qui se rapprochait le plus d'une famille. Et il le prouva à nouveau. Ce n’est pas toi qui fut inculpé, cet ami avoua, impossible de cacher le corps et si on te savait hybride et dépucé, tu aurais fini encore en enfer. Ou un coup de pouce de ton petit minois et du fait que tu sois toujours courtois malgré l’encanaillement.
Ce qui te rattrapa, comme le destin, c'est cette connaissance qui savait, pour toi, et qui refusait que tu t'en sortes indemne. Elle souhaitait que tu disparaisses.
Alors, malgré ta méfiance, tu fonçais dans son piège durant une soirée. La douleur d'une piqûre dans la nuque, l'engourdissement, puis à nouveau le noir.
Ton réveil, ce fut dans dans une nouvelle sorte d'animalerie. Un ans s'y écoula sans que tu n'intéresses. Peut-être était ce ton regard sauvage, ou ton manque d'attributs animal qui rebutait les acheteurs, jusqu'à Cartier.

Un bonhomme avec une canne qui soupire péniblement quand il s'assoit, il tient son genou. Malgré l'âge et l'apparente pénibilité à se mouvoir, il reste bien entretenu, les cheveux et la moustache bien peigné comme un vieux dandy. Tu te souviens de l'excentricité de sa veste vintage verte dollars quand il s'est assit à la table pour sortir une liasse. Il était accompagné de Louisa, qui avait l'air apeurée mais gardait son air ahuri. Tu compris ce jour là que tu avais définitivement changé de région, et que tu ne reverrais jamais cet ami qui avait tant fait.

Chez lui il te donna un prénom -car jusque-là même ton ami t'appelait "mon pote", "my bro" car tu n'avais même pas cherché à être nommé-, l’intimité d’une chambre et des tâches, mais pas d’interdictions particulières. La porte de chez lui n’était pas fermée à clef. Tu pensa plusieurs fois à partir sans revenir, mais finalement tu ne savais plus où aller. Fuir t’étais devenu facile, mais tu n’en avais plus besoin, tu le comprenais au fur et à mesure que tu partais et revenais dans les allées de Brooklyn.

Tu n’avais pas tant de choses à faire, une chambre, l’accès à des occupations diverses, et parfois Cartier partageait un temps agréable avec toi et Louisa. Tu voyais bien que Louisa aussi se portait bien, n’avait pas le moins du monde l’air stressé et en besoin de fuite. Le vieil homme n’a même jamais levé la voix sur l’un d’entre vous. Parfois il vous regardait avec un air sage et attendri, quand Louisa te faisais la conversation. Peut-être avait-il pris des hybrides pour avoir des substituts d’enfants sans avoir le besoin de réellement s’en occuper comme tel? En plus de l’aide nécessaire à son grand âge. Cet ancien producteur de pièces de théâtre et de show en tout genre n’avait pas réussi à se caser malgré une évidente bonté et un grand portefeuille. Louisa et toi n’avez jamais demandé, c’était trop indiscret pour quelqu’un avec autant de manière que Cartier.

C’est pour tout ça, que tu es encore là, à lui servir son café, à déposer sur la table un plateau avec un assortiment de viennoiseries que Cartier réalise, et à rapprocher les deux autres fauteuils près de cette fenêtre. Vous vous asseyez tous les trois dans un silence serein et le vieil homme vous remercie tous les deux en appréciant les saveurs qu’il hume devant lui. Les deux commencent à échanger les banales nouvelles du jours, et tu dissocies, les doigts sur ton verre de thé glacé. Jusqu’à ce que le doyen avec son sourire communicatif s’exclame:

“Ah d’ailleurs, j’y pensais l’autre jour, mais il serait bien d’avoir un quatrième membre de cette maison ne pensez-vous pas? Le climat extérieur devient légèrement…tendu. Je pensais à quelqu’un peut-être avec de la force pour vous épauler au jardin par exemple et être là en cas d’attaque…”

Alors qu’il continue sa réflexion, tu te désintéresses légèrement de la conversation, perdu dans d’autres pensées, regardant par la baie vitrée les jasmins en fleurs et la pelouse aussi verte et tondue qu’un terrain de golf, espérant que le calme de ton quotidien ne sois jamais troublé.