TW : Prélèvement et trafic d’organes, meurtres, thanatopraxie. - Spoiler:
2029 - 2047 : Selkie née en cuve et suit une éducation stricte dans les locaux de Chroma. On lui diagnostique un trouble de l’attention.
2047 - 2050 : Selkie est placée temporairement en animalerie et est témoin d’un accident de voiture lors de son séjour ; elle parvient à sauver une enfant, mais garde les évènements de l’accident pour elle. Selkie est par la suite envoyée à l’aquarium de New-York où elle servira de mascotte dans un box dédié.
2050 - 2052 : Lors d’un cambriolage de l’aquarium, Selkie est enlevée avec d’autres hybrides aquatiques. Destinée à être vendue sur le marché noir, elle parvient tout de même à s’échapper et à trouver refuge dans une association pro-hybride dans le Queens. Elle y reste deux années, jusqu’au jour où un contrôle des forces de l’ordre tourne au vinaigre et l’incite à partir.
2052 - 2053 : Selkie passe plusieurs mois dans la rue. Elle manque de mourir de froid et de faim, mais la personne qu’elle a sauvée autrefois la retrouve par hasard et décide de l’adopter.
2053 - 2055 : Selkie est une hybride domestique rattachée au clan des Zhang et passe le plus clair de son temps à faire le ménage ainsi que les courses.
2055 - 2060 : La maîtresse de Selkie monte une clinique factice dans le quartier de Brooklyn et l’hybride est tenue d’y travailler. Elle suit une formation de croquemort avant l’ouverture de la section des pompes funèbres, à côté de l’établissement de santé.
2060 - 2063 : Depuis l’ouverture des pompes funèbres, Selkie y travaille en tant que croquemort et receleur pour un trafic d'organes à ses dépens. Elle attire les hybrides désespérés ou errants pour prélever leur organe et les tuer.
2029-2047, CHROMA - Faisant l’objet d’une commande pour un grand aquarium américain, tu faisais partie d’un lot de trois hybrides inspirées des sirènes pisciformes d’Europe et destinées à devenir les futures mascottes de l’établissement aquariologique. Afin de répondre aux exigences du client et de s’assurer du bon développement des hybridations croisées de chaque sujet, ce fut dans le creux d’une cuve aux couleurs étranges que l’on avait décidé de vous créer. Votre naissance à toutes les trois aurait pu rencontrer un franc succès, si vous n’aviez pas été conçues aussi prématurément. Cette première vague d’hybrides nés en cuve avait connu de nombreux succès, mais aussi de terribles échecs et tes deux sœurs n’en étaient pas sorties indemnes. La première s’était asphyxiée quelques heures après sa naissance, tandis que la seconde avait été euthanasiée, suite à des difformités apparues post-partum. Tu ne te souvenais d’aucune d’entre elles, mais leur disparition avait creusé un manque - une sensation de vide bien difficile à combler.
Tu avais survécu, mais tes années d’éducation chez Chroma n’en étaient pas moins pénibles et fastidieuses à réaliser. Lorsque tu apprenais à marcher, les autres enfants savaient déjà parler. Lorsque tu apprenais l’alphabet, les autres enfants savaient déjà lire et écrire. Ce retard considérable dans ton apprentissage ne passait pas inaperçu aux yeux de tes éducateurs et ce ne fut qu’après plusieurs remontrances sévères qu’on te diagnostiqua finalement un trouble de l’attention. Cette bavure aurait pu te coûter cher si tu ne faisais pas preuve d’une obéissance et d’une docilité exemplaire ; tu n’étais pas de ces hybrides défectueux bons à jeter et le gérant de l’aquarium tenait énormément à l’aboutissement de ce projet. Cochant tous les critères d’ordre purement esthétique et pratique, il était vain de s’acharner à développer ton intellect ou ton bon sens. Nul besoin de t’apprendre à gérer tes émotions, tes larmes ne se verront jamais sous l’eau. Nul besoin de résoudre tes problèmes d'orthographe ou d’élocution, tu n’étais qu’une jolie pièce de collection qui resterait coincée derrière une plaque de plexiglas. Au mieux, tes formateurs t’apprenaient à faire le ménage et la cuisine, en dépit de ta maladresse naturelle et catastrophique - notamment dans l’éventualité d’une annulation de dernière minute de la part de l’aquarium, histoire que tu restes une hybride un minimum décente pour une vente en animalerie.
Ne savait-on jamais…
2047, ANIMALERIE DE NEW-YORK - On t’avait toujours reproché tes problèmes de concentration et de retard, mais il fallait bien avouer que tu étais loin d’être la seule personne à manquer d’organisation dans ce bas monde. Pensant être transportée vers l’aquarium de New-York, les humains chargés de ton transfert s’étaient bien gardés de t’informer sur ton séjour temporaire en animalerie. Ton arrivée sur site avait été repoussée pour une durée indéterminée, le temps qu’un chantier ne se termine et qu’on puisse t’accueillir avant la période estivale. N’étant pas à vendre, tu te contentais d’attendre le jour fatidique tout en rendant quelques services basiques au propriétaire de l’établissement.
Lors d’une commission en ville pour l’animalerie, tu assistais avec impuissance à un grave accident de la route ; un poids lourd venait de percuter une voiture de plein fouet sous tes yeux choqués. La scène était si brutale qu’elle te paraissait irréelle… mais des cris provenant de l’un des deux véhicules te tiraient de ta torpeur. Lâchant ton panier de course et agissant sans réfléchir, tu te précipitais vers la voiture en piteux état. Tu profitais d’un trou présent dans la vitre de la portière avant-droite pour déverrouiller la sécurité et trouver une adolescente grièvement blessée au dos et en larme, à côté d’une adulte inconsciente et avachie sur son volant. D’un simple coup d'œil, tu comprenais que l’enfant perdait beaucoup de sang et tu n’attendais pas l’arrivée des secours pour extirper la petite humaine en dehors du véhicule. Alors que cette dernière tentait de revenir dans l’habitacle, tu tirais sur l’un des bras de sa mère dans l’espoir vain de la sauver à son tour avant de réaliser deux choses : tu ne pouvais pas la sortir du véhicule et… elle n’était plus
là.
C’était une sensation étrange et marquante.
Une intuition glaçante et terrifiante.
L’humaine venait de rendre son dernier souffle devant toi et pour la première fois de ta vie, tu faisais face à ce qu’on appelait plus communément
la mort. Horrifiée, tu lâchais ce bras auquel tu t’étais bien trop longtemps agrippé avant de sortir précipitamment de la voiture. L’adolescente essayait une nouvelle fois de retourner auprès de sa mère, mais par réflexe, tu la tirais vers toi et la tenais fermement dans tes bras en veillant à ne pas presser ses plaies. Tu ne savais pas comment réagir. Tu aimerais t’excuser auprès de la petite humaine, mais aucun mot ne sortait de tes lèvres. Alors tu te contentais de la tenir contre toi et de pleurer avec elle jusqu’à ce que les sirènes d’une ambulance et celles des pompiers ne se fassent entendre. Il y avait beaucoup de bruit et beaucoup de lumière. Lorsqu’un humain vêtu de noir et de jaune s’approcha de vous, tu relâchas l’adolescente avant de prendre la fuite. Tu ne voulais pas rester ici plus longtemps. Tu culpabilisais. Tu avais l’impression d’être l’auteure de cet horrible drame - ce qui était bien absurde. C’était donc les mains vides et avec un visage larmoyant que tu retournais à l’animalerie sans te poser de question et espérant ne pas avoir été reconnue sur les lieux de l’accident. En l’absence des sachets de courses et d’explications, autant dire que le propriétaire de l’animalerie ne fut guère content et tu te fis taper sur les doigts.
Tu préférais garder cet accident pour toi, étant incapable de poser des paroles sur ce qu’il s’était passé et sur tes ressentis. Tu préférais occulter ces évènements…
Ils n’ont jamais existé… Si tu y penses assez fort, ils n’auront jamais existé… 2047-2050, AQUARIUM DE BROOKLYN - Le vaste monde sous-marin t’avait toujours intriguée et faite rêver… alors pourquoi ce monde-ci était-il aussi morose et ennuyeux ?
Depuis ton arrivée à l’aquarium, tu passais l’essentiel de tes journées enfermée derrière une vitre en plexiglas, assise dans un décor fantaisiste et coloré. Chaleureuse en toute circonstance devant ce public que tu côtoyais tous les jours, tu cachais ta lassitude et ta fatigue derrière un fin sourire et des yeux rieurs. Déguisée et parée de bijoux en plastique, tu devais parfois nager plusieurs heures dans l’eau froide et parmi les poissons pour émerveiller les petits bambins venus te voir pour l’occasion. Il t’arrivait aussi de participer aux spectacles des otaries ou des dauphins sous l'œil avisé et inflexible des dresseurs, plusieurs fois dans la semaine. Au début, tu aimais ce quotidien. Tu aimais qu’on te regarde et qu’on te sourit. Malheureusement, à force de rester constamment enfermée et de marcher sur le fil lors des représentations sans connaître de vrai repos la nuit, tu avais l’impression de perdre un peu plus la tête chaque jour. Tu n’avais plus aucune notion du temps qui s’écoulait et tu souffrais de stéréotypie comme les autres hybrides aquatiques de l’établissement. L’anxiété était devenue ta meilleure amie après trois longues années d’enfermement et tu te demandais parfois à quoi pouvait bien désormais ressembler le ciel de New-York…
Il y avait toujours du monde. Il y avait toujours du bruit.
Il y avait toujours des ordres. Il y avait toujours des règles.
Il t’arrivait d’avoir l’esprit ailleurs et de ne plus être assez réceptive ou réactive par rapport à ta réalité. C’était triste à voir, mais c’était toujours mieux que de s’emporter ou de devenir agressif avec les humains. Tu avais vu bien assez d’hybrides d’exposition se faire réprimander sévèrement lors de leurs sautes d’humeur ou de leur crise de colère. Et toi, tu ne voulais vraiment pas te faire réprimander…
Tu es gentille. Tu es docile. Tu es obéissante.
Tu fais bien ton boulot. Ils sont contents, n’est-ce pas ?
Tu es une bonne hybride, après tout…2050-2052, REFUGE DANS LE QUEEN - Au cours de l’année 2050, des personnes aux objectifs douteux avaient dévalisé l’aquarium et étaient repartis avec les hybrides aquatiques de l’établissement - bien évidemment, tu n’échappais pas à cette rafle méticuleusement organisée par les malfrats. Il s’agissait d’humains peu scrupuleux qui souhaitaient revendre leur cargaison d’hybrides atypiques sur le marché noir et à bon prix. Après avoir trafiqué les puces de Chroma greffées à votre nuque, ils finirent par parquer quelques premiers hybrides à l’arrière d’une camionnette sans le moindre ménagement. Cédant à la panique et prenant tes assaillants par surprise avec les pics présentes dans tes nageoires, tu parvins à t’échapper de ce bourbier pour disparaître dans les ruelles de la ville. Ta fuite n’avait aucune logique et tu ne connaissais pas assez New-York pour te repérer. En échappant aux voleurs, tu t’étais aussi perdue au beau milieu de la nuit. Incapable d’aligner correctement deux mots pour demander ton chemin, tu errais quelque temps dans les rues avant qu’un bénévole d’un refuge pro-hybride ne te vienne en aide. Tes phrases ne faisaient aucun sens et ton vocabulaire était aussi rudimentaire que celle d’un enfant de maternelle, mais bien que la communication n’était pas toujours aisée, tu avais trouvé un toit sous lequel dormir et une table à laquelle manger le temps que du personnel de l’aquarium ne viennent te récupérer grâce à la localisation de ta puce. Tout du moins, c’était ce que tu pensais… L’ambiance au refuge était différente de celle que tu avais connue chez Chroma ou à l’aquarium et des personnes bienveillantes et patientes s’étaient attelées à te réapprendre à parler et à écrire correctement - ou presque. On te rassurait. On t’aidait. C’était nouveau. C’était agréable.
Deux ans plus tard, le refuge se ralliait à d’autres associations pour former l’actuelle Unity.
Deux ans plus tard, tes propriétaires n’étaient toujours pas venus te chercher.
Deux ans plus tard, tu n’avais toujours pas trouvé ta place parmi ces merveilleuses personnes… En seulement quelques années, le monde avait bougé, mais toi, tu n’avais pas spécialement changé. Malgré toute la bonne volonté du monde, tu n’étais pas douée pour grand-chose et la moindre tâche que tu entreprenais de réaliser finissait toujours en corvée pour les autres. Tes collègues préféraient refuser poliment ton aide plutôt que de créer une catastrophe en l’acceptant. Ils ne pensaient pas à mal et tu en avais bien conscience, mais tu te sentais tellement redevable et terriblement inutile que la situation te déprimait. Ce fardeau pesait sur ta conscience jusqu’à une certaine journée de 2052… De manière générale, tu ne te sentais pas spécialement concernée par la cause des hybrides et tu ne trouvais pas d'écho dans les paroles de ces hybrides qui faisaient entendre leur voix et leurs convictions dans les rues. Néanmoins, ces premières manifestations pacifiques et les prémices des déviants avaient ramené les forces de l’ordre devant les portes de ton refuge. Ce qui devait être un simple contrôle de routine dérapa rapidement en arrestations corsées pour les hybrides qui auraient eu le malheur de se débarrasser de leur puce. De peur qu’on ait quelque chose à te reprocher ou qu’on te tire dessus, tu pris la poudre d’escampette et quittais définitivement Unity. Hantée par la culpabilité et la honte, tu ne retourneras pas à l’association.
Ils ne t’accueilleront jamais une deuxième fois.
Pas après ta lâcheté et ton inutilité.Dans ton esprit malade et distordu, tu en étais intimement convaincue…
2052-2053, NEW YORK - N’ayant plus aucun foyer vers lequel te tourner, tu te résignais à passer l’automne ainsi que l’hiver dans la rue, au risque d’y laisser ta peau. Alors que les jours se raccourcissaient progressivement, la faim creusait ton ventre et la soif asséchait ta gorge. Fouillant dans la moindre poubelle new-yorkaise, tu traînais ta carcasse d’un quartier à l’autre en quête de nourriture et de vêtements. Tu te cachais sous un poncho et une veste de fortune pour ne pas attirer les regards avec tes hybridations. Tu écaillais les petits poissons et désossais les petits rongeurs qui avaient le malheur de tomber entre tes griffes à l’aide d’un précieux couteau que tu ne quittais jamais. Tu crevais de faim, à un tel point que tu pourrais grignoter des écorces d’arbre ou siffler des brins d’herbe. Malheureusement, la saison hivernale n’était pas propice pour ce genre d’activité. Le froid engourdissait tes membres et te saisissait en traître lors de ton sommeil. A peine fermais-tu les paupières que tu n’étais plus certaine de pouvoir les rouvrir le lendemain.
Personne n’était à ta recherche actuellement et tu savais pertinemment que tu rendrais l’âme dans l’indifférence la plus totale avant le début du printemps. C’était inévitable… Tout du moins, jusqu’à ce qu’un fantôme du passé ne se présente devant toi. C’était un visage aussi familier qu’inconnu dont l’âge avait épousé les traits. Ce n’était plus cette petite fille terrorisée et larmoyante que tu avais sauvé autrefois, mais plutôt une jeune femme à l’expression froide et à l’aura imposante. Pourquoi se présentait-elle ici ? Pourquoi maintenant ? Était-ce la Mort ou son émissaire qui venait te chercher ? L’humaine te posa quelques questions auxquelles tu répondis fébrilement derrière les pans de ton poncho, avant qu’elle te tende une main pour t’aider à te relever et te convier à la suivre.
Oui… Cette rencontre inespérée venait de te sauver la vie.
2053-2055, MANHATTAN - Pour la première fois depuis ton départ de Chroma, tu expérimentais le quotidien banal d’une hybride domestique somme toute ordinaire. Ton travail se résumait essentiellement à maintenir la résidence propre, à récupérer les courses alimentaires et à faire acte de présence lorsque ta maîtresse en ressentait le besoin. De manière générale, tu aimais cette nouvelle vie et tu fermais les yeux sur la maltraitance et le mépris que le clan des Zhang ou la famille des Ling pouvaient exprimer à ton égard. Tu étais bien trop redevable et docile pour te permettre de rétorquer quelque chose ou de te plaindre de quoi que ce soit. Tu te contentais simplement de faire ton boulot et de te rendre assez utile pour que l’on ne te considère pas une nouvelle fois comme un fardeau. Tu restais maladroite et longue à la détente, mais tu faisais toujours ce que l’on attendait de ta personne. Toujours. Jusqu’au bout. Sans te poser de questions.
2055-2060, CENTRE MÉDICAL BROOKLYN HOPE - Lorsque ta maîtresse empocha ses diplômes et termina ses longues études, elle se mit en tête de créer une clinique privée dans le quartier de Brooklyn. Ce projet - ô combien surprenant - chamboulait ton quotidien monotone et t’apportait de nouvelles occupations. Tu ne jouais pas le rôle d’une infirmière ni même celui d’une secrétaire, mais tu te chargeais de nettoyer les locaux et de transporter des grandes glaciaires provenant des blocs opératoires jusqu’aux sous-sols de l’établissement. Tu avais compris, en renversant l’une de ces boîtes, qu’elles contenaient des étrangetés visqueuses et rougeâtres qui empestaient le sang. Ne sachant pas à quoi pouvait ressembler un foie ou un estomac, tu étais à mille lieux de te douter que ces étranges boîtes froides faisaient l’objet d’un trafic d’organes orchestré par ta maîtresse. A vrai dire, tu ignorais que la clinique n’en portait que le nom et que tu participais indirectement à ce trafic lugubre.
Cette situation te dépassait et tu te contentais de suivre les ordres sans te poser de questions. Tout simplement. Tu n’avais pas besoin de réfléchir.
Après quelque temps, il naquit une nouvelle idée dans l’esprit de ta maîtresse pour parfaire ses manigances ; celle d’installer un service de pompes funèbres rattaché à l’établissement de santé. Il était compliqué de laisser repartir un patient avec un organe manquant, mais lorsqu’il s’agissait d’un prétendu défunt destiné à la crémation… Dans cette optique et afin de s’assurer de n’avoir que des personnes de confiance sur ce projet morbide, tu fus placée sous la tutelle exclusive d’un médecin du clan Zhang chargé de t’apprendre quelques pratiques chirurgicales et poser les bases de ton prochain travail. En parallèle à ces années d’apprentissage totalement illégales, tu suivais une formation non-officielle de croquemort sous les ordres de ta maîtresse.
Comme l’avait été ton éducation chez Chroma, c’était fastidieux et compliqué à intégrer. Néanmoins, le processus d’apprentissage consistait principalement à réaliser des tâches d’assistanat et il n’était pas spécialement important que tu saches refermer correctement un corps dans le but de le maintenir en vie.
2060-2063, POMPES FUNÈBRES - Les pompes funèbres de ta maîtresse ouvrirent leurs portes en 2060 et depuis lors, tu travaillais dans cette nouvelle section de la clinique à plein temps. Officiellement, tu assistais le personnel et aidais à préparer les cercueils ainsi que les cérémonies funéraires. Officieusement, tu t’occupais des corps des défunts en les nettoyant scrupuleusement et en les apprêtant soigneusement avant leur mise en bière. Ceci dit, tes occupations ne se limitaient pas seulement au monde des morts.
Jouant un rôle clef dans le trafic d’organes des Ling sans vraiment t’en rendre compte, tu t’occupais aussi d’appâter les hybrides malheureux désirant fuir leur quotidien d'esclave et souhaitant se débarrasser de leur puce. De tes lèvres coulait la rumeur d’un avenir radieux et rempli d’espoirs ; les pompes funèbres promettaient une terre d’asile et un refuge pour tes compères, alors qu’il ne s’agissait en réalité que d’un horrible guet-apens. Aucun hybride ne pouvait s’échapper en un seul morceau après avoir mordu à ton sinistre hameçon. Lorsque la table d’opération n’était pas occupée par un cadavre, tu plongeais ces pauvres créatures dans un ultime sommeil en leur promettant que leur puce serait extraite à leur réveil. En réalité, cette anesthésie générale te permettait de cueillir les organes fonctionnels sans craindre d’en perdre la fraîcheur avant conservation. Mettant un terme aux souffrances de l’hybride, tu le débarrassais aussi de ses attributs atypiques à destination des collectionneurs d’hybridations avant d’envoyer le corps à l’incinérateur pour lui permettre de reposer en paix.
Regrettais-tu ces actes ?
Éprouvais-tu des remords face à ces horreurs ?
Pas un seul.
Rien.
Persuadée d’être utile à ta maîtresse tout en soulageant ces pauvres hybrides auxquels tu épargnais un avenir misérable, tu ne te rendais pas compte du mal que tu perpétrais autour de toi. Tu n’avais pas conscience que tu charcutais des innocents pour enrichir des poches d’argent sale, ni même que tu tuais allègrement tes victimes sous couvert de les sauver. Au contraire, tu étais plutôt heureuse de pouvoir rendre service à tout le monde et à ta manière.
Tu es une bonne âme, Selkie, et la Mort est une amie capricieuse.