Studieuse ~ À l’écoute ~ Bienveillante ~ Curieuse ~ Observatrice
Réservée ~ Bornée ~ Fataliste ~ Facilement distraite ~ Émotive
On dit souvent que le cordonnier est le plus mal chaussé, c’est assez vrai effectivement. Lorsqu’on fait un travail comme le tien, on est bien moins attentif à ses besoins qu’à ceux des autres. Justement, tu as cette sainte habitude de t’oublier, totalement, pour te concentrer sur ce que tu as sous les yeux et ce, depuis petite.
Ta mère n’allait jamais bien, alors tu as appris à faire passer ses besoins avant les tiens. Mais à côté de ça, ça t’a permis de développer cette bienveillance, cette douceur dont elle avait tant besoin. Tu as peut-être grandi trop vite, c’est vrai, mais tu as fait ton possible pour le faire pour elle, car son bien-être était prioritaire au tien.
Mettre les émotions sous cloche, tu sais faire. Autant que fouiller dans la tête des gens. Mais si on doit fouiller dans la tienne, on y trouverait tout de même un sacré bazar. Sans tomber dans les clichés, tu es simplement quelqu’un qui vit au travers du regard des autres, qui a besoin de voir la joie autour d’elle pour être heureuse mais qui, lorsqu’elle se retrouve seule face à elle-même, se trouve bien perdue.
Le reflet que tu vois dans le miroir ne te plaît pas, il est abstrait et ne te ressemble pas. Tu t’imagines fatiguée, à bout de force et trop émotive alors qu’en fait, tes émotions sont ce qui fait ta force. Tu es entière, à fleur de peau c’est vrai, mais toujours honnête dans ce que tu vis, dans ce que tu ressens.
Réservée, tu as besoin de temps pour toi pour ne pas sombrer. Tu fais face à la misère humaine, à l’horreur que chacun est capable de fabriquer, à ces chimères qui deviennent parfois de véritables cauchemars. Alors il faut que tu souffles, que tu te changes les idées, autant que possible. Sinon, tu deviendrais folle, sans mauvais jeu de mots bien sûr.
Des passions tu en as des tas; mais aucune ne te passionne réellement. Du genre à commencer quelque chose et à ne jamais le finir, tu t’attardes sur des détails qui ne seront bons qu’à te donner raison dans l’abandon de cette tâche.
Et puis, c’est agaçant, mais tu n’arrives pas à… ne pas écouter les autres. Tu as pris l’habitude d’écouter, d’être attentive à ce que tu as sous les yeux ; une main glissée dans les cheveux, un regard fuyant, une jambe qui se balance dans le vide… Tout est pour toi une possibilité d’évaluer ce qu’il se cache en chacun, et qu’on ne veut pas s’avouer.
Mais tu restes foncièrement bienveillante, bien que curieuse ; en gros, jamais tu n’irais poser des questions qui pourraient blesser en dehors de ton cabinet. Ton travail s’arrête au moment où tu passes la porte de ton bureau, voilà tout.
Mais ton métier t’a mise face à la laideur du monde que tu as bien du mal à accepter. Un certain côté fataliste en découle, que tu tentes d’étouffer sous cette douceur qui fait battre ton cœur jour après jour.
- Chronologie:
2040 : Naissance à Paris
2053 (13 ans) : Déménage à Boston chez une tante
2057 (17 ans) : Entrée en médecine à Harvard (6 ans)
2063 (23 ans) : Spécialisation en psychiatrie - 1ère année - Internat pour Chroma (Reina est sa tutrice)
Tu es le portrait de ton père ; tu as grandi en entendant ce genre d'inepties. Élevée par une mère détruite par l'alcool et le chagrin, par la perte d'un homme qui n'a jamais voulu d'elle mais qui a su faire naître en son cœur une douce rose d'amour. Une rose rongée par les épines qui l'ont détruite peu à peu. Elle n'a été qu'une distraction jusqu'à devenir une gêne lorsque sa grossesse est entrée en jeu. Une gêne dont on a honte, qu'on étouffe. Il a réclamé l'avortement, elle a supplié pour qu'on te laisse vivre. Elle l'a perdu, et t'a gardé. Un souvenir de cette triste vie passée qu'elle n'a jamais cessé d'espérer retrouver. Mais il était marié, et avait déjà un enfant qui lui, était légitime. Toi, ah toi… Qui voudrait de toi ? Tu as été une sorte de trophée de ce passé qu'elle a chérie avec tant d'ardeur. Qu’elle a détesté aussi. Le reflet de cet homme dont elle répétait le nom inlassablement. C'était… épuisant. Mais tu t'es construite malgré tout.
La dépression est une maladie insidieuse ; c'est comme si petit à petit, le monde perdait toutes ses couleurs. On prie pour ne pas mourir, pour trouver la force de se battre, pour garder espoir. On croise les doigts pour se relever, on espère ne pas se noyer dans la tristesse, ne pas sombrer sous la douleur. On chuchote aux étoiles que l’on n’est pas prêt pour les rejoindre, pas maintenant. On a encore tellement de choses à vivre, à ressentir.
On songe à tout anesthésier, plus d’une fois. On songe aux pilules qui endorment, à celles qui déforment. On pense même à se faire enfermer, à tout quitter pour enfin apaiser ce flot de douleur intarissable qui revient sans cesse. On songe à médicamenter sa peine, hospitaliser son chagrin mais on ne le fait pas. Par peur ou par lâcheté, par manque de légitimité, par besoin de se cacher, par incapacité à tout avouer. On prend sur soi, comme on nous l’a si souvent demandé. On prend sur soi, on ravale la souffrance de vivre pour mieux la vomir d’atrocité. On se tait et on serre les dents. On se dit que ça ira, alors qu’on se noie.
Mais souvent, rien ne change. Ni la peine, ni les vagues qui tentent de nous éloigner de ce monde.
Pourtant, on aurait voulu être aidé.
Mais on finit par comprendre qu’on ne peut pas contrôler le temps, les mots des autres, les silences que l’on nous impose ou les blessures qu’on nous laisse. On comprend qu’il ne faut pas être désolé pour quelque chose que nous n’avons pas engendré ou choisi. Qu’on ne doit pas se sentir coupable d’avoir été à la mauvaise place, de s’être perdu en cherchant à être quelqu’un d’autre. On comprend qu’on ne doit plus essayer de guérir plus vite, ni d’avancer quand il n’y a plus de chemin.
Il faut accepter qu’on ne puisse pas toujours être sauvé. Qu’il y a trop de naufragés de la vie pour s’en sortir indemnes, sans aucune larme, sans cicatrice.
C’est ainsi que tu as vu ta mère, c’est ainsi que tu l’as vu passer de phase joyeuse au plus sombre des cauchemars. Tantôt heureuse, tantôt au bord de la rupture. Tu as grandi avec cette crainte constante de ne jamais savoir ce qui t’attendrait quand tu rentrerais de l’école. Est-ce qu’elle serait encore là ? Est-ce qu’elle aurait de nouveau sombré ?
L’alcool n’a jamais aidé mais toi, tu ne lui as jamais rien reproché. Elle a toujours fait de son mieux pour s’occuper de toi mais sans le vouloir, elle t’a surtout montré que l’argent ne pouvait pas tout acheter, et certainement pas le bonheur.
Car papa ne veut pas de toi, mais il paye pour son silence. Papa fait des chèques tous les mois, avec sa plus belle signature pour s’assurer que sa bâtarde de fille tiendra le coup et fera de bonnes études. Car on ne veut pas de toi, mais on veut avoir bonne conscience… On ne voudrait pas que tu tournes aussi mal que maman qui pleure un monde qui n’existe même plus.
Et puis, maman a voulu t’éloigner de la maison, parce qu’elle ne tenait plus le coup. Faire semblant était devenu trop difficile, et elle ne voulait plus influencer sur ton évolution. Tu ne pouvais pas constamment craindre de la perdre et tu avais un avenir prometteur alors, elle t’a mise dans un avion avec toutes tes affaires direction Boston, où tu as rencontré cette tante que tu ne connaissais pas.
Forcé de te construire une nouvelle famille, de te faire de nouveaux amis, d’apprendre cette langue que tu ne maîtrisais que très peu, de découvrir cette culture qui t’était totalement inconnue. Ici tout est plus grand, tout est démesuré, tout est… presque trop. Mais c’est ça, ta nouvelle vie.
Sans te laisser le moindre répit, tu as travaillé plus dur que les autres, pour toujours être première. Tu as obtenu des bourses pour la faculté, inscrite à Harvard en médecine avec un an d’avance. Tu as brillamment passé tes six années en serrant les dents, puis lorsque vint ta spécialisation il était clair pour toi que tu n’avais pas besoin de réfléchir ; tu voulais devenir psychiatre. Tu voulais apprendre à déceler, puis à soigner les troubles avec lesquels tu as vu ta mère se détruire. Tu voulais accompagner ceux qui en avaient le plus besoin, pour éviter la catastrophe.
Catastrophe qui est arrivée, tu t’en souviens ? Il y a un an à peine. Lorsque tu as appelé ta mère pour lui dire que tu allais commencer ta spécialisation, c’est une voix inconnue qui t’a répondu. On t’a expliqué qu’on a tenté de te contacter, mais qu’ils n’y étaient pas parvenus.
Ta mère est morte seule dans cette grande maison en bord de mer. Elle a décidé que tu n’avais plus besoin d’elle, alors qu’elle pouvait s’en aller. Les personnes fortes souffrent seules la nuit, sourient durant la journée, disent à leurs amis seulement une demi-vérité, et rien à leurs familles pour ne pas les inquiéter. Finalement, c’est ce qu’elle a fait.
Tu te souviens de ce que Freud a dit ?
Les émotions non exprimées ne meurent jamais. Elles sont enterrées vivantes, et libérées plus tard de façon plus laide. Oui, il n’avait pas tort, c’est vrai… Maintenant tu n’as plus rien. Tu n’as plus personne à rendre fier, plus personne pour te féliciter. Parce que même si tu as une nouvelle famille, c’est de ta mère dont tu avais le plus besoin. C’est pour elle que tu faisais tout ça.
C’est si difficile d’oublier ce qu’est la douleur. Mais c’est encore plus difficile de se souvenir de ce qu’est le bonheur. Nous n’avons aucune cicatrice à montrer lorsqu’il s’agit de bonheur. Et nous apprenons si peu des moments de paix. C’est donc après une nouvelle épreuve que tu as été forcé d’avancer. Tu devais commencer ton internat, tu devais… Te démarquer. Sa mort devait être une raison de plus pour te pousser à tout donner. Après tout, tu n’avais plus rien à perdre, n’est-ce pas ?
Ton directeur de thèse avait un contact chez Chroma, à New-York. Une possibilité de faire ton internat chez eux, et d’apprendre d’une nouvelle manière en quelque sorte. Car il n’y a pas que les humains qui ont besoin d’aide, il y a aussi cette multitude d’hybrides qu’il faut retaper, qu’il faut discipliner, qu’il faut comprendre. Eux aussi ont besoin d’aide, ou de correction. C’est plus simple de dresser un hybride quand on sait face à quoi on se bat.
Tu t’es donc déplacé jusqu’à New-York, habillée de ton plus beau tailleur et des talons les plus hauts possible pour te donner un peu plus d’allure. Armé de tout ton courage et d’un stress terrible à te dévorer les entrailles. Tu t’es retrouvée face à une femme à la beauté mirifique. Intimidée, tu as eu bien du mal à dépasser cette angoisse pour réussir à te vendre, mais ton professeur t’avais déjà pré-mâché le travail ; tu n’étais là que pour rencontrer ta tutrice, pas pour te faire recruter.
Alors c’était un véritable nouveau départ pour toi ; tu as pris toutes tes affaires, et tu es partie à New-York. Tu aurais quelques allées et venues à faire jusqu’à Harvard de temps en temps, mais ta place était désormais ailleurs. Dans cette ville où vivent ton père, et ton demi-frère. Dans cette ville où ta mère rêvait de t’emmener… mais que tu découvriras seule.