Aucun vaccin. Pas d’arrière-pensées. Ses poings se serrèrent jusqu’à que les jointures de ses phalanges deviennent blanches, les tendons saillants et le visage se nuançant de teintes andrinoples. Un grognement s’éluda de ses lèvres pourtant scellées par une colère sourde. Une affliction profonde enserra son aorte alors qu’il se perdait, un peu plus à chaque minute qui s’égrainait, dans les méandres de ses élucubrations. Bien qu’il s’avérât délicat de créer un vaccin, nécessitant des années de labeur, d’avancée, de recul, pour en saisir les effets, il ne croyait pas que Chroma n’en avait aucun. Au mieux, leurs cibles n’étaient guère au courant, au pire, les puces pouvaient peut-être entraver le phénomène ? Des matériaux intéressants ? De quelle envergure ? Il se flagella mentalement pour les avoir loupées, mais la panique, la pression, la microscopicité des objets… Néologisme, il était incapable de même penser. Les fantômes de ses erreurs s’effacèrent brusquement, chassés par la voix gutturale d’Ashley qui s’acharnaient sur le scientifique. Il se retourna pour faire face à sa compagne dont la main aux doigts fins, gracieux et graciles qui enserraient le coup de l’homme, écrasant sa trachée alors que sa face se vidait de couleurs. « Ash ! » s’exclama-t-il d’une voix plus autoritaire qu’il l’aurait voulu.

Immuable, les bras pendant mollement le long de son corps, il l’observait, pliée en deux, sur les genoux, alors que les larmes se pressaient derrière ses paupières. L’infection, ces racines dont il avait planté les graines dans le corps de son humaine, accompagné par le bébé, commençaient à corrompre chaque pan de son être. Et dire que lui-même retenait ses techniques d’interrogatoire pour ne pas trop la violenter. Twinky s’approcha alors, il lui sourit faiblement, embarrassé, honteux, toutes ces histoires s’écrivaient par sa faute : elle ne l’aurait pas aimé, ils ne se seraient pas amourachés d’elle, jamais elle n’aurait été dans cette situation délicate. « Je suis désolé… Merci Twinky. Infiniment. Fais attention à toi. Tu devrais essayer de prendre Loden avec toi, pour la protection… Je ne peux pas vraiment lâcher Ashley là. » Il se massa nerveusement la nuque, puis serra l’épaule de l’hybride polaire dans un geste qui se voulait amical, mais lui sembla finalement étrange. Délicatement, il s’approcha d’Ashley, s’agenouilla et lui tendit l’antidouleur. Qu’importe, maintenant, leur liaison était d’ordre publique puisque même le scientifique leur avait craché au visage ; ainsi ses bras entourèrent l’humaine, une de ses larges paluches frottant son dos, sa bouche se nichant près de son oreille. « Il y a une forme de logique. Il tue les hybrides infectés. Il faut des années pour établir un vaccin fonctionnel. Il n’y en a peut-être pas ou peut-être ne sont-ils pas au courant. Dans tous les cas, Ashley, dans tous les cas imaginables, je te protègerai, je protègerai notre fille, je protègerai notre famille. Le vaccin n’existe peut-être pas encore, mais ils finiront par le faire… Calme-toi, okay ? Tout va bien se passer… L’humanité a essuyé un nombre incalculable de pandémie et elle s’en est toujours sortie, alors avec nos moyens actuels, on va s’en sortir, ok ? » Il la serra, une énième fois, plus fortement. Un baiser furtif sur sa joue et il l’abandonna, rejoignant le mafieux.

Les larmes ne cessaient plus de couler, qu’importe la volonté le flot restait ininterrompu, toute la pression, la tension et l’angoisse s’évacuait de paupières devenues lourdes et gonflées. Ma vue à présent totalement trouble, ma voix incapable de se stabiliser. Recroquevillée sur moi-même, la présence soudaine d’Alex comme le fait qu’il me tende des calmants ne parvenait pas à calmer tous ces sanglots, tous ces frissons et ces haut-le-cœur. Twinky était partit avec Thérèsa, est-ce que ces comprimés venaient d’elle ?
Pourtant tel un aimant je me blottissais contre lui à la recherche de sa force, de sa chaleur, de son réconfort. Il me protégera, il nous protégera, il le promettait … Mais pouvait-il nous protéger de lui ? Après tout c’était de sa faute si j’étais contaminée, de sa faute si mes mains étaient maintenant obligées de rester sous des gants, de sa faute si je vivais tout ça, de sa faute si …
Les larmes reprirent de plus belle, le front contre le bitume, je ne parvenais plus à penser correctement. Le niveau de fatigue était tel que j’en venais à accuser l’amour de ma vie de tous ces maux, quand bien même tout ce qu’il avait fait pour moi durant ces quatre, bientôt cinq années de vie et de complicité.

La voix du mafieux répondant à son bourreau hybride attira tout de même mon attention, au moins en partie au milieu de tous ces pleurs. Il affirmait ce qu’avait dit le scientifique, il n’y avait pas de vaccin à l’heure actuelle, et ses arguments tenaient la route Chroma avait besoin de parfaire son image auprès de la population et des gouvernements mondiaux, or quoi de mieux qu’un remède contre cette infection pour effacer toutes leurs manigances et leurs coups tordus ?
Je ne pouvais le croire, je refusais de croire que des gens aussi fortunés et talentueux que ces enfoirés, capables de fusionner des ADN humains et animaux pour leurs petits plaisirs dégueulasses, n’y parviennent pas. Je n’arrivais pas à imaginer la possibilité qu’ils n’aient pas les moyens de réparer leurs erreurs. C’était forcément qu’ils ne le voulaient pas, qu’ils préféraient attendre de voir ce que cette saloperie pouvait faire au sein d’une population de plusieurs millions d’habitants… C’était forcément ça.

Quand je redressai enfin la tête – avec le front rougi par le béton – le scientifique était toujours au sol, immobile et inconscient. Dans l’obscurité du bâtiment le sang s’échappant de la plaie béante sur son crâne n’était pas aisément visible.

« Donnez-nous au moins une piste, quelqu’un qui pourrait en savoir plus, quelqu’un en contact avec d’autres têtes pensantes de cette ignoble entreprise. Il doit y avoir eu des recherches sur ce vaccin, au moins des débuts d’étude, quelqu’un sait forcément quelque chose … Crache le morceau et tu pourras repartir avec ton ami dans les pommes. »


Je reculai frénétiquement, un hurlement résonna dans tout le hangar, le regard se posant sur mes mains tremblantes tachées de rouge sur un cuir initialement blanc. Je l’avais tué, je l’avais tué.

« Oh mon dieu non je suis désolée, je suis désolée, pardon, je ne voulais pas. Je ne voulais pas, non je ne voulais pas … Je … Oh mon dieu … »

Frénétiquement je me retournai pour vomir.