Il paraît que le chien est le meilleur ami de l'homme. Quid de l'hybride ? Certains diraient peut-être que oui. D'autres - la majorité peut-être ? - que non. Pas tant ami qu'esclave. Quelle différence pour autant ? Un chien a un maître. Il est dressé. Éduqué. Alors il obéit et aime son maître. En quoi serait-ce différent d'un hybride bien dressé ? Et au final, Elio a été élevé pour être un bon chien. Longuement éduqué dans ce but, des faits rabâchés depuis l'enfance : il n'existe que pour servir, ses maîtres, les humains. Alors si son maître ordonne. Il exécute. Si on lui dit de mordre. Il mord. Si on lui dit de frapper. Il frappe. Un long conditionnement désormais plus qu'ancré dans son esprit. Et toute son existence semble régit par ce fait.

Et quelque part, un bon chien, il l'est devenu. Il est loyal et protecteur envers sa famille. Envers ceux qu'il sert. Envers les humains. Surtout, envers son maître. Il ne remet pas en question les ordres. Il s'exécute, peut-être un peu bête et discipliné, il ne pose pas de question. Réfléchir, c'est déjà désobéir. Comme un soldat. Il sert. Il protège. S'il doit donner sa vie. Alors il donnera sa vie. Parce que sa vie ne vaut rien face à une vie humaine. On le lui a suffisamment répété pour que sa petite tête l'intègre. Il a appris à ne pas toucher aux humains, tout du moins, pas s'il n'en reçoit pas l'ordre direct.

Un bon chien de garde, qui protège ses maîtres, cela ne l'empêche pas pour autant d'avoir son caractère également. Fier, il n'aime pas se faire marcher sur les pattes. Tout du moins, certainement pas lorsque ce sont d'autres hybrides. Face aux Hommes, il se tait, il écoute, il encaisse. C'est son rôle. Mais face à l'autre espèce, il a rapidement tendance à se montrer plus abrupt et impulsif à la limite de l'agressivité. Chien de garde peut-être, mais la défense passe aussi par l'attaque. Et Elio aime se battre. Faire ses preuves, montrer qu'il est fort. Peut-être un problème d'ego ? Peut-être un moyen de s'assurer de ne pas être remis en vente. Il faut être efficace. Et en ce sens, il aime la compétition. Il veut être le meilleur. Il doit être le meilleur.

Reste du passé ou nouvel instinct l'obligeant, il reste le plus souvent sur ses gardes, faisant preuve de méfiance face aux autres. Il est nerveux et est souvent agité de nombreux tics : mouvements de doigts, jambes qui tressautent, queue qui s'agite. Il aime aller courir pour essayer de canaliser cette nervosité contre laquelle il est parfois difficile de lutter. Il affectionne également tout particulièrement les sports de combats : se battre, ça défoule. Cette nervosité se retranscrit également dans un soucis de protection des ressources, à l'image des chiens à quatre pattes, il a tendance à être particulièrement possessif envers ce qu'il estime lui appartenir. Il a alors tendance à grogner sans vraiment se contrôler. Que ce soit un humain ou un hybride face à lui. Jaloux de surcroît, il a parfois bien du mal à contrôler ce sentiment qu'il abhorre, tout autant que ses grognements qui s'échappent malgré lui.

Elio est un molosse. Son rôle est d'être imposant, d'impressionner et de dissuader. Il a un aspect souvent froid et, quelque part, il essaye de l'être le plus possible. Mais l'impassibilité est difficile. S'il essaye de rester fermé, il est en réalité plutôt émotif, la colère le prend facilement, et plus encore, sa nervosité fissure bien souvent cette image qu'il aimerait rendre. Et il a peur de l'abandon, peur de se retrouver seul. Il ne supporte que très mal la solitude. Cela l'angoisse et le fait paniquer. Mais il n'aime pas le montrer. Qui aimerait d'un autre côté ? Alors il tente de faire comme si de rien n'était. Parce que les choses sont mieux ainsi. Plus simples aussi. Et sa fierté et son ego ne supportent que trop mal qu'il en soit autrement de toute façon.

Il ne parle pas beaucoup, restant silencieux la majorité du temps. Il ne rit pas non plus. Ou très rarement. Après tout, il n'est pas là pour s'amuser. Il sourit rarement également. Tout va probablement ensemble. Il préfère observer dans la plupart des cas. Ou surveiller serait peut-être un mot plus proche, plus précis. Il surveille et protège. C'est à ça qu'il sert après tout. Et s'il n'est pas des plus bavards, il semblerait qu'il aime pourtant râler. Assez souvent, seul dans son coin, contre lui-même, mais râler tout de même. Il ne s'exprime pas de la meilleure des façons non plus. Pas de la plus belle. Mais il ne fait pas vraiment d'effort pour l'améliorer. Tout du moins, il ne le fera pas si on ne lui demande pas de le faire.

2039 - Le mois d'Août est celui qui le vois naître. Famille déconstruite, famille éclatée. Fausses promesses et amours mensongères. La nouvelle de la grossesse grandit comme un secret alors que la mère craint la réponse de son amant. Secret dévoilé, voilà papa parti. A trop attendre, le retour en arrière n'est plus possible. Le mois d'Août et Elio arrive. Le mois d'Août et déjà les yeux de sa mère sont fatigués. Elle ne veut pas. Ne veut plus. Les regrets et les remords. Elle refait le monde avec des si qui ne seront jamais suffisants.

Mère trop jeune, elle ne reçoit que des reproches. Son amant l'a quitté. Ses parents y vont à coup de messes basses. Après tout, elle n'avait jamais été aussi correcte que son frère. Elle n'avait jamais été aussi maligne. Aussi douée. Elle avait toujours été un trop. Elle ne le supporte plus. Un nourrisson plus réellement désiré dans les bras, elle claque la porte et préfère disparaître. S'enterrer dans la honte. Ses propres remarques assassines lui suffisant sans avoir besoin d'y rajouter celles de ses pairs.

Le bambin prend ses premiers mois. Ses premières années. Dans les brumes d'une toute petite enfance qui finira par disparaître, il aurait pu retenir qu'il ressemblait trop à son père. Chaque regard qu'elle posait sur lui ne faisait que lui renvoyer ses échecs. Le départ de ce qu'elle avait naïvement cru être l'amour de sa vie. Son boulot de misère qui avait fini par lui filer entre les doigts. Son gamin qui prenait trop de place. Trop de temps. Trop de bruit.

2042 - Finalement elle n'en peut plus. Pourtant, pour un bambin, Elio n'est probablement pas le plus bruyant. Les cris sont davantage ceux de sa mère que les siens. Il n'est pas très grand non plus. Même pour un enfant de trois ans et des poussières. Mais tout en est trop pour elle. Les yeux bleus qu'elles voient sont ceux de son amour trahi. Ce regard qu'il fixe sur elle, est-ce qu'il la juge, lui aussi ? L'idée se plante dans son esprit.

Il ne faut pas l'arroser de beaucoup de mois pour qu'elle se mette à pousser.

Et encore moins pour qu'une solution germe enfin.

Après tout, Chroma était toujours à la recherche de personnes à acheter pour leurs laboratoires. Les choses seraient plus simples, non ? Elle retrouverait enfin sa liberté. Quant à lui ? Qu'importait. Elle n'aurait plus à supporter ses yeux clairs et ses observations silencieuses et pesantes. Et refuser une telle offre ? Dans sa situation, ce serait de la folie.

Et malgré quelques larmes enfantines, Elio quitte sa mère. Sa mère ? Rien de plus qu'une silhouette s'éloignant de lui.

2043 - Il n'avait pas fallut attendre beaucoup plus pour que le corps de l'enfant ne soit utilisé dans les laboratoires de Chroma. Il était jeune, cela permettait une meilleure couverture pour son éducation à venir. Quant au choix de l'espèce à hybridé, l'idée d'un futur chien d'attaque et de défense avait rapidement été sélectionné. La décision finale s'était arrêtée sur les gênes d'un chien robuste et puissant. Des gênes pas bien difficiles à trouver non plus. Un hybride pas bien cher à produire, loin des exotiques grands fauves ou des sauvages loups. Un chien semblait parfait.

Peu coûteux. Loyal. Protecteur. Une recette qui semblait parfaite pour en faire un bon outil.

Trop jeune lors de son arrivée dans les laboratoires de la firme, Elio n'a l'impression de n'avoir réellement connu que cela. S'il est né humain, il n'en aura aucun souvenir. Toute sa vie semble se résumer à Chroma. L'éducation de Chroma. Le martelage de crâne.

La supériorité des humains. Ses devoirs envers les humains. Ils ordonnent. Il doit obéir. Ils parlent. Il se tait.

Il n'avait pas été difficile de l'éduquer. Docile, Elio n'avait jamais posé problème. Un parfait petit hybride prêt à servir l'humanité. C'était tout comme s'il était né dans le système. Une normalité qui avait toujours été simple à accepter. Pourquoi se poser plus de questions que cela ? L'objectif est simple. En faire un bon soldat. Un bon chien.

Et finalement, c'est bien ce qu'il était devenu.

2057 - Les années passent et sa formation s'oriente de plus en plus vers l'attaque et la défense. Il est entraîné pour servir et protéger. Il avait fini par largement rattraper son souci de croissance. Loin de l'enfant chétif qu'il était à son arrivée dans les laboratoires, il avait désormais bien plus la stature que l'on pouvait attendre d'un chien de garde. Ses longues séances d'entraînements et de formations ayant finalement sculpté son corps pour le muscler.

Et à l'aube de ses dix-huit ans, il avait été intégré dans la Brigade de Traque des Déviants. Pas tant un chien de traque, il n'était pas là pour débusquer, mais pour être un bon hybride de terrain. Les Déviants étaient dangereux. Il fallait se méfier d'eux. Il fallait les faire disparaître pour enfin trouver une atmosphère de tranquillité et de sécurité dans la ville.

Il participe à plusieurs missions. Et il ne pose toujours aucune question. Il se bat. Il n'est pas mauvais. Il frappe quand il faut. Il mord, souvent. Après tout, autant se servir de la force développée de sa mâchoire. Une morsure de chien, c'est toujours douloureux après tout, n'est-ce pas. Il exécute les ordres sans jamais revenir dessus. Il a un partenaire humain. Il est son maître. Il donnerait tout pour lui. Alors il obéit. Il est heureux lorsque ce dernier l'est également.

Elio est simple. Il l'a toujours été.

Et pour lui, il pourrait mourir.

Parce que sa vie vaut plus que la sienne. Parce qu'il est son maître. Son partenaire. Son ami ? Parfois il se prend à le considérer comme tel. Ils forment un bon duo. Ils sont efficaces. Alors, oui, sans aucun doute, il pourrait mourir pour lui.

2059 - Et finalement, c'est bien ce qui manque d'arriver. Une opération plus difficile. Tombé face à plus forts ? Plus nombreux ? Mieux entraînés ? Tout simplement plus violents peut-être. Ou bien encore mûs par une volonté plus explosive, plus forte... Le résultat n'en changeait pas. Il est presque laissé pour mort après l'attaque. Blessé, qui irait se soucier du sort d'un hybride quand il y avait aussi des vies humaines en jeu ? Personne.

Et s'il en réchappe, soigné par un vétérinaire, il n'en reste pas moins qu'il est mis sur la touche. Il lui faut un certain temps pour se remettre et alors que le temps s'était doucement écoulé durant sa convalescence, son partenaire humain, cet homme qu'il estime tant, s'est vu attribuer un autre hybride pour continuer à faire son travail.

La réalisation semble plus douloureuse encore que les blessures qui lui avaient été infligées. Il avait été remplacé.

C'était son partenaire. Son maître. Son.... ami ? Il était censé n'être plus personne ? Et pour qui se prenait cet hybride qui osait le remplacer ? Une colère qu'il n'avait pas souvenir d'avoir déjà éprouvé grondait dans son être tout entier. Lui, qui n'avait jamais posé aucun problème, commençait à grogner contre certains Hommes.

Lui, qui n'avait jamais refusé aucun ordre, s'était retrouvé à refuser net de s'entraîner avec l'hybride voleur.

Et il se montrait de plus en plus possessif avec tout et n'importe quoi. Ses grognements se faisaient tant à l'encontre des autres hybrides que certains humais lorsqu'ils s'approchaient trop près de ce qu'il décidait être sien. Possessif et jaloux. Lui qui avait toujours été si discipliné, cela faisait un sacré changement.

2060 - Il n'avait pas fallut beaucoup de temps pour qu'il soit retiré de la BTD. Devoir reprendre son comportement qui ne montrait aucune amélioration semblait être une perte de temps. Elio voit ça comme l'ultime trahison. Et une nouvelle peur le saisi. S'il n'avait jamais réellement eu peur lors des opérations sur le terrain, il était terrorisé à présent.

Et s'il se retrouvait seul... ? S'il n'était plus intéressant, si les Hommes ne voulaient plus de lui ? Il ne voulait pas être seul. Il ne pouvait pas être seul.

Il expérimente pour la première fois l'animalerie. C'est différent de la Brigade de Traque. C'est plus calme ? Il n'aime pas ça. Il s'ennuie. Il ne veut pas rester là à tout jamais.

Finalement, son passif le mènera à intéresser quelques humains inquiets pour leur sécurité face à la menace des Déviants au sein de New York. Sa formation loin d'être oubliée et mû par cette crainte constante d'être abandonné, il reprend bien vite un aspect presque militaire.

Il obéit. Il écoute. Il ne pose pas de question.

2063 - Mais ses mauvaises habitudes malgré lui acquises après cette opération fatidique lui portent préjudice. Les grognements qu'il tend à émettre contre sa volonté, entre possessivité et jalousie, le mènent plus d'une fois à repasser par la case, tant haïe, de l'animalerie.

Il voudrait remonter le temps. Faire disparaître ces attitudes qui le mènent à être laissé de côté.

Il ne veut pas rester seul.