Extrême et inconstant, c’est comme ça qu’il est Inari.
Il est extrême dans ses relations, intense, devenant passionné en un claquement de doigts, devenant obsessionnel en un clignement d’yeux. Il a besoin d’avoir quelqu’un, besoin de pouvoir se rattacher aux autres. Il n’est pas fiable donc il faut qu’il puisse se reposer sur quelqu’un qui tienne la route faute de pouvoir compter sur lui-même.
Il a besoin d’avoir quelqu’un auprès de lui mais il meurt de peur à l’idée de le blesser.
Cet attachement passionné, ça le rend jaloux Inari. Voir des gens de l’extérieur rentrer dans son cercle ça lui fait peur à Inari. Et quand il a peur il perd pied. Et quand il perd pied, il s’en veut au réveil. Quand il perd le contrôle, il se montre violent, avec n’importe qui, n’importe quand. Et il s’en veut terriblement, de blesser des gens à tour de bras, des gens connus, des inconnus, un mec qui passe comme cette nana qui lui venait en aide.

Il est amnésique Inari. C’est compliqué de savoir qui on est quand on sait pas d’où on vient, quand on n’a pas d’histoire. C’est compliqué de vivre quand des pans entiers de son existence ont disparu. Quand des pans entiers de sa journée ne sont rien d’autre qu’un foutu trou noir. Quand on est persuadé de connaître cette personne mais qu’elle n’a plus de nom et que ce qu’on a échangé a disparu.

Il est débrouillard Inari. Il est débrouillard et il a de l'instinct. Sans ça il n’aurait pas tenu aussi longtemps dans la rue. Il ment, il vole, il embobine, tant que ça peut lui permettre de tenir un peu plus longtemps. Mais il enrage d’oublier les bons plans. Et il enrage de devoir tromper les autres pour s’en sortir. Il ne s’aime pas quand il renarde. Il ne s’aime pas alors qu’il a tant envie d’aimer. D’aimer sainement et d’être aimé. Comme ça devait être le cas avec James avant… James lui répétait souvent que c’est un mec bien, qu’il est gentil, ouvert, qu’il a de l’humour et l’esprit vif, qu’il est taquin et joueur. Mais il ne s’y reconnaît pas dans ces descriptifs. Il ne s’y reconnaît pas parce qu’il n’a pas l’occasion d’être gentil et ouvert tant un accès de paranoïa peut le surprendre, il n’a pas l’occasion de profiter de son humour ou d’être joueur alors qu’une crise de panique est si vite arrivée. Inari se noie, Inari sombre, se laisse submerger par cette infection qui lui bouffe le cerveau.

Y’avait cette vie, à des heures d’ici. Cette vie dont je ne me rappelle presque rien. Dont je ne me rappelle qu’une paire d’yeux, une tignasse brune, quelques grains de beauté. Cette vie qui a été redessinée sur mon corps par une personne qui m’a protégé et aimé sous couvert d’une adoption. Cette vie avec James.
James qui m’a accompagné alors que l’infection me faisait perdre la mémoire, perdre la tête, perdre le contrôle. Cette personne qui a toujours été présente, qui a tenté de me rappeler qui j’étais avant, qui je pourrais être maintenant, avec des soins… Si seulement on savait comment le soigner…
Il était persuadé que ses collègues d’Unity allaient réussir à trouver une solution. Il était persuadé que tout pourrait rentrer dans l’ordre. J’aurais aimé qu’il ait raison.

Au lieu de ça, au lieu d’une vie paisible où j’aurais pu m’engager à ses côtés pour cette utopie égalitariste, au lieu de cette douceur et de cette tranquillité, il a fallu que tout dérape. Il a fallu que mes crocs terminent dans son épaule. Je ne sais pas, comment, ni pourquoi. Je ne sais plus. Je crois que je l’aimais trop fort. Que je le voulais davantage. J’ai dérapé. Perdu les pédales.
J’ai paniqué.
J’ai fui.
En le laissant là, seul et tremblant, son tshirt en lambeau et sa chaire à vif, dans un coin de l’appartement.
J’ai couru pour m’éloigner de ce que j’avais fait, comme si ça allait arranger les choses.
Honteux. Coupable.
Ça n'a sans doute rien arrangé. Bien au contraire. J’aurais pu l’aider, le soigner… Mais je m’en voulais tellement !

Au lieu de ça, au lieu de lui rendre tout le soin qu’il m’avait apporté, j’ai sauté dans le premier bus venu. Bus qui m’a conduit jusqu’à New-York. Bus qui allait me permettre de me fondre dans l’immensité de la foule, qui allait me permettre de me perdre dans les rues, de passer inaperçu. De ne plus exister ? Comme si vivre dans la rue était une façon de purger ma peine.

Hm… Bien tenté.
Au lieu de ça, au lieu d’être un fantôme invisible se perdant entre les passants, au lieu de continuer à voler pour manger et de dormir dans des squats, j’ai recommencé.
Ils m’ont provoqué. Je me suis défendu. Je crois.
Peut-être que je me suis défendu un peu trop fort. Je ne sais plus. Je préfère me convaincre que je me suis défendu plutôt que de réaliser que je perds définitivement la tête. Que je deviens violent.
Toujours est-il que c’est encore mes crocs dans la chair de quelqu’un que je me suis retrouvé. Sous les yeux d’un mec de la BTD.
Il aurait pu m’abattre. Comme un chien galeux. Il me l’a dit d’ailleurs. Je crois qu’il m’a dit ça.
Mais pendant quelques jours, quelques semaines peut-être, il m’a accueilli chez lui. J’ia mangé, j’ai dormi, autant que j’en avais besoin, pour la première fois depuis des mois. J’ai eu chaud. Et sa présence m’a apaisé. Les crises s’espaçaient.
Même si l’idée de vivre avec un de ces extrémistes m’a déplu, même si l’idée de perdre ma liberté, la seule chose que j’avais encore pour moi, me révoltait, j’allais mieux. Grâce à cet homme dont le visage s’efface. Cet homme dont je ne me souviens que de l’odeur et d’une nuance de bleu. D’un regard glacial.  

J’allais mieux ! Alors pourquoi, comment ? Comment ça se fait que je me sois de nouveau retrouvé à errer dans les rues de la ville ? Il m’aurait foutu dehors ? Je me serais perdu ?