Le caractère de Liam s'est forgé autour de rêves d'enfant, de curiosités et de manques affectifs. Faute d'avoir bénéficié de figures parentales suffisamment longtemps pour être formé à la réalité, Liam la visualise à sa façon - l'idéalise peut-être, pour que cela fasse moins mal.

Liam est pourtant loin d'être quelqu'un de triste. C'est au contraire une personne très lumineuse, dont l'imaginaire débordant est capable de vous transporter pour peu que vous y soyez un brin réceptif. Rompu à l'art de l'interprétation depuis sa plus tendre enfance, Liam aime jouer des rôles. Il le fait bien, et pour le bien car ce qu'il aime par-dessus tout, c'est la réaction des gens qu'il a face à lui. Il se nourrit de sourires et de regards émerveillés. C'est un garçon simple, qui ne demande jamais plus que ce dont il a besoin. Son naturel empathique en fait quelqu'un d'assez expressif et de quelque peu nerveux.

Liam est pourtant incapable d'exprimer ce qu'il a au fond de lui. Tourmenté par des questions laissées en suspens depuis bien trop longtemps, l'esprit assombri par des incertitudes, il a cessé de se concentrer sur ce qu'il ressent pour se consacrer à autrui. Il sait davantage exprimer les émotions des personnages qu'il incarne que les siennes, ce qui explique la facilité avec laquelle il communique lorsqu'il est flanqué d'un costume.

Ignorant comment s'adresser aux hybrides sans éveiller leur méfiance ou leur colère, Liam n'a pas trouvé meilleure idée que de s'équiper du masque de sanglier avec lequel il incarnait le Roi de la Forêt lorsqu'il était enfant. Autant dire que ça passe ou ça casse.

Un papa, une maman, un esclave : tel est le schéma familial que Liam s'est construit dès sa plus tendre enfance.

Son papa et sa maman sont ses piliers immuables. Ce sont de grandes personnes aux cernes marquées et au dos voûté, des adultes souvent occupés mais aimants. Parfois, quand ils se disputent, Liam s'éloigne pour ne plus les entendre, heureux de pouvoir bénéficier de la compagnie de son esclave.

Son esclave, lui, change souvent. Liam se souvient vaguement du premier : un grand gars élancé avec des oreilles duveteuses. Trop jeune à cette époque pour entretenir une conversation intelligible, il ne lui a jamais demandé ce qu'il était. Il vit aujourd'hui avec le léger regret de ne pas avoir pu assouvir sa curiosité.
Son esclave préférée, c'était sans aucun doute cette fille aux yeux ronds comme des soucoupes, dont le vert faisait écho au sien. Lorsqu'elle est arrivée, il s'en souvient, elle lui faisait peur. Passée la barrière de la timidité et de l'inconnu, il a découvert en elle une camarade de jeu enjouée, capable de s'intégrer à son monde comme s'il était aussi le sien. Ensemble, ils jouent à sauver la Terre, et Liam se plaît à interpréter le rôle du Roi de la Forêt, affublé de son masque de sanglier.

À l'instar des autres, cette esclave a disparu du jour au lendemain. C'est la seule fois où Liam s'est permis de poser la question à ses parents : « où est-ce qu'ils vont, après chez nous ? ». Leur réponse est nébuleuse mais il s'en contente, faute de mieux : « ils bravent la réalité. » Tout jeune garçon qu'il est, le sens de ces propos lui échappe encore. Alors lorsque ses parents lui promettent que les esclaves bravent la réalité, il adhère à cette vérité dans sa forme la plus primaire : il les imagine s'équiper pour affronter des dangers aux formes abstraites, du même acabit que ceux qu'il se plaît à matérialiser quand la réalité devient ennuyeuse.

Mais pourquoi leur faut-il quitter la maison pour cela ? Il n'en a pas besoin, lui ?

Un jour, c'est au tour de sa mère de disparaître. Comme les esclaves avant elle, elle a passé le palier de la porte et n'est jamais revenue. Sans doute a-t-elle elle aussi pris les armes et « bravé la réalité ». Dès lors, le schéma familial auquel Liam était accoutumé a évolué : ne demeurait plus que son père et lui.

Son père.
Et lui.
La nuance est de circonstance.

Car papa s'est muré dans le silence. Les seules paroles qu'il lui adresse sont celles d'un parent qui tâche tant bien que mal de prendre soin de son fils, alors que son cœur blessé, dont chaque battement ravive la douleur, ne demande plus qu'à s'arrêter. Parfois, Liam l'entend parler tout seul - il croit qu'il parle tout seul. « Ça devait arriver », dit-il d'un ton fataliste. « Ça a trop duré. »

Il n'y a plus jamais eu d'esclaves après la disparition de sa mère, tout comme il n'y a plus jamais eu d'amour.

Liam grandit aux côtés du portrait d'un père, une pâle figure vaguement vivante qui peine ne serait-ce qu'à lui accorder un regard. À chaque fois qu'il lui jette un œil, comme ça, à la volée, il a l'air d'en souffrir. Est-ce parce que ses yeux lui rappellent ceux de sa mère ?
Liam ne veut pas faire souffrir. Il veut faire sourire, il veut aider son père à aller mieux, mais il veut surtout comprendre. Pourquoi maman a disparu ? Pourquoi n'y a-t-il plus d'esclaves ?

Le petit garçon n'obtiendra jamais de réponse. Il forgera son propre chemin, pavé de ses désirs d'enfant mais aussi de ses manques.

Il devient un grand garçon curieux qui n'a pas peur de se mêler à la foule mais qui ne sait pas comment en suivre le mouvement. Il ne se sent pas tant différent des autres mais il ne comprend pas leur propension à marcher droit devant eux sans porter un regard à ce qui les entoure. Dans ce banc de poissons aux couleurs ternes, Liam se fait l'effet d'un poisson-clown.
Et dans cette ville bruyante, dégueulant des informations en veux-tu en voilà, il déniche son petit coin à lui, son morceau d'imaginaire : un parc d'attractions. Tel le petit garçon qu'il était autrefois, il enfile des costumes et joue des rôles, divertit les foules, partage un peu de son univers avec qui veut bien y être réceptif. Mais Liam n'est plus ce petit garçon et, attentif qu'il est, il écoute, assimile et saisit la portée de ce que sa jeune version de lui était incapable de comprendre à l'époque.

Il prend soudain conscience de ce qu'est « braver la réalité », tout comme il prend conscience qu'« esclave » ne veut pas dire « frère » ou « soeur ».

Dans le grenier de feu son père, qui s'est éteint sans un mot au cours d'une nuit, Liam déniche un vieil objet de ses souvenirs : le masque du Roi de la Forêt. Il en fait son nouveau visage et son outil de revendication.