I can't remember when you hurt me so bad, but now the tables turn, apocalypse is coming I can't remember when you left me so sad, but in the end, I learned it rains in hell and angels could be bad
Il y a de ces âmes qui ont été enfermées pendant une petite éternité avant de croiser pour la première fois, le chemin de la lumière. Violente et douloureuse a-t-elle été, intimidante au point où elle a pris la forme d’une menace, peu avant que sa chaleur ne conquiert rapidement les cœurs, détruisant les premières impressions qu’elle a semé. La peur de l’inconnu s’apaise, et les égarés découvrent la signification de ce que l’on disait tout bas dans les couloirs des prisons ; “suis toujours la lumière dans l’obscurité, c’est elle qui te guidera pour toujours et à jamais” Une sorte d’idéal pour garder la tête froide, car croire en quelque chose qui guide maintient l’espoir de voir les plateaux de jeux se renverser. Aveugles ont-ils été, ces êtres cherchant leur route à tâtons dans les abysses, mais jamais ils n’ont cessé de croire, et ce même si ce monde idyllique dont ils parlaient n’était qu'un imaginaire inventé pour ne pas sombrer. Ils ignoraient ce que la Lumière était, à quoi elle pouvait ressembler, si elle existait dans une réalité sans cauchemars. Mais lorsqu’ils l’ont vu, tout de suite ils ont su.
Les âmes libérées de leurs chaînes, guidées par leurs croyances de quelque chose de supérieur, ou simplement de leurs capacités à se sauver, se sont brutalement retrouvées avec les clés de leurs destins en main. Certaines n’ont pas su le reconnaître ou l’accepter, et d’elles-même elles sont retournées là d’où elles venaient, dans cette noirceur tristement devenue réconfortante. D’autres ont serré le métal dans leurs paumes avant d’ouvrir la porte du monde, promesse de Liberté.
Elle a saisi l’opportunité d’exister pour elle-même, a refusé d’être dirigée par quelconque chimère lui soufflant au creux de l’oreille un avenir aux apparences de cauchemars ayant un goût amer. La lumière, devenue précieuse alliée, porte en elle la promesse d’un lendemain meilleur, de ce paradis qu’elle croyait n'être qu’une illusion.
Elle ne connaît pas encore les rouages de l’immensité de l’univers, ou ceux simplement de la ville. Pourtant elle ne manque pas de volonté et de cœur, Ae-Yeon. Esprit libre qui se laisse porter par la brise, c’est à ses dépends qu’elle se forge et apprend. Elle mord la poussière durement sur le macadam glacé du Bronx avant de rentrer à la maison pour se faire soigner, inquiéter Minji avant de le faire rire. Oublier et se rappeler, créer des souvenirs desquels ils sont maîtres, empêchant quiconque de les dérober. La vie est faite de couleurs éclatantes quand on perçoit les choses avec son prisme, chacune d’elle résonnant avec les petites choses du quotidien qu’elle apprécie. Ce sont des âmes bien amochées par celle qu’elle décrit comme belle qui œuvrent pour faire perdurer l’éclat de ce que reflètent le cristal. Dans l’ombre, chacune contribue à sa sécurité, veille à la préserver de la cruauté qui gangrène l’air du monde. Ses anges gardiens, ses éclats d’étoiles qui lui tiennent la main pour la faire avancer, prennent soin de vérifier qu’elle ne mette jamais les pieds dans une flaque par inadvertance.
Inconsciemment elle le sait, le sens, ne l’admet pas pour autant. Incapable de rendre ce qu’on lui donne inconditionnellement, elle ne sait pas comment s’y prendre pour devenir à son tour, le guide de quelqu’un. Ignore sans doute qu’elle rayonne déjà, porte en elle l’espoir d’un changement. C’est l’innocence à laquelle on aspire, celle qu’on protège coûte que coûte pour ne jamais la voir disparaître. Croire aux couleurs éclatantes de la vie quand celles-ci se sont ternies par les blessures et les larmes, simplement reconnaître la pensée que la tempête finira par s’éloigner.
Et quand bien même les expériences sont mauvaises, laissent derrière elles des séquelles que l’on ne pourra jamais penser, il y a toujours ces lumières qui peignent les bâtiments gris avec les couleurs de l’arc-en-ciel. Le ciel pourrait lui tomber sur la tête, la Terre pourrait s’ouvrir en deux et aspirer dans ses profondeurs l’entièreté de la vie, les choses iraient bien parce qu’ils sont à ses côtés.
Elle est de ces âmes libres que l’on ne pourra dompter, animées par le désir de vivre plus que tout. Elle portera sur son dos tous ceux qui auront besoin de croire à nouveau, abîmés par les atrocités que l’on finira par mettre de côté.
Puisque s'il fait toujours beau au-dessus des nuages, si elle était un oiseau, elle danserait sous l’orage. Elle traverserait les nuages comme le fait la lumière, écouterait sous la pluie, la symphonie des éclairs.- CHRONOLOGIE:
✦ 2042 : Naissance dans un laboratoire sud-coréen récemment ouvert
✦ 2052 : Jolie et docile, elle est rapidement vendue à une riche famille coréano-américaine qui l’emmène vivre à New-York, les Lim
✦ 2056 : Premier concours de beauté, elle est exposée et présentée pour la première fois. Commence alors une carrière de modèle dirigée par ses maîtres, univers où seul son physique est reconnu
✦ 2058 : Mort du père Lim dans un accident de voiture, ceux qui restent sombrent petit à petit, incapables de faire leur deuil
✦ 2062 : Elle est abandonnée et remise en vente dans une animalerie à l’extérieur de la ville, mais une intervention des déviants permet sa libération peu de temps après son arrivée. Elle croise la route de Saorsa qui lui fait goûter à la liberté. Déposée dans un centre Unity suite à ses blessures, elle demande à être dépucée avant de partir seule pour retrouver celui qui a ouvert les portes de sa cage dorée. Un nouveau monde s’offre à elle, l’avenir qui lui tend les bras semble douloureusement radieux pour elle ainsi que pour ses nouvelles raisons de vivre ; Saorsa, Minji et Zhen
⸻ 'Cause in my head (In my head, I do everything right) (2042) Il existe de la chaleur que l’on décrit comme étant différente des plats servis au réfectoire. Certains racontent qu’il existe une forme de lien puissant entre certaines personnes, qu’il apporterait quelque chose d’unique, un sentiment de plénitude ; celui d’être “chez soi”, d’être à la maison. Elle n’y croit pas. Ce sont des illusions, des rêves que l’on crée pour rendre les couloirs froids moins terrifiants, les lumières blanches moins agressives. Il ne peut exister un endroit autre que les murs dans lesquels ils vivent. C’est ici, leur maison. C’est ce qu’on leur a toujours dit.
L’amour que l’on décrit dans les livres ne sont que mensonges pour faire battre les cœurs, leur faire croire en une réalité qui n’est qu’une fiction. Et quand bien même il existerait, ils ne pourront jamais l’atteindre. Personne ne les aimera comme les princes dans les contes. Elle l’accepte. Le monde dans lequel elle vit n’est pas le jardin d’Eden que certains espèrent un jour trouver. Il n’y a que la vérité glacée qui les fait frissonner à chaque fois qu’ils ont le malheur d’espérer un peu trop fort. Ce monde n’est pas fait pour eux, et eux ne sont pas faits pour lui.
⸻ When you call (When you call, I'll forgive and not fight) (2052) Quitter la Corée du Sud n’est finalement qu’une étape, qu’une chose anodine dans sa vie. On la regarde avec des grands yeux, ce jour où elle quitte ces murs, marchant derrière ceux qui l’ont achetée. Elle ne se retourne pas, ne salue pas ceux avec qui elle a grandi. Pas un regard, pas une larme. Ils appartiennent déjà au passé.
[...]
Perfectionner son anglais est la première tâche qu’on lui impose. Vivre à New-York sans savoir parler n’est pas concevable. Heureusement pour elle, le père d’origine coréenne lui permet de bien s’adapter, en l’aidant à travailler la langue au quotidien. Cerveau jeune et modulable, intégrer la langue est plutôt rapide, s’implante facilement dans sa tête.
La famille Lim n’est pas aimante, mais ils ne la maltraitent ou la menacent lorsqu’elle fait un erreur. Elle est une belle décoration qu’on laisse sur le côté, des petites mains pour faire les tâches que l’on a pas envie de faire, une camarade de jeux pour le fils un peu plus âgée qu’elle. Seojun, un garçon gentil qui l’appelle souvent lorsqu’il s'ennuie. Il lui raconte ses journées à l’école, lui parle des choses qu’il apprécie, des personnes qu’il déteste. Elle l’écoute toujours avec beaucoup d’attention, se prend finalement aux histoires qui ressemblent à celles qui ont été partagées dans le centre où elle a été. Pourtant elle nie leur lien, ne veut pas voir que tout ça pourrait exister.
Mais finalement elle finit par y croire un peu, à ces fictions brodées d’argent.
⸻ Because ours are the moments I play in the dark (2056)- Ae-Yeon, que tu es belle ! Une véritable poupée de porcelaine. Oh tu seras magnifique sur la scène. Tu impressionneras tout le monde, et on s’arrachera les contrats.
D’un hochement de tête, elle acquiesce, n’ose pas contredire celle qui la nourrit tous les jours en plus de lui offrir un toit. Habillée d’une belle robe turquoise aux drapés de tulle bleu ciel, elle rayonne, ternit les visages de celles qui lui lancent des regards remplis de jalousie ou d’envie. Elle n’ose pas les rendre, même un petit sourire. Elle a peur d’être vue comme la méchante de l’histoire, celle qui ferait couler quiconque voudrait se mettre sur son chemin. Ce n’est pas elle qui a choisi d’être ici, c’est madame et monsieur Lim qui lui ont tout juste trouvé une nouvelle utilité ; de part sa beauté elle sera une nouvelle source de revenu.
C’est le grand jour, elle sera exposée pour la première fois sous les projecteurs, révélant la perle qu’elle est. Finalement, après une attente infinie on l’appelle, la jette dans le grand bain sans explications. Timidement elle s’avance, est à peine guidée par une membre du staff qui lui indique de monter sur la scène. Alors c’est ce qu’elle fait, monte les marches avec la boule au ventre, la peur de faire quelque chose de mal et de décevoir ses maîtres. Arrivée sur l’emplacement défini par une croix blanche, elle lève la tête, essaye de se calmer en regardant un point dans un coin de la salle. Le jury s’exclame, écarquillant les yeux lorsqu’ils voient son visage retransmis sur le grand écran derrière elle.
“Elle est d’une beauté époustouflante ! Elle fera un magnifique modèle photo. Les marques se l’arracheront !” dit-on lorsqu’on lui remet le trophée de la première place. Elle sourit, agite sa main pour saluer et se penche en avant pour remercier. On prend des photos du podium, et plus tard, sur cette dernière, on ne verra qu’elle. Par sa présence elle efface les deux autres, ignore complètement qu’elle a mis fin à leurs espoirs avant même qu’ils n’aient commencé.
C’est un chat que l’on trimbale un peu partout, qui enchaîne les séances photos, les longs plateaux où on la bombarde de flashs. On lui apprend à poser, à rester mignonne, aussi belle qu’elle ne l’est déjà. Un visage aux traits poupins, pur par sa peau laiteuse aux couleurs de la neige. On l’accentue lorsqu’on la maquille, et elle déteste ça. Elle se voit dans les dortoirs du centre de Chroma, malade au point de ne pas pouvoir suivre les cours. Le miroir de la salle de bain reflète le teint blanchâtre de son visage, cette couleur qui met en lumière la fatigue de son corps éreinté par le virus. Pourtant c’est comme ça qu’on la veut, alors elle écoute sagement, n’ose pas faire une remarque. Ce n’est pas elle qui décide, ce n’est pas elle qui peut dire ce qu’elle veut ou non. On ne fait que lui donner l’impression d’avoir un libre arbitre en lui proposant de choisir la tenue avec laquelle elle désire commencer la séance, en lui demandant quelle teinte de rouge elle voudrait pour son maquillage. Ce sont des couleurs similaires au point où elle comprend qu’on lui propose en fait deux exemplaires du même rouge à lèvre. On la croit bête, Ae-Yeon. Seulement bonne à obéir sans broncher, à être jolie. On exploite son apparence, ce visage que l’on dit être parfait. Plaire aux autres, s’oublier, être modulé à la guise de ceux qui veulent l’utiliser.
Mais dans ce monde de paillettes, il est là, Seojun. Il continue de lui parler de sa vie, de ce qu’il envisage de faire le jour où il commencera ses études supérieures. Il lui dit qu’il souhaiterait être médecin pour sauver des vies et aider des personnes en difficulté. Et elle, elle trouve ça beau, voudrait bien voir ce que ça fait, d’être celle qui soigne. À travers ses yeux elle se surprend à rêver, commence à croire qu’il existe bel et bien un univers où les choses sont belles. Il prend toujours le temps de lui parler pendant des heures, faire naître ces sentiments nouveaux d’émerveillement chez celle qu’il aime en secret. Il aime voir en elle quelqu’un qui découvre petit à petit une nouvelle vision de la vie, comprend qu’il existe bien plus que des simples tâches à effectuer. Il est heureux de la regarder grandir à ses côtés, de ne plus totalement être la coquille vide de sens qu’elle était lorsqu’elle est arrivée. Un jour il espère qu’elle pourra sourire de son plein gré, lui dire que finalement, ce monde n’est pas si terne.
Il souhaite égoïstement qu’elle soit toujours à ses côtés, que jamais elle lui échappe. Il voudrait la protéger, fleur fragile qui pousse sur les terres ravagées de ce “no man’s land”
⸻ We were wild and fluorescent (2058) [TW : accident de la route, mort]
Elle est dure, la nouvelle qui tombe comme une guillotine sur la tête. Elle fait rouler les espoirs dans un abîme sans lumière, détruit le peu de vie qu’il restait. Ils ont attendu des heures aux urgences, priant pour qu’il s’en sorte, le père de cette famille, le mari de madame Lim. Le responsable est un chauffard, comme il y en tous les jours. Au volant de sa voiture, appuyant comme un forcené sur la pédale d’accélération. Et forcément il ne l’a pas vu, la ligne blanche à ne pas dépasser. Lorsque les phares de croisement l’ont ébloui, leur destin était déjà scellé. Le choc frontal fut d’une violence sans nom, et tout le monde était étonné que l’un des deux conducteurs soit toujours en vie. L’autre est mort sur le coup, jamais il ne payera pour le crime qu’il venait de commettre.
Longtemps ils ont espéré qu’il s’en sorte, qu’une petite part de lui lui permette de tenir le coup, de s’accrocher à la vie. Ils priaient le ciel de leur épargner cette douleur, mais finalement, malgré les efforts des chirurgiens, il est parti. Il s’est éteint sans dire au revoir, sans avoir vu une dernière fois sa femme et son fils pour les rassurer, leur dire une dernière fois “je vous aime”
[...]
Elle pleure, la mère Lim. Elle serre son fils dans ses bras, lui briserait les os si elle en avait la force. Et lui il est vide, est incapable de lui rendre cette étreinte. Les larmes coulent, mais il ne dit rien, laisse sa mère hurler dans les couloirs de l’hôpital, sous les regards mauvais des autres patients ou accompagnants qui ne peuvent pas comprendre leur douleur.
Dans ce chaos, Ae-Yeon reste dans un coin, a peur de déranger. Elle ignore ce qu’elle ressent, si quelque chose résonne en elle. Son regard est porté sur le carrelage blanc du couloir, presque le même que celui du centre, à part le fait que celui-ci a peut-être une finition plus brillantes, sans doutes est-elle accentuée par les spots du plafond qui l’éclairent. Elle n’était pas vraiment proche du père Lim, ses relations avec lui n’étaient que cordiales. Après tout, il ne l’a jamais considéré comme sa fille, autrement qu’une simple hybride domestique dont la beauté permettait un revenu plus important. Et elle, elle n’a jamais ressenti quelque chose pour lui, ne s’est jamais demandé si un jour, leur relation serait différente. Elle ne croit pas en ces idylles qu’on lui a raconté il y a quelques années, n’a jamais cru en lui.
Quand Seojun vient la prendre dans ses bras, la surprend par son geste, elle sent le sol se dérober sous ses pieds. Sans le vouloir, il lui transmet sa douleur, et elle absorbe tout sans même s’en rendre compte. Pour la première fois de sa vie elle l’enlace, fait des mouvements circulaires de sa main dans son dos pour le rassurer à sa manière, espère qu’il se sentira plus léger quand il la lâchera. Dans ces moments-là, on lui a appris à ne jamais se retirer d’un câlin en premier, d’attendre que l’autre veuille s’éloigner pour lui rendre sa liberté. Alors elle continue de le serrer, et cette étreinte lui semble durer une éternité. Il la garde dans ses bras, pleure le père qu’on lui a arraché.
En la protégeant du monde, il se protège lui même, et elle, elle se demande si un jour elle sera capable d’aimer quelqu’un au point de sentir son cœur se déchirer en milliers de petits morceaux si on venait à le lui arracher.
⸻ Come home to my heart, but it's just a supercut of us (2062)L’orage ne s’arrête pas, il ne fait qu’empirer. Le tonnerre gronde, s’accompagne d’un ballet d’éclairs qui n’arrivent même plus à apporter un peu de lumière dans l’abîme. Ils sont au bord du gouffre, n’attendent que quelqu’un pour les pousser. Et puis, sur un coup de tête, elle décide de le vendre, ce chat qui a grandi à leurs côtés. Une dispute éclate entre elle et son fils, loin des yeux d’Ae-Yeon, et pourtant tellement proches de ses oreilles. Elle entend les insultes, les cris et l’incompréhension, s’en veut d’être source de conflit. Il refuse de la laisser partir, et pourtant elle qui rejoint la décision de sa mère, ne veut pas lutter contre sa volonté. C’est elle qui est légalement sa maîtresse, et c’est à elle qu’elle appartient. Si elle veut se séparer d’elle, alors il en sera ainsi.
Il n’a rien ajouté.
[...]
Le dernier regard de Seojun la hantera pendant deux semaines entières, la faisant douter sur tout ce qu’on lui a enseigné jusqu’ici. Les sentiments, la raison de vivre, celle de se battre tous les jours pour quelque chose ou pour quelqu’un. Elle vit dans un autre monde, un monde où elle ne peut qu’exister, n’être qu’une décoration pour qui voudra bien d’elle. Et dans les rares visites du le l’animalerie, c’est elle qu’on regarde en premier. Elle qui a atterri au bord de la route, en bordure de la ville, loin du centre, comme si on l’avait abandonnée sur les voies à grande vitesse avec l’espoir qu’elle traverse par inadvertance. Parce qu’on la croit stupide, Ae-Yeon. Assez bête pour se jeter dans les bras de la mort sans s’en rendre compte. Pourtant elle sait comment se garder en vie. On la remarque bien, on demande plusieurs fois à l’acheter, mais le vendeur n’est jamais content du prix. Il rappelle qu’elle participait à des campagnes publicitaires, qu’on la voyait un peu partout dans les magazines d’hybrides. Il ajoute qu’elle est belle, qu’elle vaut une petite fortune…Alors on l’oublie, on se penche sur un autre hybride. Les personnes qui s’arrêtent ici n’ont pas les moyens pour se permettre une telle dépense.
[...]
L’explosion qui souffle tout sur son passage enterre les corps des vivants qui perdent la vie rapidement à cause de blessures trop graves. La violence de la situation inattendue la fige, et elle ne voit pas le pan de mur qui s’écrase sur sa cheville, la brise sur l’instant. La douleur est si forte qu’elle hurle avant que celle-ci s’efface avant de la rendre muette. Mais c’est ce cri qui lui sauve la vie, attire un hybride qui se retourne dans sa direction. Il la voit et s’empresse de courir vers elle, de la prendre sur son dos sans qu’elle ne comprenne rien. Instinctivement elle confie sa vie entre ses mains, lui fait confiance pour la suite, quelle qu’elle soit. Commence alors une course effrénée dans la forêt pour fuir ce qu’elle ne connaît pas. Dans cette évasion elle n’est pas utile, est même un véritable poids pour celui qui court sans s’arrêter tout en la portant sur son dos. Il refuse de l’abandonner pour continuer sans elle, la soigne comme il peut avec ce qu’il a à disposition, lui donne de l’eau pour la faire tenir. Il la rassure même pour qu’elle puisse dormir un peu, se prive de ce sommeil pour veiller sur elle. Elle ne le connaît pas, il ne la connaît pas. Et pourtant il lui donne tout sans compter, lui offre un premier goût de liberté. En lui, elle voit la détermination de Seojun, cette envie de vaincre. Cependant il est différent, ce sauveur. Il ne l’abandonne pas, se bat pour elle pour lui permettre de vivre, sans rien lui demander en retour. Et quand finalement la course poursuite prend fin, qu’ils sont tous les deux toujours en vie malgré la difficulté de la lutte, ils se perdent. Elle le perd.
Elle reprend connaissance sur un lit, entourée d’inconnus lui indiquant qu’elle est sauvée, que sa vie n’est pas en danger. Perdue, elle demande où elle se trouve, et ce qui va lui arriver. Du repos et de la rééducation lui sont prescrites, et on lui propose de lui retirer sa puce. D’abord méfiante, elle demande finalement l’opération, se demande bien ce qui lui arrivera par la suite. Mais le désir de vivre libre l’anime, lui fait pousser des ailes. C’est une étape qu’elle finira par oublier, une douleur dont elle ne se souviendra pas.
Pendant sa convalescence elle se renseigne, enquête sur l’identité de celui qui a bien pu lui porter secours. Elle trouve sans trop de soucis son nom, lui que tout le monde semble avoir déjà croisé. Saorsa. Connu pour être un véritable con, il est un de ceux qui n’écoute pas et ne fait confiance qu’à lui-même. Elle imagine bien son caractère, et ce malgré le peu de temps qu’ils ont passé ensemble. Puis c’est avec cette simple information qu’elle part en quête de le retrouver, à peine remise sur pieds. Elle quitte le centre Unity, laisse tout de même derrière elle un petit mot de remerciements. Sa place n’est pas ici, elle le sait.
[...]
Le hasard fait bien les choses, dit-on. Mais elle ne fait pas confiance au hasard. Tout arrive pour une raison, et elle est persuadée qu’elle finira par atteindre son but. Elle provoquera le destin, et ce, qu'il le veuille ou non. Seulement, dans cette jungle de gratte-ciel, elle ne sait pas vivre, ignore comment survivre. Dans les quartiers du Bronx on la dévisage, on se demande ce qu’une hybride frêle fait ici, et on la prend rapidement pour cible. C’est comme ça qu’on forge les petits qui ne connaissent rien à la vie, qu’on leur apprend comment fonctionne le monde ; que sa cruauté n’épargne personne. Mais quand on l'agrippe par le bras, qu’on le serre si fort qu’on le marque, elle ne fait que grimacer, n’hurle même pas de douleur pour qu’on vienne la sauver. Elle fusille du regard celui qui lui fait du mal, sait pertinemment qu’elle paiera pour cet affront. Mais son corps agit sans demander à son cerveau, refuse d’obéir à ce comportement de soumission qu’on lui a appris toute sa vie. Quelque chose a changé trop tôt, lui fait croire qu’elle sait sans savoir. Aussi fort qu’elle le veuille, elle n’est pas prête à affronter les dangers, à combattre pour sa vie. Alors quand la main de l’hybride se lève, elle ferme les yeux et ses oreilles se plaquent sur son crâne tandis que son corps tremble en se préparant à l’impact. Cependant, celui-ci il n’arrive pas, et c’est une voix familière qui l’interpelle, lui fait relever la tête et ouvrir les yeux.
Elle ne rêve pas, il est bien là, Saorsa. Il est énervé, ça se sent dans la manière qu’il a de l’appeler. Pourtant, encore une fois, il la protège, l’empêche de goûter aux violences. Encore une fois il n’attend rien, ne lui demande pas un signe de reconnaissance. Elle ne peut s’empêcher de le remercier, de lui témoigner son admiration. Pas seulement pour cette fois-ci, mais pour tout ce qu’il a fait pour elle. C’est peut-être anodin pour lui, mais il ouvre les portes d’un nouvel avenir. Elle ne sait pas le dire, ignore comment lui faire comprendre, mais son cœur hurle, et elle espère que ses mirettes reflètent ce sentiment puissant. Alors elle lui demande si elle peut rester à ses côtés, se prend un refus catégorique. Sans peur elle continue d’insister, ne lui lâche pas la veste. Elle essuie les insultes, arrive à lui en balancer quelques-unes, puis elle finit par avoir une réponse positive. À l’usure ou au craquage, elle obtient finalement ce qu’elle voulait, le suit toute contente vers l’endroit où dorénavant elle logera.
[...]
La porte de la planque s’ouvre et un autre chat montre alors sa tête. Un sourire illumine le visage d’Ae-Yeon, alors qu’elle voit une nouvelle personne à connaître. Minji. Au début, elle fait de son mieux pour ne pas le déranger, se sent mal d’envahir l’espace qu’il a depuis toujours, d’imposer sa présence et de bouleverser l’alchimie déjà créée. Mais une nouvelle alors se dessine, vient compléter la précédente sans pourtant l’effacer. Petit à petit elle trouve sa place, se rapproche de Minji au point où les soirées deviennent joyeusement interminables, où les confessions fusent autour de bons petits plats après une séance soin après qu’elle se soit retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Des moments où ils profitent de la présence de Saorsa lorsqu’il revient, s’installent à table autour d’un plat composé essentiellement de viande, font disparaître le monde l’espace de quelques instants.
Puis Zhen rejoint son univers, lui fait découvrir de nouvelles choses derrière le dos du husky qui refuse toujours qu’elle fasse autre chose que de faire des missions nulles. À ses côtés elle se sent bien, invincible dans l’éventail du possible.
La vie se teinte de couleurs vives, inattendues, qu'elle n’imaginait possibles uniquement dans les rêves des autres. Le monde est beau, le monde est coloré, lui offre ce qu’il a de meilleur ; infini encore inexploré. Les fictions ne sont que pour ceux qui ne savent pas imaginer, qui ne savent pas rêver. Et quand bien même le sort s’acharne sur leurs têtes, arrache ce qu’ils ont de plus précieux, ils reviennent des enfers pour continuer à avancer, repeindre ce qui a été détruit, clamer à nouveau ce qui leur appartient.
[...]
Ae-Yeon y croit, en cette chaleur différente de celles des repas, de ce lien puissant et unique lui lie les êtres. Elle sait dorénavant qu’être à la maison n’est pas un endroit physique, mais un univers logé dans le cœur.
Elle est chez elle.
In my head, I play a supercut of us. All the magic we gave off, All the love we had and lost. And in my head the visions never stop, these ribbons wrap me up. But when I reach for you, there's just a supercut