Soudainement, la voix retentit, crépitante, d’un ton robotique : Thérèsa leur intimait un lieu de rendez-vous qu’il imprima dans son esprit exalté. Une œillade vers l’arrière pour l’observer récupérer son aimée ainsi que Twinky. Un poids quitta sa poitrine, s’échappant sans autre destination, s’échappant pour s’évaporer dans New York. Qu’importe, il reculait, l’arme au poing, le viseur sur la gueule du chauffeur. Quelques puces qu’il récupéra gauchement, au sol, les fourrant dans sa poche ; la portière droite ouverte, il se retrouvait devant un volant, la clé insérée dans le Neimane, tournée pour échauffer le moteur. Ses yeux glissèrent jusqu’à la boîte de vitesse : automatique, logique pour une voiture haute gamme, mais ce fut un soulagement. Il l’enfonça jusqu’à « Drive », puis appuya sur la pédale de droite – comme il avait lu dans de nombreux manuels.

Les roues crissèrent, le moteur hurla, et la voiture avala les quelques mètres qui les séparèrent de la première ruelle, du premier obstacle. Il braqua le volant, mais le rétroviseur droit s’envola dans l’altercation avec le pan de mur. Il conduisait maintenant, seulement, avec le rétroviseur gauche. Guère que cela le dérange, mais la police n’y serait pas aussi insouciante. Du reste, il réussit à prendre le virage suivant– remerciant intérieurement sa curiosité dévorante qui avait dévoré quelques bouquins de conduites.  Ils se dirigeait vers Red Hook Park, lentement, il était incapable de conduire avec la patte enfonçant la pédale d’accélérateur. « Couvre-moi Loden, je ne sais pas ce que je fais ! » il s’exclama, l’inquiétude vibrant dans sa voix.

Doucement, il bifurqua pour prendre une ligne droite, s’apprêtant d’ores et déjà à bifurquer sur la gauche. En dépit de sa conduite hasardeuse, particulièrement lente, il avait connaissance, au moins, des rues de New York. Une connaissance parfaite, un véritable palais mental, pour les avoir arpentés tant de fois. Pourtant, il ne déclencha pas le clignotant avant de tourner, de crainte d’avertir leur ennemi. Et dans un crissement de pneus, la voiture prit la dernière ligne droite, celle qui succédait à ces épingles dangereuses dans lesquelles ils risquaient de s’enfoncer. Heureusement, il avait, au moins, guetté que personne ne lui couperait la route.

Il y eu des coups de feu, le son de poings frappant un corps. Est-ce qu’ils se mettaient vraiment sur la tronche ? Et Twinky dans tout ça ? Elle ne sait pas du tout se battre, ni utiliser une arme à feu, où était-elle d’ailleurs ?
Une voix criante retentit soudainement dans le talkie-walkie en même temps que le vacarme des pneus sur le bitume. Theresa débarqua à toute vitesse dans ce chaos, j’eu tout juste le temps de voir sa voiture s’arrêter brusquement à ma droite et la portière arrière s’ouvrir à la volée. Bordel de cul … Désolée pour les obscénités mais la douleur n’aidait vraiment pas à rester courtoise. Les dents serrées je me hissai sur le siège, une main constamment sous le ventre comme pour tenter de le porter.

« Oui excuse-nous, ça a … un peu dérapé … ah punaise, tu n’aurais pas un doliprane ou quelque chose contre la douleur là ? Ou Twinky peut-être ? » Terminai-je en lui adressant un regard plein de pitié.

En plus de jouer les complices dans ce qui va certainement provoquer une enquête policière pour fusillade sur les quais, elle était aussi ma gynécologue et très certainement ma futur sage-femme. Elle savait ce que je traversais et connaissait tous les détails de cette demande, de cette supplication. Je la remerciai rapidement avant d’avaler le petit cachet – parce qu’une trop grande dose serait dangereuse pour le bébé – et la remerciai à nouveau plus calmement ensuite. Tout ça pendant que notre conductrice aux gènes de serpents roulait à vive allure, enchainant brusquement les virages sans tenir compte des feux de signalisation. A l’arrière on était secouée comme des raisins, obligée de nous tenir aux portières pour ne pas tomber l’une sur l’autre.

Fort heureusement la voiture ralenti enfin, nous entrâmes dans un vaste bâtiment de métal et de verres brisés. Ça ressemblait aux entrepôts lugubres de tous les films de mafieux, un endroit grand, isolé, abandonné et surtout à l’abri de tous les regards et oreilles indiscrètes. Si avec tout ça je ne me retrouve pas avec un casier judiciaire moi …
La voiture s’immobilisa à l’intérieur de ce qui se nommait autrefois le Red Hook Grain Terminal. La voiture des garçons arriva peu de temps après, un rétroviseur en moins et plusieurs rayures en plus, et quelle ne fut pas ma surprise de voir Alex au volant. Ça alors, voilà qui était très intéressant, il allait pouvoir m’emmener en balade comme deux amoureux.

« Twinky, tu peux leur demander d’installer nos hôtes pour les interroger ? Il faut absolument que je trouve des toilettes. Je reviens tout de suite. Merci. »

Puis sans attendre sa réponse je filai à la recherche du sacro-saint wc. Il y en avait forcément, même désaffecté et sale. Là, un panneau. Docilement je suivi les flèches suspendues au plafond, le pas le plus rapide possible sans faire de grandes enjambées. Et effectivement c’était désaffecté. Pas de lumière, de la poussière partout, pas d’eau non plus et le froid de la nuit qui se glissait par les étroites fenêtres encore ouvertes en hauteur. Je poussai du bout du doigt la porte d’une des cabines, de peur de tomber sur une mauvaise surprise.

Sans entrer dans les détails je fis mon affaire en forçant sur les bras pour sauvegarder mon arrière-train du moindre contact physique. Je serais bien fichue de me chopper une mycose dans un endroit pareil … bref quelques courtes minutes plus tard je rejoignis mes camarades. Ça allait mieux, très nettement mieux.
Loden faisait le guet à l’entrée de l’entrepôt et les deux gusses avaient été placé chacun sur une chaise délabrée, certainement récupérée à la va-vite dans les parages. Alors que le premier se réveillait doucement et douloureusement, son camarade scientifique se trouva être immensément plus véhément et agressif. Nous avions là l’expression parfaitement illustrée d’une haine envers la race hybride et l’ignorance voire le rejet de toute forme de relation positive avec ces créatures. Cela me désolait …

En me rapprochant je fis un pouce en l’air à Twinky accompagné d’un merci à voix basse, et me présentai devant lui. Immédiatement et sans prévenir il reçu une gifle qui résonna dans tout l’entrepôt. La trace de mon gant sur sa joue et son nez ne devrait pas tardée à apparaitre en rouge vif. Les reflets métalliques de la crosse à l’extrémité du pistolet dans ma poche lui était clairement dévoilé, comme un sous-entendu de ce que nous étions potentiellement prêt à faire.

« Fermez-là. Vous vous comportez comme un enfant apeuré et stupide, faite au moins honneur à vos diplômes. » Ma main était prête pour une nouvelle gifle s’il l’ouvrait à nouveau. « On commence par vous le temps que votre copain revienne du pays des rêves. Aussi je vais être brève, vous allez me donner le contenu de ces puces, la raison d’un tel trafic pour du matériel défectueux, et ce que vous savez sur le vaccin contre l’Infection. »

Finalement la seconde claque partit toute seule, c’était gratuit et il me dégoutait beaucoup trop pour que je me retienne. Je dégainai mon arme à feu, animée par l’unique besoin de protéger mon enfant et ma famille de cette saloperie d’Infection, et appuyai avec le canon sur sa plaie béante au genou.

« Répondez et répondez vite. Plus vous ferez de bruit et plus j’appuierais fort. Mon ami derrière vous est d’ailleurs un expert pour ce qui est d’exécuter quelqu’un d’un peu trop gênant et/ou bruyant. Et la magnifique jeune femme ici excelle dans l’art de garder les gens en vie et apte à coopérer. La balle est dans votre camp … A moins que vous n’ayez déjà trop de balles. » Le canon du pistolet quitta le genou ensanglanté pour viser l’entrejambe du scientifique. « Répondez. Le contenu, le trafic, le vaccin. »

Je serrai les dents juste après, notre future fille n’appréciait pas du tout ce comportement et elle le faisait savoir douloureusement. Pourtant c’était pour elle que je faisais tout ça. Punaise j’appréhendais déjà les prochaines années avec une enfant aussi énergique … Tel père telle fille.

La route s’était muée en catabase dans son esprit apeuré. Il avait gardé son sang-froid, mais le trajet avait été une terreur nouvelle : il aurait pu se tuer, tuer Loden et faire son futur enfant orphelin, flippant. Ses jambes étaient fébriles quand il se dégagea de la cage en métal dont il avait été prisonnier durant tout le voyage. Les ordres de Theresa sonnèrent dans ses oreilles et il obéit, machinalement, attrapant le scientifique pour le coller sur une chaise avant de faire de même avec la seconde masse dans l’autre voiture, inerte et moins bruyante. Les deux furent attachés avec des chaînes et il prit soin de fouiller le mafieux pour vérifier s’il n’avait pas d’autres armes. Seulement, les hurlements parvenaient difficilement à ses oreilles canines, encore obstruées par les vrombissements d’un moteur imaginaire. La silhouette d’Ash apparut, extirpée des méandres de l’entrepôt, semblant scintiller à ses yeux : il crevait d’envie de l’étreindre mais dû retenir ses instincts. Et brusquement, il fut extirpé de sa torpeur.

La claque aurait presque pu lui brûler la joue, bien qu’il n’en fût la victime. Certes depuis l’infection supposée son humaine avait des comportements parfois, hasardeux, mais cette violence nouvelle saisit ses sens. Ses yeux écarquillés observaient la scène alors que ses oreilles papillonnaient ; il s’approcha quand les propos clamèrent sa maîtrise des tortures et se sentit, bien obligé, de faire bonne impression – pour une fois que son expérience n’était une source d’ennui vis-à-vis d’Ash.

Evidemment l’homme refusa de parler, ça aurait été trop simple si deux baffes suffisaient à délier les langues. Il se permit même de nous insulter malgré sa position. Nul ne pouvait nier qu’il avait du courage et de la fierté, certainement un peu trop mais surtout une absence totale d’instinct de survie. A moins qu’il n’espérât gagner du temps dans l’espoir que ses compagnons viennent le tirer de là.
Je fus cependant très surprise de voir Twinky s’y mettre aussi, et d’autant plus y prendre goût. Elle avait sortit un scalpel de son attirail médical et s’en prenait aux tendons apparents du pauvre homme, le faisant hurler de douleur. Le son résonna pendant plusieurs secondes dans cet immense entrepôt complètement vide et nul doute que cela allait par se savoir, nous n’étions pas si loin de la ville non plus. Je lui aurais bien enfoncé ma cagoule dans la bouche pour garantir le silence mais sans ça s’en serait fini de mon anonymat … Ou alors …
Avec quelques pas je passai derrière lui et fis bien attention à rester hors de vision du mafieux, puis je retirai cette protection de tissu malodorante pour la lui enfoncer entre les mâchoires. Suffisamment loin et vite pour qu’il ne puisse la retirer avec sa propre langue, mais pas assez profondément pour l’empêcher de respirer. Ce fut à ce moment-là qu’Alex prononça mon nom en demandant mon téléphone. Il ne fallut qu’un cheveux pour que je tourne la tête vers lui en l’interrogeant du regard et que la victime ne voit mon visage. Heureusement il n’en fut rien, je lui tendis simplement l’appareil sans trop savoir ce qu’il comptait en faire, et m’abaissai dans le cou de ma propre victime, ma main mutée couverte d’un gant de cuir sur sa gorge.

« Allons allons. Vous espérez sans doute que la situation tourne en votre faveur si vous faites suffisamment de bruit. Nous savons tous les deux que cela n’arrivera pas n’est-ce pas ? Si des amis à vous venaient à débarquer je peux vous assurer que vous ne serez plus de ce monde pour voir l’issu de cette rencontre. »

Un détail attira mon regard à l’intérieur de sa veste, un éclat de lumière comme l’écran d’un téléphone s’illuminant à cause d’un mouvement un peu trop brusque. Sans lâcher sa gorge de ma main droite je plongeai de ma gauche dans cette petite poche intérieure. En sortit un téléphone portable parmi les dernières générations présentes sur le marché et une petite liasse de documents pliés en quatre. Un coup d’œil suffit pour voir que l’alphabet utilisé m’était inconnu, cela ressemblait à du chinois, ou du coréen, enfin une langue asiatique …

« Miss tu saurais lire ce qu’il y a d’écrit ? » Demandai-je à l’attention de Twinky, c’était aussi une tentative pour la détacher de cette expérience morbide avec ce genou détruit. « Sinon j’y pense j’ai quelqu’un qui parle cette langue … » A ces mots je m’adressai à nouveau au scientifique, les lèvres à quelques centimètres de son oreille. « Un type qui me sort par les yeux mais qui a le mérite d’avoir engendrer une adorable petite bouille rempli d’amour. Un scientifique dans votre genre, à bosser dans un labo de médicament. Comme quoi tout n’est jamais perdu. Peut-être que ce n’est pas fichu pour vous non plus mon cher, voyons voir … »

Je pris son téléphone, tapotai dessus pour que le logiciel demande le code de déverrouillage. Puis je le pointai face à son propriétaire. La reconnaissance faciale, quelle formidable invention, en un instant l’appareil dévoilait tous ses secrets. Du bout du pouce et sous le regard du scientifique je me mis à naviguer dans les dossiers. Je déroulais sous ses yeux des captures d’une petite fille et d’un petit garçon, ici jouant ensemble, ici l’une maquillée en un adorable petit tigre, ici l’autre en train de faire ses devoirs. Tiens une avec toute la famille à la manière d’un selfie depuis le sommet d’un monument, la Tour Eiffel ?

« Vous avez une magnifique petite famille vous aussi. Ce serait dommage qu’ils leur arrive malheur à cause de leur père n’est-ce pas ? Je me doute bien que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour protéger votre femme et vos enfants, quoi de plus normal. Aussi vous pourriez comprendre que je suis capable de tout pour défendre la mienne. Et pour le moment vous êtes probablement la personne la plus à même de m’aider en répondant à mes questions. Cette infection, ce vaccin, ces puces. Répondez-moi et tout se passera bien. Je peux même vous assurez que vos supérieurs ne sauront rien de notre arrangement … En tout cas s’ils l’apprennent cela ne viendra pas de moi. Parole. »

Derrière moi Alex tentait de communiquer avec le mafieux grâce à l’application de traduction. Peut-être allait-il réussir à obtenir quelque chose aussi.

« Alors monsieur le scientifique ? La balle est dans votre camp. Et dans votre genou. » Terminai-je en lui retirant la cagoule servant de bâillon.

Sa réponse empreinte de douleur entre ses dents serrées me glaça le sang. Il n’y avait pas de vaccin. Il n’y avait pas de vaccin ? Il n’y avait PAS de vaccin ? Mon regard vira sur mon gant et ce qu’il cachait, cette mutation ignoble survenue depuis le début de ma grossesse et qui avait certes cessé de s’étendre mais qui obligeait à constamment la revêtir pour vivre en public. Cette saloperie qui infectait mon bébé alors même qu’elle n’était pas encore née.
Le mafieux derrière, et toujours aux prises d’Alex, parla de puces non désirées par Chroma qui servaient de monnaie d’échange contre la protection du quartier de Chinatown. Des puces qui contiendraient peut-être des informations, des indices, des pistes. Il nous fallait ces puces.
Le scientifique tentait de garder contenance, de rester un minimum respectable dans sa misérable situation et cet excès de confiance me fit vriller.
Le téléphone fut jeté à Twinky pour que l’instant d’après ma main gauche se saisisse de l’épaule du scientifique et la droite s’agrippe soudainement à sa gorge.

« Pars avec Theresa, il nous faut ces puces. »

Ma voix n’avait plus rien d’habituelle. Elle était rauque, cassante, agressive et plus grave qu’un camionneur enrhumé. Les yeux soudainement injectés de sang, une force animale et anormale se refermait sur les carotides et la trachée du prisonnier. Une violence sauvage, enragée, je ne me préoccupais même plus de sauvegarder mon identité, la colère était aveuglante. Rapidement face à lui, nos nez à quelques centimètres de se toucher, je serrais son cou sans plus aucune retenue.

« COMMENT ÇA PAS DE VACCINS ?! COMMENT ÇA ?! Il y en a FORCÉMENT UN ! Il DOIT y en avoir un !! MENSONGES !! MENSONGES !! Ça fait des années que cette merde existe ! Va pas me faire croire que vous n’avez rien fait pour protéger vos petits culs de cette saloperie ! Répond connard ! Répond ! PARLE !! Tu as l’occasion de laver ton âme de ses péchers ! AVOUE !! On a ta famille ! Tes amis ! Tous tes contacts et tes petits messages de merde ! PLUS AUCUN D’ENTRE VOUS NE SERA EN SECURITE !! »

Une douleur atroce me prit au ventre, si violente que je dû reculer brusquement et renverser le scientifique qui s’écrasa au sol la tête la première, son cou rougit par la prise. Bébé n’approuvait pas du tout cet élan de colère et le faisait savoir de la plus douloureuse des façons, m’obligeant à tomber à genou en me tenant le ventre. Les larmes ne tardèrent pas à couler, symbole d’une tension et d’une colère qui disparaissait un peu plus à chaque nouvelle goutte salée.

« Pourquoi ? … Pourquoi tout ça ? » Les sanglots rendaient ma voix tremblante, hésitante et instable. « Pourquoi ? C’est à cause Chroma que cette maladie se propage. Ils ont forcément réfléchi à une façon de protéger leurs membres et leurs familles. Il y a forcément un vaccin … Pourquoi est-ce que vous ne nous aidez pas ? »