Thomas est profondément gentil. C’est un fait que l’on ne peut nier malgré son caractère pour le moins explosif. Il dissimule sa bienveillance derrière une langue bien aiguisée.
Pas toujours bien honnête avec lui-même, il est piquant, taquin et particulièrement agaçant lorsqu’il s’agit de contredire ou bien d’attiser les nerfs des autres. Pourtant, il est attachant et affectueux.  

Et comme tout bon félin qui se respecte, il est invasif et orgueilleux. S’octroyant avec aisance l’espace des autres. Une carapace injurieuse pour protéger ce cœur mou et fragile qui bat douloureusement dans sa peur de l’abandon. Il se déguise de ce masque infâme alors que tout son être lui hurle qu’il a besoin d’affection.

Une hypocrisie candide qui s’inaugure à travers son besoin d’être en contact avec ses proches, tout en mâchant son venin perfide.

Outre cet acte idiot, Thomas est un homme qui offre de son cœur, un soutien à ceux dans le besoin. Une confiance étrangement aveugle pour offrir aux plus miséreux, un avenir meilleur, une seconde chance qui les fera rebondir.

Muni d’un sens de l’observation aiguisé, il ne peine pas à couvrir ses proches d’attentions discrètes, tout en les injuriant d’un sens bien aigüe de contradiction.

Thomas n’est peut-être pas la lame la plus affûtée du tiroir, définitivement mauvais pour la communication et l’expression sincère de ses sentiments, mais il n’en demeure pas moins un homme qui se bat pour les autres, sans chercher à se couvrir de gloire pour ses actes purement désintéressés.

2038 – Naissance de Thomas en cuve.
2056 – Sortie de Chroma pour être accueilli dans une boutique. Puis achat par un couple.
2058 – Naissance d’un enfant dans la famille.
2059 – Thomas est abandonné dans la rue par ses maîtres puis recueilli par Matt, un cuisinier. Il commencera à travailler dans son restaurant et se fera dépucer par Unity.
2060 – Finit par rejoindre Unity lui-même et aidera les hybrides en refuge pour les nourrir.
2063 – La situation est toujours identique.



« J’ai faim. »

C’était cette pensée qui s’insinuait comme une traînée de poudre dans l’esprit du félin. Recroquevillé sur lui-même, il regardait les passants l’ignorer alors qu’ils marchaient devant lui. Il n’était qu’une énième âme en peine qui serait dévorée par le temps maintenant qu’il patientait sur le sol.

Durant ce temps, il s’était mis à penser. À réfléchir. À se souvenir alors que son animosité envers les humains envahissait son esprit à mesure que la faim tiraillait son estomac.

Rattrapé par son passé, il se revoyait jeté à la porte, délaissé dans une rue comme un vulgaire objet dont on s’était lassé.

Thomas était né en cuve, comme la majorité de ses congénères. Éduqué, et élevé comme n’importe quel autre hybride.
Thomas était gentil.
Thomas était doux.
Thomas était obéissant.
Thomas était cet hybride parfait qui sans simulacre se pliait sans volonté face aux humains. Cet enfant facile à qui on pouvait faire avaler n’importe quoi tant son esprit était malléable.  

Une poupée sans expression, qui de ses deux mains, effectuait les travaux domestiques. Il était un enfant charmant, agréable avec qui il était facile de communiquer. Sans objectif, son cerveau s’était imprégné de chaque doctrine si bien proclamée par Chroma.

Les années qui suivirent n’étaient qu’une succession d’un quotidien ennuyant. L’éducation, le sommeil et à nouveau l’éducation qu’ils lui faisaient assimiler. Croisant parfois quelques congénères qui dans le même bateau, n’avaient jamais essayé de créer des liens.

Comme tout bon hybride, lorsqu’il atteignit enfin l’âge de sa majorité, Thomas fut envoyé dans une boutique, affiché en vitrine comme un vulgaire objet. Il patientait assis, regardant le paysage mobile qui prenait une vie différente chaque jour. Où l’intérêt n’était porté qu’aux hybrides un peu plus exotiques qu’un simple félin.

Cependant, sans perdre espoir, il continuait à patienter. Espérant qu’un jour on daigne enfin apporter une petite attention à sa personne. Hybride aussi doux que délicat qui ne s’offusquait jamais.

Puis vint finalement ce jour où la porte de sa cellule s’ouvrît. Un avenir nouveau se traçant devant ses maîtres. Une bienveillance apportée dans un foyer chaleureux.

Un jeune couple sans enfant, qui voulait s’offrir une fantaisie afin de se féliciter de leur premier emploi. Un hybride moins cher qui saurait leur offrir au milieu de ce couple une compagnie discrète.
Juste quelques années, où il offrit ses services sans faillir. Développant une affection pour ses maîtres, indéfectible. Du moins c’était ce qu’il avait cru.

La parfaite petite créature devint peu à peu un fantôme dans l’existence de ses deux humains. Une relation qui se dégradait à mesure qu’une tension s’installait. L’arrivée d’un nouveau membre dans la famille aurait dû apporter joie et festivité, seulement, l’air sombre amenait un mauvais présage.

« Nous avons plus les moyens de le garder. »

Posant une main sur ses lèvres, ignorant cette boule qui se formait dans sa poitrine. Passant par hasard, Thomas n’aurait jamais dû entendre cette conversation. Et sans s’en rendre compte, les jours suivants, il s’était mis à travailler davantage dans l’espoir que cette mauvais idée finisse par les abandonner.

Il avait envie de hurler qu’il aurait pu tout faire, qu’il aurait pu travailler, rapporter de l’argent afin de les rassurer. Puis sentant que peu à peu la situation s’apaisait, Thomas s’était mis à penser qu’il n’était plus un fardeau pour eux.

Mais ce fut sans compter ce jour. Ce qui semblait être une simple balade en ville se transformant alors en un véritable cauchemar. Perdu au milieu de la foule, Thomas se retrouva seul, avec une porte verrouillée à double tours. C’était les premiers souffles de givre amenés par l’hiver alors qu’avec peine, Thomas s’était mis à l’abri en priant que ses maîtres reviennent le chercher.

« J’ai faim… »

Cette nouvelle cacophonie atrophiait son esprit à chaque instant. Révélant l’impitoyable injustice qui régnait sur cette Terre, soumise aux lois intangibles et invasives de l’Homme. Cette colère sinueuse qui gravitait dans son esprit découlait de cette profonde trahison à mesure que le temps affligeait ses plaies invisibles.

Durant des jours, il subit la torture de la faim jusqu’à l’oublier. Se rabattant sur les restes trouvés dans quelques poubelles, résolu à l’idée de ne pas être dans la capacité à passer l’hiver.

C’était alors ce jour où les poubelles étaient à nouveau jetées à l’arrière d’un restaurant, qu’il fut surpris comme un rat alors qu’il écartait les déchets à la recherche de quoi se remplir l’estomac.

Il fit cette rencontre qui changea son existence même. Saisi sur le fait, il crut qu’il se ferait à nouveau jeter et bon pour trouver un nouvel établissement. Ses délicates oreilles duveteuses, et sa chevelure de jais étaient souillées par ses nombreux jours d’errance. Il avait été prêt à fuir, soufflant comme un chat en furie alors qu’il était traîné de force à l’intérieur du restaurant.

Thomas y rencontra Matt, le chef du restaurant qui lui colla une assiette encore fumante sous le nez. Attisant son appétit. Il n’y eut qu’une seule parole.

« Mange. »

Après des semaines à survivre, sa poitrine se gonfla avant que les larmes ne viennent gorger son regard brisé. Il avait eu cette impression que cela faisait des années qu’il n’avait pas trouvé un foyer chaleureux où on l’accueillait avec bienveillance. Sa rancœur se terrant à mesure que le plat se vidait.

Matt ne lui avait posé aucune question, se contentant de l’observer impassible. Puis une main se posa aimablement sur son crâne, entre les deux oreilles et Thomas se confessa, raconta son histoire, aussi courte, aussi simple était-elle. Racontant sa détresse jusqu’à l’épuisement. Jamais il ne l’interrompit, écoutant chacun de ses mots et lorsqu’il eut fini, Matt le regarda droit dans les yeux.

« Tu n’as qu’à travailler pour moi. »

Lui expliquant qu’il ne serait pas contre un peu de main d’œuvre pour son restaurant en plus de son activité pour Unity. Ne pouvant refuser une telle offre, Thomas opina.

Dès le lendemain, Matt lui offrit le moyen de se débarrasser de sa puce une fois à Unity. Il passa quelques jours chez lui, avant qu’il ne se rende dans un refuge pour ne pas être un fardeau. Puis peu à peu, son investissement au sein du restaurant se propagea jusqu’à Unity où il offrit ses services pour nourrir les hybrides dans le besoin.