““ In a world out of time out of space
In a prison of thorns and disgrace
I will never surrender my mind
I will follow the path back to life
Cause I'm wide awake
Oh so wide awake
I will follow the path back to life
And I'll survive ””
Beyond the black, Wide awake
Felix, Ayden, Silence, Luther. Autant de noms pour un seul corps ; une personnalité unique, construite, décrédibilisée, écrasée, maîtrisée, détournée, tuée. Une seule personnalité qui renaît mais qui doit tout réapprendre.
Un garçon autrefois heureux, prêt à tout pour ses
amis, pour l’
amusement. Prêt à tout pour l’
amour, le vrai, celui qui dure et que les mots ne peuvent exprimer. Un garçon qui n’avait pas honte de
montrer ses émotions, de dire quand il était en colère, agacé ou touché. Un étudiant qui s’intéressait naturellement à toutes les formes d’
art, parce que c’est uniquement à travers l’art que les hommes vivent réellement. Parce que c’est ce qu’on essaie de l’empêcher de faire, à la maison. On veut
contrôler sa vie. Les compromis ne lui font pas peur, il est prêt à
sacrifier une partie de sa liberté pour en assurer une autre. Mais ce n’est pas ce qu’on lui proposait.
Un garçon qui accordait de l’importance à beaucoup de choses, pas mal de détails. Peut-être un peu trop ? Beaucoup diront qu’il faisait sa crise d’adolescence, qu’il était dérangé ou qu’il était
trop sensible. D’autres diront qu’il faut être sensible pour être
artiste et qu’un dessinateur apathique n’est qu’un technicien. C’est malgré tout cette
compassion, cette… humanité? qui l’a poussé vers l’abandon.
Mais
on a toujours le choix. Et il le savait. Et il a choisi.
Chroma. Chroma, parce que même en ayant grandi avec dans la tête cette vision des hybrides inférieurs aux humains, passer un peu de temps avec eux, c'est ça qui a commencé à faire vaciller cette vérité. Jusqu’à l’hybridation ? Non, certainement pas. Les hybrides restaient
des outils, à la maison. Ce sont des humains, parce qu’il n’y a pas de différence autre que physique entre eux, mais près de lui
pour qu’il les utilise. Alors en devenir un ? Pourquoi pas, à condition de garder les
plaisirs actuels de son quotidien. Ils diront ce qu’ils voudront, c’’était une solution moins radicale que la mort. Chroma, c’était son
abandon. Et si une partie de lui espérait que sa famille vienne le sauver de cet enfer quand il est sorti des laboratoires et de ces mois de souffrance, en réalité c’aurait été un retour à zéro : il se serait retrouvé sous les ordres des mêmes tortionnaires.
Alors il préférait être envoyé en formation BTD, bien que ce ne fut pas son choix. C’est là qu’ils ont commencé à
détruire celui qu’il était. A ce moment, il a compris qu’il avait fait
une erreur, et sans aucun doute la plus grosse, mais aussi la dernière de sa vie, puisqu’il estimait que celle-ci s’était terminée à son ouverture des portes de Chroma. Alors il s’est réfugié dans l’idée que, maintenant, il n’était
plus responsable ni de ses actes, ni de ses pensées, ni de rien de tout ce qu’il deviendrait dans le futur.
Les missions dans lesquelles il a été envoyé l’ont forcé à
bloquer ses pensées parasites qui auraient pu fissurer l’assurance et le
voile d’inconscience qu’il a mis si longtemps à tisser. Pourtant c’est comme si une maille s’effilait chaque fois qu’il ôtait une vie, jusqu’à ce qu’une fois soit de trop, et alors le jour a transpercé et tout s’est effondré. Alors c’est la
culpabilité qui aide les images les plus atroces à passer par les mailles lâches de sa mémoire. Son cerveau active dans ces cas un système d’urgence qui éteint totalement ses sens intelligibles ; et son corps et ses réflexes prennent le dessus.
Autopilote, c’est exactement la faculté qu’il a obtenue par tout ça. Et comme son nom l’indique, elle s’active par elle-même, ce qui rend pas mal de situations quelque peu dangereuses : il ne supporte plus d’être
pris par surprise, les coups de feu déclenchent une
crise de panique s’ils résonnent trop proche de lui. Un col trop serré ou le contact d’écouteurs contre sa gorge lui est insupportable. Il lui est
difficile d’enfreindre un ordre, ou même de le contester : son corps réagit avant qu’il ne se rende compte de ce qu’il se passe. Il est
conditionné pour obéir, et ce conditionnement n’est pas implanté pour s’effacer si rapidement.
Si son
empathie était réduite au silence depuis des années, elle commence doucement à refaire surface, en même temps que cette
curiosité génuine et
altruiste qui le poussait autrefois naturellement à offrir un sourire ou un petit quart d’heure à ceux qui semblaient en avoir besoin.
- Chrono:
2036 : Naissance
13 déc. 2053 : Entrée chez Chroma (il finance sa propre hybridation qu'il choisit donc)
2054 : Début de formation BTD et début de sa seconde vie
2058 : Début service chien de traque (rencontre avec Rikke dont il garde un souvenir net)
Aout. 2062 : Peu de temps après sa mission avec Isak : grave accident en mission, perte de sa jambe droite au dessus du genou. Envoi en animalerie.
Sept. 2062 : Première maîtresse étudiante en médecine, pour un projet, elle développe une prothèse médicale pour un sportif (MMA, parce qu'il faut choisir un truc bien précis et tout pour sa présentation orale) de haut niveau blessé, et utilise Luther comme cobaye facile. Ses capacités de combat sont mises à profit, mais ses crises de panique récurrentes pour un rien le rendent désagréable à vivre.
Avr. 2063 : Date butoir du projet : elle le revend pour pas grand chose à un membre de sa belle-famille parce qu'elle veut vraiment s'en débarrasser. Il l'utilise comme chien de garde (dissuasion) et défouloir.
Mai 2063 : Entrée au refuge (diagnostic médical : Blessures par balles à l'épaule et au flanc x2 (côtes cassées).
Aout 2063 : Première sortie en dehors du refuge
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- décembre 2052 - 16 ans - Brooklyn:
« Hé, tu connais la différence entre un sapin et le prof de Gestion ?
- Oh misère… dis moi ? » le blagueur explose de rire avant même d’avoir donné la réponse. Il lui faut quelques secondes pour se reprendre et expliquer, la voix tremblante.
« Le sapin c’est un conifère, et Mr Stick c’est un con et on peut rien n’y faire HAHAHAHA » Ca fait tiquer son ami qui lutte pour ne pas rire, mais le lycéen aux cheveux longs s'esclaffe, main sur le ventre tellement il rit.
« Où est-ce que tu les trouves, sérieux, Felix ! »
Ils se calment tous deux à peine en entrant dans le bâtiment. Felix n’a aucune intention de réussir ses études de toute façon. Il n’a jamais voulu en faire, à vrai dire. « Bon, du coup on fait ce qu’on a dit ?
- Attends, est-ce que tu parles de la tactique pour gagner le concours de lancer de boulettes en papier mâché pendant le tp d'éco ? Ou du plan d’actions pour faire en sorte que Natalia m’accorde un peu d’attention ?
- Alors la deuxième réponse ce sera la semaine prochaine, mais je parlais de la sortie de ce soir. Tu viens chez moi, on dit qu’on a du travail mais qu’on a besoin de ta partie donc qu’on va chez toi pour bosser, et comme ça prendra forcément plus longtemps que prévu, je dors chez toi ? » Tout pour être le moins possible en présence de ses parents.
« Ah ça… ça s’arrange pas ? » Comment est-ce que ça pourrait, honnêtement ? Ils veulent qu’il hérite de l’entreprise de la famille, mais il n’en a aucune envie, ni prédisposition. Alors c’est hors de question. Mais ils lui font bien comprendre qu’il n’a pas le choix. Alors il est malheureux, mais il n’estime pas avoir le droit de le montrer, vu la qualité de vie qui fait son quotidien.
Alors il hausse les épaules et laisse Isak lui raconter à quel point Tolkien est un dieu sur Terre.
- 2053 - 17 ans - Brooklyn:
L’odeur envahit ses narines. Cette odeur singulière de graphite. Celui qui donne leur noirceur à ses doigts. Il pourrait ne jamais s’en lasser. Rester toute sa vie devant le modèle qui pose depuis des heures, à gratter le papier jusqu’à reproduire ses formes à la perfection. Mais la lumière change, il n’a pas été assez rapide. Il ne l’a jamais été, en réalité. Mais l’image est si bien gravée dans son esprit qu’il n’a plus besoin du modèle en réalité. Il rentrera chez lui le plus rapidement possible, et terminera le dessin. Il voudrait faire ça toute sa vie.
« Merci pour aujourd’hui, la séance est terminée, rendez-vous la semaine prochaine à la même heure. »
Le modèle se fait apporter une robe de chambre alors que Felix passe sa main sur son front, le teignant de crayon. Il enfourne sans cérémonie son calepin et sa trousse dans son sac et s’échappe après un signe de tête au modèle. Il faut qu’il rentre, ou l’on remarquera qu’il est en retard et les questions qu’on lui posera seront pénibles. Mentir n’a jamais été sa tasse de thé. Ni l’économie, d’ailleurs. Pourtant on voudrait qu’il soit major de promo. Comme on l’a voulu toutes les années précédentes. Mais il n’en a jamais eu ne serait-ce que l’envie. Il n’a jamais voulu sortir du peloton. Il veut être comme n’importe qui, peu lui importent les chaussures de marque et les chemises satinées. Il veut pouvoir dessiner autant qu’il l’entend, et ne pas avoir à se soucier de ce que sa famille en pensera.
« Il est 18h30. Tu as du retard, où étais-tu ?
- En cours, j’ai discuté avec mon professeur de Mathématiques…
- Bien sûr. Tu vois une fille, c’est ça ? » Oui, ça aussi… décidément, il n’a le droit de rien faire, dans cette maison. Un petit rire nerveux brise le silence alors qu’il gratte le front, remarquant alors seulement le noir sur ses doigts. C’est terminé, il est sans aucun doute repéré. Il se détourne rapidement de son père visiblement mécontent, essayant d’éviter la confrontation. L’adulte le rattrape par le bras et le tourne de force vers lui, serrant sa mâchoire dans sa paume de fer. Felix fronce les sourcils, certain de ne pas apprécier les mots qui sortiront de la bouche de l’homme, qui lui tapote le front de l’index. « On s’était mis d’accord, Felix. On était d’accord, n’est-ce pas ? » Devant le silence de l’adolescent, le père resserre sa prise sur le visage de son fils et le secoue brusquement, comme pour ramener de la raison à cet insolent. « On était d’accord pour que tu te concentres sur tes études en échange de l’autorisation d’aller aux cours de Krav Maga ! Il n’y a jamais eu de dessin dans l’accord ! »
Felix a toujours été intéressé par les deux disciplines. Le piano faisait partie intégrante de son éducation, mais l’art en général l’a toujours éveillé plus que n’importe quoi d’autre. Et le Krav Maga est d’après lui l’art martial le plus efficace. Moins un art que la capoeira, certes, mais c’est sans doute sa dangerosité et sa brutalité qui l’ont poussé à s’y intéresser, parce qu’elles ne rendent pas ni leur exécution ni leur visionnage aussi violent qu’un combat de boxe, par exemple. Tout cela est un beau mélange d’utilisation des faiblesses de l’autre et d’intimidation. C’est fascinant. Cependant pas autant que le dessin, qui lui demande bien moins d’efforts d’apprentissage.
« Alors pourquoi est-ce que tu fais ça ?
- Mais ça ne fait de mal à personne…
- Tu n’es pas allé en cours cet après-midi, n’est-ce pas ?
- Ecoute, papa, j’ai fait une erreur, je ne recommencerai pas.
- Quelle erreur ? De ne pas t’être lavé les mains en sortant ? C’est clair que c’était une grosse bêtise. Je commence à te connaître, fils. Si tu veux hériter de mon entreprise il va falloir que tu te ressaisisses ! » Sur ces mots, il lâche son visage rougi en le poussant sur le côté. L’adolescent perd l’équilibre, et redresse la tête vers son père, ses cheveux noirs cachant partiellement le dégoût dans ses yeux.
« Je n’ai jamai-
- Ne dis rien que tu pourrais regretter, Felix. D’ailleurs Lionel te suivra, dorénavant. »L’homme claque des doigts, et un hybride quitte sa place près de la porte pour approcher son maître.
« Quoi ??
- On ne dit pas ‘quoi’. Et tu as très bien entendu. Lionel ira avec toi au lycée. C’est ta dernière année, je ne peux pas te laisser tout foutre en l’air juste parce que ‘tu veux devenir artiste.’ Et ne rate pas tes entraînements. »
12 décembre 2053 - 17 ans - Brooklyn«
Je vais vraiment le faire. - Quoi ?? » C’est de la panique, qu’il sent dans sa voix. De la panique, parce que c’est la pire idée que son meilleur ami ait jamais eue. «
Impossible, Felix. Fais pas ça !-
Je ne le laisserai pas choisir ma vie. Il veut m’enchainer de toute façon, et je préfère être l’esclave du plus gros pervers de la ville plutôt que le sien.-
Mais… » Il n’y pas de machine arrière possible. Il n’y pensera plus quand il y sera. Il sait dans quoi il s’embarque, il en a une petite idée. Il considère les hybrides aussi peu que son éducation le lui a appris. Mais leur condition lui semble toujours plus enviable à celle que lui souhaite son père. Et il ne peut se séparer de lui, alors il n’y a vraiment aucun choix qu’il apprécie. «
Tu pourrais fuir ? » Où ? Il a déjà essayé, et il n’y a pas un seul endroit dans cette ville où son père ne pourrait pas le trouver. Felix fait non de la tête, un petit sourire déjà mélancolique sur le visage. Lui qui était toujours si joyeux. «
Et… Irène ?-
Je… -
... Tu l’aimes ? -
… Oui. » Oui, et ça lui brise le cœur. Elle ne voudra plus de lui après son hybridation. Il en est certain.
«
Et tu l’abandonnes ? » La pensée de rester loin d’elle, loin de ses amis, lui paraît insurmontable, mais il aura probablement autre chose à s’occuper ; alors ça le rassure, de se dire que ce n’est que maintenant, alors qu’il a le temps de douter, que l’idée lui semble mauvaise.
«
J’y vais demain. » Son ami pourrait se poser la question : aller voir la femme de sa vie ? Ou à Staten Island ? Leurs regards se croisent. Felix le fixe, et un petit sourire désolé teint son visage, avant que le garçon devant lui ne fonde en larmes. Ils ne se reverront probablement jamais. Sa décision est prise. Felix l’attire à lui pour l’enlacer et le rassurer.
«
C’est du suicide. » Oui, probablement. Mais il n’a pas les moyens de fuir, il vit dépendamment de son père. Et comme si ce n’était pas suffisant, il en est le sosie plus jeune. Son père, PDG de la plus grande, la plus connue de toutes les boîtes de pub télévisées pour Humanis.
«
Oui. » C’est aussi la solution de facilité. Et ce n’est probablement pas le bon choix, puisque jusqu’ici il n’en a pas pris beaucoup. Mais plus rien de tout ça n’aura d’importance demain midi. Il n’aura probablement même plus conscience d’avoir un jour eu le choix : c’est bien comme ça que finissent les chiens policiers, non ?«
Je t’aime, Isak.-
Je suis pas gay, mec. » Et leurs rires résonnèrent, empreints d’une tristesse qu’ils ne comprenaient pas encore complètement.
- 12 décembre 2053 - 17 ans - Brooklyn:
« T’es vraiment con, hein ! » Le rire dans sa voix déclenche un sourire sur son visage inquiet. Cette fille n’a jamais eu la moindre once d’empathie. Elle n’a jamais compris lorsqu’il ironisait sur ses émotions. Elle n’a jamais senti sa détresse quand il quittait son penthouse pour la rejoindre, au plein milieu de la nuit. Elle l’a toujours vu comme un artiste qui essaie de se donner un genre. Sans jamais comprendre qu’il était réellement mal dans sa peau. Et qu’il essayait d'annihiler la pression de sa famille sur ses épaules, et de se différencier le plus possible de son paternel. Elle n’a jamais vu les hybrides que comme des animaux, alors que lui a fait l’expérience d’hybrides particulièrement humains, surtout avec pour exemple de l’humanité quelqu’un comme son père. Il en a dessinés quelques uns, qui étaient tellement heureux qu’on s’intéressent à eux, là où il a un jour demandé à une femme dans la rue si elle avait vingt minutes devant elle et qu’elle voulait bien lui préter son visage… Il est reparti la joue endolorie et les larmes aux yeux. Les hybrides deviennent plus humains que les hommes. Pourtant il a du mal à considérer ceux qui travaillent chez lui comme autre chose que… des gens qui sont là pour lui faciliter la vie, et peu importent les leurs. C’est d’ailleurs cet aspect qui lui fait prendre cette décision. Il ne veut plus aucune responsabilité. Sa vie sera entre les mains d’un autre, et il n’aura plus aucune possibilité de fuite.
« Ouais je sais.
- J’étais pas sérieuse, couillon ! » Elle s’offusque un peu, et se retourne dans ses bras pour lui montrer son magnifique sourire. Il caresse sa joue, conscient qu’il ne pourra plus sentir la douceur de sa peau.
« Hé, ton père est pas bijoutier, toi ? » Elle roule des yeux alors qu’il sourit en coin, faussement charmeur.
« Pourquoi, encore ?
- Parce qu’il a mis tous les diamants dans tes yeux ! » Il fait un mouvement de racaille avec son bras et prend un ton de voix différent, comme s’il n’était pas celui qui prononçait ces mots. Elle se redresse, laissant le bas de son corps collé au sien.
« Comment ? Mais qui êtes-vous, et qu’avez-vous fait de Felix Newman ? » Il rit doucement, incapable de simuler l’exclaffement qui lui serait naturellement venu dans des conditions différentes. Elle baisse doucement son visage vers le sien et l’embrasse tendrement. « Ça va ?
- Oui, excuse-moi, je suis fatigué en ce moment. Mais je peux quand même t’embêter t’inquiète pas ! » Il la serre contre lui pour la chatouiller jusqu’aux pleurs. Non, il ne lui dira pas. Il préfère ne pas connaître sa réaction. Il est trop lâche pour prendre le risque de voir la déception ou le dégoût dans ses yeux.
12-13 décembre 2053 - 17 ans - BrooklynRDV devant le parc à 23h. Sois pas en retard mec.
Attends mais il est fermé le parc à cette heure là ?
J’ai dit sois pas en retard.
Mdr, tu me connais mal mon gars.
23h. Il est devant les portes du parc, à attendre Isak qui, comme à son habitude, est en retard. Il voulait sans doute lui dire au revoir une dernière fois. Et il ne peut pas lui refuser ça. Pas en sachant ce qu’il fera demain matin. Alors il l’attend, les mains serrées autour de son téléphone pour les empêcher de trembler. Il ne fait pas froid. Ou bien peut-être qu’il fait froid, mais la peur lui tient chaud. Il se mordille la joue pour empêcher ses dents de claquer. Finalement son prénom retentit au loin, et il tourne la tête pour apercevoir sous la lueur d’un réverbère, Isak qui lui fait un grand signe de la main. Il veut qu’il vienne à sa rencontre. très bien. Trois pas de course plus tard, ils sont face à face, faisant leur check à rallonge en silence.
«
Pourquoi tu te balades avec une branche ? » Felix se décale, regarde plus précisément ce que traîne son meilleur ami.
«
Ça man, c’est pas une branche. C’est un bout de tronc. » Il le redresse pour lui montrer comment il tient bien debout. Le truc est énorme, il leur arrive sous les aisselles, et faire le tour avec ses bras est impossible tellement il est large. «
Alors l’insulte pas s’il te plait, tu sais pas combien de temps j’ai mis à le découper à la hache.-
Mais pourquoi t’as ça avec toi ? » Il est un peu perdu, mais un grand sourire amusé habille son visage si sérieux ces derniers jours. Isak a toujours eu des idées farfelues, mais là, là Felix ne comprend vraiment pas ce qu’il se passe. Il n’a cependant aucune réponse de son ami, juste une demande d’aide, que l’artiste lui donne avec un rire déconfit«
On va jusqu’où comme ça ? -
Jusqu’au parc mon gars. On va faire passer ça par-dessus la barrière » Les sourcils de Felix sont levés dans un ébahissement heureux. S’il ne fait pas ce genre de débilités ce soir, il ne le fera jamais, alors c’est parti.
«
Attends on va pas y arriver comme ça. » Certes. La barrière est trop haute. Ou alors ils sont trop petits. Au moins il n’y a pas de pics en haut, ça facilitera leur propre passage. «
Tu sais quoi ? Monte sur le muret, je te le passe, et tu le fais tomber de l’autre côté.-
Ça va l'abîmer hein. -
C’est pas grave, il va falloir qu’on le gratte de toute façon. » Il ne pose pas de question, Felix, il fait ce qu’on lui demande, monte sur le muret, attrape le bas du tronc que Isak lui tend du bout de ses bras tremblants sous l’effort. Ils rient, tellement ce qu’ils font est idiot. La rue est déserte, c’est déjà ça. Finalement le tronc retombe de l’autre côté, esquintant au passage le muret de pierres blanches. Les adolescents se regardent une seconde, anxieux, avant d’éclater en fou rire, comme ce fut le cas toute leur vie. Comme si rien ne changerait jamais entre eux.
«
Voilà. » Isak balance son sac à dos qui retombe dans un grand fracas métallique à côté du rondin, et les garçons se hissent comme ils peuvent sur la peinture glissante des grilles du parc. Première étape réussie. «
Ok, suis moi.-
T’es nyctalope toi ? -
J’savais bien qu’t’étais une salo- -
Ta gueule Isak, plus personne l’a cette réf. » Ils rient encore, trébuchent sur les racines des arbres du parc, mais accordons tout de même à Isak qu’il a l’air de savoir où il va. Finalement ils déposent le rondins et s’assoient par terre pour reprendre leur souffle.
«
C’est quoi la suite, chef ? » Plus ils restent immobiles, et plus ils réfléchissent. Le but de Isak ce soir semble pourtant être d’épuiser Felix et de l’empêcher de penser à demain. Alors au travail.
«
La suite ? » Le garçon se relève et ouvre son énorme sac pour en sortir une pelle en kit, qu’il visse en trois mouvements. «
On creuse un trou pour faire tenir le tronc correctement.-
O-Okay ? » Il obtempère, attrape la pelle que son ami lui lance, et commence à creuser l’herbe, éclairé par la lumière d’un téléphone diffusée par une bouteille d’eau. Idiocracy de Sin Shake Sin tourne sur la petite enceinte de Isak. Leur musique préférée depuis des années. «
Pourquoi on fait tout ça ?-
Pose pas de question, gamin. » Sa voix est grave, comme celle d’un vieux cowboy dans un western du début du siècle. Il agite un opinel dans sa direction, une grimace tordant sa bouche dans un sourire inversé. Felix rit un peu et continue son trou, jusqu’à ce qu’enfin le tronc soit à moitié enfoncé dans la terre. «
Parfait gamin. » Sa voix est toujours distordue, empêchant Felix de le prendre au sérieux. «
Maintenant je prends le relais. » Isak taille rapidement le bois pour arracher l’écorce d’une partie du rondin.
Et alors Felix commence à comprendre. Il recule un instant, ses mains venant serrer l’arrière de son crâne alors qu’il force son corps à prendre de grandes inspirations. Ce n'est pas un parc… c'est un tombeau. Son souffle est tremblant alors qu’il revient vers son ami qui finit son œuvre en lançant d'un ton caractéristique «
Travail terminé ! » Ce qui tire à Felix un petit sourire. Leurs sessions de jeu lui manqueront.
«
Qu’est-ce qu’on écrit dessus ?, demande-t-il finalement, après avoir stabilisé l'émotion dans sa voix.
-
J’avais pensé à un truc du genre ‘Pas d’inquiétude, ma mort est aussi fragile que cette tombe.’ » Ils se regardent, perplexes, et le rire de Isak perce finalement le silence, joint par Felix. «
‘Attention, si vous retirez cette branche tombale, le cadavre en dessous reprendra vie.’-
Et après c’est mon humour qu’on critique ? » Il rit légèrement, son cœur battant trop vite pour que son amusement soit vraiment sincère, et s’assoit contre le piquet. «
Tu sais ce qu’il me faut là ? » Isak le rejoint lourdement, et change la musique, attrapant au passage son sac. Wide Awake de Beyond the Black résonne dans le parc, changeant l’atmosphère de la soirée. Felix détache ses cheveux, le froid de la nuit chatouillant sa nuque avec un peu trop de vigueur.
«
C’est de ça, que t’as besoin. » Une cigarette lui est tendue. «
Désolé il a dû se tordre quand j’ai lancé mon sac. C’est pas moi qui l’ai fait, aussi. Je sais pas rouler. » C’est un joint. Felix sourit en l’attrapant, laissant Isak l’allumer pour lui.
«
T’as qu’à écrire un truc poétique, peut-être qu’ils la laisseront s’ils trouvent que c’est assez artistique » Il tire sur le joint, et parle en recrachant la fumée. «
Un truc du genre… “In my end I find my beginning” … Ouais nan. Bah j’en sais rien. “Earth without Art is just Eh.” » Isak se marre à côté, alors Felix tourne la tête et lui passe la cigarette.
«
C’est dramatique. t’as pas une super blague à écrire plutôt ? -
Là tout de suite… Nan. Comment tu te souviendras de moi » La question est pleine d'émotions. Il ne s’en rend pas compte, mais Isak le regarde, prenant finalement une taff de la drogue entre ses doigts. Il gagne du temps.
«
Felix. Ça veut dire chanceux nan ? Heureux et chanceux ? Pourtant t’étais heureux dans ta malchance, et malheureux dans ta chance. -
Pff, ça n’a pas de sens. » Il rit un peu, se frotte les tempes. «
Est-ce que je suis chanceux de pouvoir choisir mon épitaphe ? Je sais pas, c’est tellement une prise de tête.-
Attends, tu seras vivant et mort à la fois, non ? Alors on fait une référence au chat de Schrodinger, c’est décidé. »
- 2054 - 18 ans:
« Et alors ?? Tu penses que c’est un comportement adequat pour une sous-merde comme toi ??? »
L’hybride s’aplatit un peu plus sur le sol, la queue entre les jambes. « La consigne était claire ! Je ne VEUX PAS voir ta queue aujourd’hui ! C’était simple » Le chien ne dit rien. Il sait qu’il est en tort, il sait qu’il a agi stupidement, mais l’endolorissement de son membre supplémentaire coincé dans la jambe de son pantalon, l’engourdissait tant que sa vision en était floue. Et il vaut mieux signifier qu’il est hybride et rester efficace dans sa tâche plutôt que de passer pour ce qu’il n’est plus et, en plus, être déstabilisé en cas d’urgence, non ? A priori pas. De toute façon si quelque chose s’était mal passé, c’aurait été de sa faute, n’est-ce pas ? Il aurait dû le savoir… Le petit coup de pied qu’il reçoit lui fait apprendre bien plus vite que ses réflexions personnelles. Alors il serre les dents, et son visage se crispe dans une souffrance anticipatrice, qui finalement ne vient pas. On l’attrape par le col, le redresse. Il regarde l’humain avec crainte, et c’est une simple gifle qui vient brûler sa joue.
« Qu’est-ce que c’est que cette expression ?? Ils veulent que je fasse de toi un chien de combat ?? » Il n’a jamais eu l’âme combative, préférant clairement éviter et fuir la confrontation que de risquer de se blesser ou de blesser la personne en face. Et maintenant on attend de lui qu’il tue ? « Tu sortiras pas d’ici tant que t’auras peur ! » Alors il restera longtemps, probablement. « Toi tu t’es vendu à Chroma comme une merde, tu vaux trois fois moins que les autres chiens d’ici qui sont venus là contre leur gré ! » Ses yeux tombent vers ses pieds. Il ne mérite même pas d’être considéré comme les autres. Il mérite deux fois leur traitement. « Alors tu retournes avec les autres et t’as pas intérêt à t’arrêter avant que je te l’ai personnellement signifié ! Au boulot ! » Il obtempère au pas de course, rentrant sa longue queue le long de sa jambe gauche dans une position si peu naturelle qu’immédiatement une gène se fait sentir dans le bas de son dos, qu’il essaie d’oublier, forçant son esprit à ne pas se demander quel était l’intérêt de lui faire pousser une queue si c’est pour devoir la cacher.
Mais les lubies de son instructeur ne sont ignorées de personne, alors il arrête simplement de penser, et fait ce qu’on lui demande. Son avis ne compte pas. Ses pensées ne comptent pas. Il ne compte pas. Il est mort il y a longtemps maintenant, il le sait, il l’a accepté. Pourquoi n’arrive-t-il pas à abandonner toute volonté quand il n’a pas eu de mal à abandonner son humanité ?
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2058 - 22 ans [TW : VIOLENCE, SANG]« On va te lâcher, alors t’as intérêt à revenir dès qu’on t’appelle.
- De toute façon tu sais bien ce qu’il se passe si tu nous obéis pas, hein ? » Oui, il sait. Il hoche la tête. De toute façon il n’a pas le choix. Il sait ce qu’on attend de lui. C’est sa première mission, et ils veulent qu’il fasse ses preuves. Alors son cœur accélère. Bien sûr qu’il stresse. Il ne sait même pas où ils sont. A New York, ça d’accord. Mais on n’attend pas de lui qu’il pose des questions. On ne l’appelle pas Silence pour rien. Au moins ils lui laissent la possibilité de ne pas coincer sa queue. Les deux humains proches de lui sourient, moqueurs, en voyant l’appréhension dans ses yeux. « Bah quoi, t’as peur de mourir ? Regarde les autres, ils n’en ont rien à faire, de la mort. Vous êtes là pour la semer, pas pour la subir. »
Par radio, un signal est envoyé, et tout le monde sort du véhicule en trombe. Il n’a pas d’arme à feu, parce qu’ils n’ont pas confiance en lui, alors simplement équipé d’un gilet pare-balles léger et d’un poignard, il les suit. Chasser les hybrides. « On les attrape et on les tue. » Voilà ce qu’il a dans la tête. Les fumigènes l’empêchent de voir, mais sa perception des odeurs et du bruit est ce qu’on lui a fait travailler si souvent au camp. L’aveuglement ne ralentit pas sa progression. Il entend les pas de ses camarades derrière lui : lents et lourds des humains ; rapides et enragés des hybrides. Il sent son coeur battre contre le tissu de son uniforme. Seul dans ce couloir, ce n’est pas sa propre respiration qu’il entend. Et la peur l’assaille. Qu’est-ce qu’il doit faire ? Le prénommé Ayden depuis si peu de temps s’immobilise, parfaitement silencieux dans ce couloir pas tellement embrumé. Il verra arriver celui qui se battra pour sa vie. Dans sa tête passent et repassent toutes les mécaniques différentes possibles dans toutes les situations d’agression possibles.
Et là est bien le problème.
Toutes les situations d’agression. La silhouette hybride qui arrive à toute vitesse et prend son embranchement du dédale ne le voit pas, lui fonce simplement dedans. Et la dose d’adrénaline qu’il attendait avec impatience est enfin libérée dans son cerveau, qui s’éteint totalement alors que la peur et les réflexes prennent le dessus sur sa conscience. Elle ne l’a pas attaqué. Elle n’a pas essayé d’utiliser le couteau que les mouvements appris par cœur par le chien lui font lâcher dans un fracas qui abrutit encore plus son esprit. Quelque chose bouge dans sa main, et ses yeux brillants se tournent vers le mouvement désespéré du chat pour se libérer. Alors Ayden lâche prise, laissant tomber l’animal au sol. Son visage est froid, sa tête embrumée par les fumigènes. Il fait une fixette sur les oreilles noires repliées vers l’arrière.
Elle meurt de peur.
Sa propre queue est prise de ces spasmes tellement excecrés par ses instructeurs, ceux qui témoignent de son angoisse. Pourtant la silhouette au sol recule efficacement, son regard brillant d’une terreur déchirante. Ses membres réagissent, comme l’animal entraîné qu’il est devenu.
Ainsi il se jette sur elle, bloque son petit crâne entre sa paume et le lino. Ses lèvres sont retroussées pour faire apparaître ses canines.
Menacer. Mais ça n’a aucun intérêt vu leur état à tous les deux. Sa seconde main fait aisément tourner le poignard jusqu’à être pointé vers le corps frémissant de l’hybride Le regard du chien se concentre sur la lame. Sa respiration est rapide, son cœur bat dans ses oreilles, alors il grogne, parce qu’il ne sait pas quoi faire d’autre pour se calmer ; en vain.
Ils restent là un long moment, jusqu’à ce que des coups de feu résonnent de l’autre côté du bâtiment, déclenchant une autre peur, un autre réflexe en lui, et le poignard s’enfonce lentement, trop lentement, dans le corps de l’hybride qui couine. Mais ça n’est pas suffisant. Ça n'est clairement pas assez. Ce n’est pas ça qu’on attendait de lui. Les petites mains fébriles de la femme se pressent contre sa crimace haineuse. Ce n’est pas ce qu’on attendait de lui. On n’attendait pas que son visage se teinte de culpabilité, alors il grogne encore, dégage sa mâchoire d’un mouvement de la tête. Il peut faire mieux, n’est-ce pas ? Son poignard se lève de nouveau alors que son cœur rate un battement, et il rabat son arme de toutes ses forces, les deux mains contre la garde, dans le corps du chat dont les râles de peur et de souffrance n’atteignent pas les oreilles douloureusement sifflantes du chien.
Le seul son qu’il enregistre, c’est cette simple syllabe. Cette couleur. Il ne l’entend pas sur le moment, et ne reprend contact avec la réalité que lorsque des cris lui disent d’arrêter. Mais arrêter quoi ? Il ne comprend pas. Ses canines sont toujours visibles alors qu’il redresse ce regard empli d’une rage affolée vers la source de l’ordre. Une autre hybride est face à lui.L’expression de son visage l’effraie un peu plus. Le chien se relève d’un bond, une voix bien connue lui faisant comprendre qu’il n’a pas une seconde à perdre avant de le retrouver. Alors il se tourne, s’enfuit sans réfléchir à rien, son coeur menaçant d’exploser dans sa poitrine.
Il revient vers son maître attribué qui remarque le sang sur ses vêtements et ses mains et le félicite chaleureusement. Il sera même récompensé à leur retour à la caserne. Mais ça n’a aucun sens. Rien n’a de sens. Il tient à peine debout, ses pupilles sont rétractées de terreur à tel point qu’elles disparaissent presque sous ses iris jaunis. Son arme est restée dans le corps de l’hybride inoffensive, alors on met un pistolet militaire dans entre ses doigts. La mission n’est pas terminée, ils ont toujours besoin de lui. Et il a bien fait son travail. On est fier de lui. Il peut le faire. Alors il se calme lentement, reprend ses esprits. Tout va bien se passer, et ils seront satisfaits de son travail. Il est doué. Il va y arriver.
Malgré tout, un son restera gravé dans sa mémoire. “Blue”, a-t-elle dit. Blue, le nom de celle qui le fait tomber dans cette spirale infernale de meurtres et de récompenses.
Elle ne mourut pas seule, cette nuit-là. Celui qu’il poignarda avec elle, c’est Felix. Les restants de sa personnalité et de son humanité le quittèrent en même temps qu’il acceptait d’obéir, quelles qu’en soient les conséquences.
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2062 - 26 ans - Bronx [TW : VIOLENCE, SANG]«
Je pensais que t'étais un chien de combat, ils ne t'ont pas formé correctement ? J'en doute » L'animal le regarde, sans avoir le droit de prononcer un mot. Ils étaient égaux il n'y a pas encore si longtemps que ça. Ils étaient amis. Et maintenant- «
Allez, tue le. » Il n'a pas le choix. Il le sait. Alors ses yeux tombent avec difficulté sur le déviant sous ses mains. L'une de ses jambes le fait souffrir. Mais ça ne le préoccupe pas plus que ce voile blanc sur sa vision. Perd-il connaissance ? Ou bien la reprend-t-il ?« color=#93c47d]Je n'ai pas que ça à faire. Tu n'as qu'un mouvement à exécuter, et tu le connais très bien.[/color] » Un souffle grave quitte ses lèvres alors qu'il ferme ses yeux humidifiés par la poussière ambiante.
«
Non.-
Comment ?? » Il se fera sans doute abattre pour avoir parlé. Il n'a pas été renommé Silence pour rien. Depuis son hybridation, il n'a pas dit un mot de sa propre volonté. Mais il est sûr de lui. Alors il fait passer l'hybride tremblant derrière lui, et montre les crocs. Ils lui ont fait pousser des canines protubérantes, ils devraient être contents qu’il sache les utiliser, non ? Alors il se retourne contre son brigadier, accroupi dans le sang de ses semblables.
«
Je refuse. » Il comprend à peine les mots qu'il prononce, sa voix est rauque, trop peu utilisée.
«
Silence, je t'ai déjà tiré dessus, cette fois ce ne sera pas par erreur si tu n'obéis pas. » Cet humain... Ils se connaissaient si bien...
«
Humanis nous a rendus aussi inhumains l'un que l'autre. » Une larme dessine un chemin pâle sur sa joue maculée de terre et de sang coagulé. Il se contrefiche de sa propre dignité. Mais Isak... Isak méritait mieux. Il s'en rend compte maintenant, après cinq ans de service. Après cinq ans de meurtres et de traques. Après cinq années d’une culpabilité qu’il étouffe derrière les compliments et les récompenses qu’on lui offre.
Isak le regarde comme si son monde s'effondrait. Était-il persuadé que l'adolescent qu'il avait côtoyé dans sa jeunesse avait disparu quand une queue de loup lui avait poussé ? Probablement. Pourtant il avait rejoint Humanis à la fin du lycée pour le retrouver, n'est-ce pas ? Quel lavage de cerveau leur font-ils subir, exactement ? A quel point est-il plus violent pour les hommes que pour les hybrides ?
Le déviant derrière lui bouge, et le premier réflexe du chien est de le rattraper par la cheville. Il ne pourra probablement jamais se défaire de ces réflexes, il en a conscience mais il lui est pourtant impossible de lâcher le pied qu'il serre si fort entre ses doigts que l'animal couine de douleur. Isak lève son arme vers eux, et le cœur de Silence accélère. Il va lui tirer dessus. Encore. Alors il n'a pas le choix. L'homme ne se relèverait probablement pas d'avoir tiré sur celui qu'il pense être son ami. Alors Silence se lève, malgré la douleur dans la jambe sur laquelle il ne s'appuie pourtant pas du tout. Il avance péniblement vers son brigadier à l'aide du mur, alors que le déviant clopine vers une ouverture dans le bâtiment. Silence attrape doucement le revolver à la ceinture de l'humain, son regard froid ancré dans l'inquiétude humaine face à lui. L'hybride n'a plus de volonté. Isak se trompe : Felix est mort le jour où il a commandé sa propre hybridation à Chroma. Felix n'est plus là. Cette voix est celle de Silence. Silence sait que la présence qu'il sentait les premières années, enfoui au fond de lui, n'était pas Felix. C'était à la limite le souvenir de Felix. Voilà ce qu'il se répète depuis son hybridation ; depuis neuf ans.
«
Qu'est-ce que tu fais ? » La voix de Isak est paniquée. Silence ne bronche pas. Il a une mission. Car si sa conscience a remué quelques minutes, son éclair de lucidité est passé, maintenant :
il a une mission. Et la mission est plus importante que tout le reste. Le déviant trébuche, tombe.
Le chien solidifie sa position contre le mur pour ne pas tomber à la renverse, et tire. La balle touche sa cible. Objectif atteint. Isak pleure derrière lui. Le chien ne le regarde pas en quittant le bâtiment, s'aidant du mur à chaque pas. La mission est plus importante que sa propre vie. Il mourrait pour la mission. Celui qui parle n’est pas Silence. Silence ne dit pas un mot tant qu’on ne le lui demande pas clairement. Silence s’assurera que ça ne se reproduise pas.
«
Silence ! Reviens ici ! » La voix tressaute, et c'est l'exaspération qui neutralise toute émotion sur le visage du chien qui se tourne difficilement sur un pied pour observer son responsable, à son tour accroupi dans les ruines.«
Qu'est-ce que tu as fait ? PARLE BORDEL ! » C'est un reproche. Silence ne se démonte pas. Il n'est plus lucide. La seule chose le faisant avancer maintenant est ce qui l'a mis en mouvement pendant toutes ces années : le programme incrusté dans ses gènes en même temps que l'animalité en lui. Et l’appel de la récompense.
«
Mission accomplie. » La voiture les attend. Il reportera le comportement défaillant de son brigadier en arrivant à la caserne.
Il ne s'attendait cependant pas à ce que la voiture soit à son tour prise d'assaut. Ce qu'il s'est passé ? Oh, et bien son brigadier a refusé de monter dans la voiture alors ils sont partis. Ils sont probablement passés dans la mauvaise rue, ou la bonne ,selon le point de vue. La mauvaise pour eux, et fatalement pour la jambe qu’il laissa dans l’explosion. Explosion de la voiture, et de la poubelle simplement laissée au milieu de la rue. Le Bronx est un endroit dangereux. Le chien ne garde aucun souvenir de l’accident, simplement de cette hospitalisation bien trop longue à son goût, teintée de douleur et de brutalité. Traité comme un robot qu’on doit réparer, et pas comme un blessé. Et une fois réparé, direction l’animalerie et un petit mois d’attente, assis dans sa cellule comme une poupée abîmée qui ne peut qu’attendre son propriétaire suivant pour que sa conception ait un sens. Un propriétaire probablement plein de pitié et trouvant en un jouet amputé une certaine satisfaction ? Il n’a pas eu l’occasion de se poser la question. Ni l’envie. Ni les capacités. Envier ? Ca lui était encore inconnu.Encore un long moment…
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Octobre 2062 - Manhattan«
Il va falloir qu'on te répare un peu plus vite que ça, parce que mon projet c'est pas de faire une prothèse de rééducation. T'as du progrès à faire.» Il le sait, bien sûr qu'il le sait. Sa vie a changé du tout au tout, il n'y a plus de fumée, plus de cris, plus de sang et plus de morts. Pourtant il reste une douleur, régulière et incapacitante. Elle le prend dans un membre qui n'existe plus. Comme quoi il existe des blessures qui font souffrir même après la disparition du problème. Il devrait y être habitué maintenant, mais sa maîtresse le dope à l'antidouleur pour se débarrasser de ses gémissements de douleur et l'assommer assez pour ne pas devoir gérer les crises de panique qui font vibrer son coeur et couler ses yeux. Elle le laisse dans une pièce, isolé et couché la plupart de ses journées. Il ne fait rien, suit une routine de maintient physique et un régime sportif.
S'il ne comprenait pas le sens de sa vie à la brigade, aujourd'hui il le le voit plus du tout. Il n'est qu'une machine qui teste. On ne lui demande pas d'analyser, ni de réagir, simplement de faire. Et de faire quoi ? Oh, simplement ce qu'il peut, honnêtement, car s'habituer à a avoir une prothèse métallique en guise de jambe n'est certainement pas inné. Et encore moins se battre avec. S'il croyait avoir été débarrassé de sa vie de traqueur, au final il lui reste toujours cette nécessité du combat. Comme s'il avait été conçu pour se battre. Ce qui est le cas. Felix apprenait le Krav Maga comme un loisir, ça fait partie de son être. Un être qu'il commence simplement à haïr plus encore que ce qu'il pense que Felix serait devenu en acceptant simplement son destin.
Les souvenirs d'
avant, des souvenirs qui ne semblent pas lui appartenir réellement refont surface, et il les annihile systématiquement, le laissant simplement avec un goût amer dans la bouche. La réalisation est très lente, son cerveau automatisé cherchant la plupart du temps à remplir les attentes de l'humaine qui l'utilise, et le reste à comater dans sa pièce trop éclairée. Son esprit est assez lucide pour penser ou se rappeler des choses à moitié effacées de son esprit lorsque les antidouleurs ne font plus effet, et que ces douleurs qu'il ne comprend pas le laissent en paix... En réalité, seuls quelques souvenirs essaient de percer sa conscience encore trop aveuglée par les principes de la brigade.
Il sait qu'il sera de nouveau jeté quand elle en aura fini avec lui, mais il aura probablement toujours cette vision de lui-même si semblable à celle que les humains ont : il n'est qu'un objet dont on dispose et se sépare quand on se lasse de lui ou qu'il été trop mauvais dans ses actions. C'est probablement le futur qu'il a choisi il y a longtemps, celui qui lui a permis jusqu'à aujourd'hui à refouler la culpabilité de ses actes. Mais tout cela finira un jour par s'effriter. Et ce jour-là, il espère qu'il ne sera plus là pour se voir...
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12 mai 2063 - 27 ans - Queens [TW : VIOLENCE, SANG]Le collier trop serré autour de son cou le brûle depuis 3 semaines maintenant. Le cuir le fait transpirer et les frottements irritent sa peau. Il est supposé garder la maison, étant passé de chien de chasse à chien de garde. Alors il se retrouve dehors sous un préau, habillé d'un tee-shirt en coton et du pantalon en toile qu'il avait le jour de sa vente, un mois plus tôt. Il se recroqueville, recherchant sa propre chaleur sous la pluie incessante.
Un sifflement retentit, signe qu'il doit se lever. Alors il s'assoit, s'approche du poteau de béton près de lui et se relève lentement, difficilement, privé à vie de l'un de ses appui. A mi-chemin, son regard croise une ombre rapide, et son corps réagit avant son esprit. Il saute sur l'ombre, la chaîne autour de son cou l'étranglant dans la manœuvre, mais sa main se referme sur sa proie. Quand sa lucidité perce l'horizon de ses réflexes, il comprend que ce n'était qu'un chat, dont il tient la tête écrasée contre le sol, si fort que l'animal couine de douleur, totalement immobile. Un chat noir. Des flashs lui reviennent. Les fumigènes. Le couloir. Le sang sur les murs. Et cette voix. “
Blue..?”
«
WOOOW QU'EST-CE QUE TU FAIS A MON CHAT » La voix de son maître se rapproche, mais le chien ne contrôle plus son corps. La demande de l’homme n’est pas clair, et si la vision de son premier meurtre oublié reste bien clair dans son esprit, il ne peut pas lâcher cet animal avant que l’ordre lui ait été clairement donné. Le cas de figure s'est déjà présenté : Croyant qu’on voulait qu’il lâche prise, il a retiré sa main pour laisser le déviant respirer, et une balle s’est logée dans sa cuisse, parce qu'il n'aurait pas dûr. On le lui a fait payer pendant des mois. Il voudrait, Silence, cacher ses canines et désserrer sa prise sur la pauvre créature qui n'a rien demandé. Mais la peur contrôle ses mouvements. Sa vision se voile alors qu'un coup de pied lui est envoyé dans l'estomac. Le chat ne quitte pas sa prise, roulant avec lui vers le point d'accroche de la chaîne. Un second coup lui est asséné et il voit les lèvres du gros homme se mouvoir sans percevoir de son.
Il ne comprend pas ce qu'il fait de mal, alors il se redresse à trois pattes, envoie le chat plus loin comme s'il était un pantin et s'apprête à réceptionner le coup suivant. Ses instincts prennent le dessus face à cet humain qui ressemble plus à un sanglier qu'à un homme. Sa perception du réel est changée : est-ce un hybride ? En tout cas, le chien réagit de la même manière. Il esquive maladroitement le coup et attrape la jambe à son passage, nez retroussé dans une grimace menaçante et plus animale qu'hybride, avant qu'il ne tire sur la cheville qu'il tient pour mordre le mollet comme s'il voulait l'arracher à son propriétaire.
Le cri de douleur le ramène suffisamment à lui-même pour lui permettre de voir son maître étalé sur le dos sortir son arme de poing. Il n'entend ni ne sent la première balle atteindre son épaule. Il est simplement projeté vers l'arrière et recule, toute douleur anéantie par la poussée d'adrénaline diffusée dans son corps par cette angoisse tétanisante qui fait partie de son quotidien depuis quelques mois. Il recule, jusqu'à ce que le collier l'étrangle. Il n'a pas d'échappatoire, une jambe en moins... et même s'il avait une chance de s'en sortir… Est-ce qu’il la prendrait ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser l’homme lui ôter la culpabilité de ces dix dernières années ? L'humain se relève, la jambe aussi sanglante que le visage de son hybride, arme pointée vers lui.
«
Sale clébard ! Tu crois pouvoir mordre un humain et t'en sortir aussi bien ?? » Il tire encore. Par erreur ? Peut-être, le verre brisé à leurs pieds et l'odeur de l'alcool confirment que l'homme n'était pas non plus en possession de tous ses moyens. La balle creuse le flanc du chien qui couine, sa queue prise de spasmes coincée entre les jambes. Silence essaie d'esquiver malgré la douleur qui trouble sa vision. Retenu par la chaîne, il ferme les yeux, mais la balle meurt dans le béton près de son genou. L'humain se frustre tout seul, s'approche de quelques pas en boitillant et réduit ses tremblements en ajoutant sa seconde main sur la crosse. L’hybride lève une main engourdie de douleur vers l’humain, comme un dernier appel à l’aide, une tentative de recherche de compassion, cette qualité que Felix a toujours trouvé incroyablement belle chez les hommes. Le dernier coup de feu vient se loger dans sa hanche, faisant vaciller sa conscience. Il s’effondre, l’arrière de son crâne heurte violemment le sol, et c’est pour finir le pistolet lui-même qui lui est rageusement jeté à la figure.
Il est laissé là, à moitié conscient, se vidant de son sang. Ses paupières sont à peine ouvertes, comme si les fermer demandait un effort trop important. Un couinement inconscient s’échappe de ses lèvres qu’il croyait closes. Le goût du sang le ferait vomir, s’il en avait encore la force.
Et finalement, alors que son esprit et ses pensées s'apaisent en une douce acceptation, son corps redouble de malaise. Le souffle qui quitte ses lèvres est bruyant, teinté de souffrance. Le force-t-on à continuer ? On excite ses sens. Des mots lui sont prononcés, un parfum colore son inspiration, et un visage apparaît devant ses yeux. Alors il ne laisse pas l’inconscience le gagner, trouve une force en lui, sans doute un énième instinct, puisqu’il semble que ce soit tout ce qu’il reste de celui qu’on a fait de lui. Un instinct de survie qui le fait reculer. Chaque mouvement est une torture, mais il refuse d’être approché de nouveau par un humain. Il ne peut pas mourir si un humain est prêt de lui. Et elle est là. Elle qui le regarde comme un animal blessé. Mais pour elle il n’est rien de plus, n’est-ce pas ? Un outil dont on peut disposer, un objet que l’on chérit ou que l’on casse, une arme qu’on utilise ou qu’on vend. Un animal qu’on adopte ou qu’on tue. Ses dents sont serrées de douleur mais dévoilées pour lui faire peur. Pour qu’elle s’en aille. Ne le trouve-t-elle pas déjà assez misérable ? Il ne demande qu’à mourir seul, à défaut d’être en paix. Ne peut-elle pas accepter cela ?
Pourtant il finit par la laisser approcher. Elle commence par briser la chaîne, évaluer ses blessures. Lui proposer des scénarii auxquels il ne répond pas, luttant toujours pour ne pas tomber dans cet inconscient qui l’appelle de plus en plus fort. La voix douce de la femme l’apaise, et finalement il accepte qu’elle l’emmène. Il n’est pas sûr d’avoir compris où, mais elle a gagné le peu de confiance qu’il avait à offrir. Rien de son comportement ne l’a laissé penser qu’il pouvait être en danger. Pas un seul instant. Alors il se laisse faire, se laisse soutenir jusqu’à ce qu’enfin elle estime qu’il est en sécurité. Alors seulement il se laisse aller, la regardant jusqu’à ce qu’il ne puisse plus. Tenant sa main jusqu’à ce que ses dernières forces l’abandonnent.
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Juin 2063 - 27 ans - QueensVoilà donc quatre mois qu’il dort dans une chambre d’un refuge Unity. Voilà quatre mois qu’il est en convalescence bien que ce mot n'ait pas réellement de sens, on n'est pas en convalescence d'une amputation, ou bien on n'en sort jamais. Les douleurs fantômes sont encore très présentes, mais ne l'empêcheraient pas de marcher. Le blocage est plus psychologique que physique, les béquilles pourraient l'aider, mais il les refuse.
Quatre mois que Mars, qui travaille au refuge, lui apporte un peu de joie. C’est une tête familière qu’il apprécie. Mars qui lui a prêté un ordinateur pour qu’il occupe ses longues journées d’attente. Mars qui lui fait la conversation. Mars qui répond à toutes ses questions silencieuses. Mars qui l’aide à marcher. Mars qui lui a promis de lui trouver un chez-lui quand il ira mieux. Mars qui lui a donné un prénom : Luther.
Il y a Mars, et il y a Envy, qui l’a sauvé, qui l’a soigné. Elle est la seule visite qu’il attend avec impatience. Celle qui parfois fait naître un sourire sur son visage. Celle avec qui il se sent en sécurité. La première avec qui il a partagé une vraie conversation. La seule personne dont il craint la lassitude. Celle dont il voudrait que les visites durent pour toujours.