Tu t’arrêtes soudainement en entendant les échos de voix, de peur qu’on vous repère ou qu’on vous tende un piège. Tu essayes de les écouter, mais tu ne comprends pas grand-chose pour le moment. Alors tu t’approches jusqu’à cette salle avec des écrans, presque obnubilé par ces lumières et ces nombreuses images. Quand tu remarques qu’il y a deux hommes à l’intérieur en train de surveiller le tout, tu te recules, te tournant vers Wen pour réfléchir.

« On les crève. Je veux pas prendre de risques. Je prends celui de gauche. »

Oui, ça risque d’être mauvais, mais tu trouveras un moyen pour cacher les corps. Et tu essayeras de ne pas faire couler trop de sang, alors que tu viens sortir une lame bien acérée.

« Y’a des silencieux sur les armes. Sinon, je te file un couteau. »

Tu laisses la lame glisser jusqu’à l’hybride, avant d’entrer dans la pièce en premier. Tes pas sont lourds, mais tu te fais le plus discret possible, arme en main en te calant dans l’ombre de l’homme et du siège. C’est pas simple d’être vraiment discret quand on mesure deux mètres dix, mais tu te faufiles finalement jusqu’à l’homme pour l’attraper fermement, bloquer sa respiration d’une main et laisser la lame lécher profondément sa gorge. D’un coup d’œil sur les écrans, tu essayes de retrouver les deux femmes qui sont parvenues à rentrer. Tant mieux pour elles, mais maintenant, il fallait se rassembler.

Dans la précipitation, Kaguya n'avait pas remarqué que la foule avait si bien happé Hanako dans son étreinte que l'hybride avait disparu, la laissant seule. Lorsque la lapine se retourna, après avoir tourné un énième couloir, elle perçut son cœur s'accélérer. Elle paniquait. Ce qui n'était bon ni pour elle, ni pour la mission. Fermant les yeux, Kaguya s'obligea à inspirer lentement pour détendre ses nerfs. Les lapins étant cardiaques, elle ne devait pas laisser cet organe partir en vrille.

Hanako devait aller bien. Elle prendrait juste plus de temps pour la rejoindre ou avait un autre plan.

Résolue, Kaguya reprit sa marche. Comme elle s'en doutait, les loges étaient surveillées. Forcer l'entrée était hors de question.

Le culot pouvant lui être utile, la lapine tenta une percée. Elle se rapprocha de la sécurité, baissant humblement les yeux. Elle se devait de passer pour une hybride soumise et fortement impressionnable. Une parfaite petite servante.

— Ex-Excusez moi... On-on m'a dit que Miss Johnson avait besoin d'aide pour se préparer. On m'a dit de venir aux loges. Je-Je suis nouvelle, c'est ma première journée.

Allez une petite esquisse de révérence pour appuyer son rôle, cela devait fonctionner. Elle l'espérait.

Pas peu fier de voir l’espion s’emparer d’une vie si fragile à tes yeux. Tu hausses les épaules, l’organisation, ça n’a pas vraiment été ton fort. Tout a l’air de bien se passer, jusqu’à ce qu’une des hybrides se fasse attraper. Et merde. Il faudra la récupérer après, si elle et en grand danger. En attendant… Il faut se concentrer sur l’objectif.

« On les rejoindra à un moment où un autre ; nous, on doit se frayer un chemin vers les loges, et vite. »

Pointant vers un des écrans, tu essayes de mettre en valeur la trappe. Au vu de ta carrure… Tu ne passeras sûrement pas, la faute à ces épaules bien trop larges. Dommage, tu n’es pas vraiment souple.

« Hum… Je te laisse le choix de me suivre, ou de passer par la trappe là-bas. Je me débrouillerai bien… »

Non, tu vas pas te débrouiller. Tu peux tenter de forcer, parce que tu n’as clairement pas envie de passer devant tout le monde, ce serait du suicide.

« Je vais essayer de trouver de quoi faire, au moins pour me cacher. Un chapeau, une chemise, j’en sais rien, je vais me faire passer pour un putain de figurant pour essayer de passer. »

Tu n’as pas le choix… Tu dois assister ce petit groupe pour la réussite de la mission. Et ça commence par quitter la pièce, pour aller chercher des déguisements ou n’importe quoi pour qu’on ne reconnaisse pas ta gueule. Bordel.

Elle avait réussi ! Kaguya se mordit l’intérieur de la joue pour réprimer le sourire qui menaçait d’irradier sur son visage tel un phare en pleine tempête. Gardant ostensiblement les yeux baissés, l’hybride franchit le seuil laissant le garde refermer la porte derrière elle. Relevant les yeux, Kaguya observa les lieux d’un rapide coup d’oeil. Il régnait dans la pièce un capharnaüm, celui de l’empressement agitant les coulisses avant le spectacle. Des épingles jonchaient le rebord de la coiffeuse. En voyant l’hybride agenouillée aux pieds de Beatrice, concentrée sur sa tâche, les mains rendues tremblantes par la crainte d’une punition, Kaguya sentit son coeur se serrer.

La présence de la domestique humaine entravait ses mouvements. Cette dernière pouvait sonner l’alerte à tout moment. S’il n’y avait eu que l’hybride, Kaguya aurait pu tâcher de lui faire embrasser sa cause ou, du moins, la persuader de la seconder.

Au moindre faux pas, tout était terminé.

La voix emplie d’orgueil de Beatrice dégoulina sur elle tel un jus épais et poisseux.

« Allons bon, encore une stupide hybride pour me masser les pieds cette fois ? »

— Si cela vous agrée, Madame.

Refréner le cynisme, ravaler sa salive, courber l’échine : les leçons de Madame revenaient à flot, guidant les mouvements de Kaguya. La coiffure est déjà toute apprêtée et la maquilleuse fait remarquer, par un regard appuyé, qu’elle n’acceptera pas qu’on vienne la gêner dans sa tâche.

Le cou nu, la nuque offerte, souffle une idée à Kaguya.

— Ou nous pourrions vous proposer d’essayer quelques bijoux. Une parure souligne toujours la beauté d’une femme. Peut-être un collier à pendant ? Ou un tour du cou ?

Si Beatrice acceptait, ce serait l’occasion de pouvoir fouiller dans ses affaires et dénicher un quelconque objet pouvant lui être utile. Auquel cas, elle aurait l’occasion de se rapprocher physiquement de l’artiste, assez près pour la saisir et s’en servir comme otage.  

Quoi de mieux que d’avoir l’air d’un clown pour être sûr qu’on ne te reconnaisse pas ? Cette supercherie aurait pu marcher, si on était pas venu t’emmerder. Ton sang ne fait qu’un tour, tu fais les gros yeux et tu sens tes poils s’hérisser. Jamais on est venu t’emmerder comme ça, surtout par un inconnu… Mais au moins, le déguisement passe. Il n’a peut être pas remarqué ta taille monstrueuse… Ou alors il s’en fout. Tant mieux.

Obligé de le suivre, tu commences à faire tout un cinéma. Tu viens tenter de t’aérer, tu cherches une solution pour gagner du temps alors que tu fais même semblant d’hyperventiler. « Attendez… Attendez. » Les voix dans ta tête hurlent, tu finis par vraiment prendre ce cinéma à cœur jusqu’à laisser les larmes te monter aux yeux, de plus en plus instable.

« Je me sens vraiment pas bien… J’ai vraiment besoin de boire un coup. C’est ça ou je m’évanouis sur scène ! »

Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour tenter d’échapper à cette humiliation publique ? Les larmes coulent sur ton maquillage approximatif, Alors que tu fais mine d’être au plus mal pour espérer rejoindre les coulisses, et accessoirement, les loges.

Décidément la flatterie avait de beaux jours devant elle. Kaguya se dirigea vers la valise désignée par la star de ce soir. En avançant, l’hybride put apercevoir Wen qui demeurait tapi parmi l’imbroglio de valises qui obstruaient le fond de la salle. Faisant mine de fouiller dans les affaires de Béatrice, Kaguya écoutait Wen, ses oreilles tendues dans sa direction.

« Essaie de la faire dégager doucement, si jamais t’y arrive pas, on utilisera la manière forte. »
— D’accord, souffla-t-elle, se relevant, les mains emplies d’une boîte à bijoux.

Le tout était de trouver comment obliger la maquilleuse à sortir. Son métier exigeait d’elle qu’elle demeura jusqu’au bout des préparations afin de mener les ultimes correctifs. Kaguya songea bien à tâcher la tenue de la femme d’une quelconque manière mais cela pourrait créer une explosion de colère du côté de Béatrice, ainsi que sa sortie forcée des loges.

Elle devait trouver une raison, une excuse, créer l’impact qui propulserait la maquilleuse hors de la pièce.

Kaguya réfléchissait à toute vitesse. Mécaniquement, ses mains ouvrirent la boîte révélant de multiples bijoux : colliers rutilants, bracelets étincelants, boucles de perle.Elle ne pouvait pas réclamer de la maquilleuse qu’elle aille chercher quoi que ce soit pour Béatrice : ce rôle incombait à l’hybride. Alors, quoi ? Il fallait trouver une excuse simple, éviter un quelconque scandale.

Docilement, Kaguya se tourna vers Béatrice. Entre ses doigts s’étirait un tour du cou tout en dorures fines.

— Voulez-vous l’essayer, Madame ? Devant ce miroir à pied, pour mieux contempler l’oeuvre.

Face à ce miroir, l’angle où se trouvait Wen se situait dans l’angle mort de la vision des deux femmes. Fermant le collier autour du cou de Béatrice, Kaguya s’exclama :

— Oh un châle serait parfait. Quelque chose de vaporeux… Vous en auriez un ?

L’échange semblait ennuyer la maquilleuse qui s’était éloignée du duo. Kaguya espérait qu’elle était assez près pour que Wen s’en occupe.

Mais quelle honte… Tu n’aimes vraiment pas ça. Et le stress monte, et les voix continuent de se faire plus stressantes. Tu sens tes poils s’hérisser, tes dents claquer entre telles, tu frissonnes et tu essayes de repousser toute la pression, en vain. Au moins, aux toilettes, tu as le temps de te rafraîchir un minimum, et de réfléchir à un plan. Hors de question de retourner sur scène, et tu rougis doucement quand une idée te vient. Merde…

Les gardes, tu pourrais peut-être n’en faire qu’une bouchée, mais tu préfères tenter l’approche normale au début, non sans cacher ta lame là où tu peux. Alors tu te rapproches… Tu sais que les autres sont pas loin. Et tu fais face aux gardes, tu leur sourit tout timidement.

« Excusez-moi, je suis pressé, le spectacle a déjà commencé, mais j’ai oublié mon tutu dans la loge des danseurs. Le metteur en scène m’a remonté les bretelles et il veut absolument que je revienne avec. Je peux ? »

Et si ça ne marche pas, tu te laisseras aller à la sauvagerie pour les tuer tous les deux. C’est ce que tu sais faire le mieux…

Les oreilles de Kaguya bougeaient telles de petites antennes, demeurant à l’écoute de Wen et de ses conseils sans pour autant lâcher Beatrice un seul instant. La jeune femme ne devait pas leur échapper : elle était leur cible privilégiée. Tout autre que Kaguya aurait profité de leur promiscuité pour saisir l’humaine, lui caler un bâillon entre les dents afin de la neutraliser au plus vite. Mais Kaguya n’était nullement rompue aux arts du combat, ni même à ceux de l’infiltration. Elle devait s'accommoder des rares cordes que son arc avait à sa disposition.

Le rôle de la servante fonctionnant depuis tout à l’heure, la lapine continua son boniment.

— Qui peut bien obliger une dame comme vous à réaliser quelque chose qu’elle ne désire pas ?

La flatterie était sa meilleure arme. Kaguya demeurait quelque peu en retrait de l’humaine, veillant à ne jamais la toucher. Surtout ne pas faire preuve de pitié. Une partisante d’Humanis n’y verrait là qu’insulte.

— Ne pouvez-vous envoyer quelqu’un d’autre à votre place pour vous décharger de ce fardeau ?