Pour survivre dans ce monde hostile, un hybride se doit d'être discret et efficace. Il doit pouvoir se fondre dans la masse et, s'il est dépucé, se faire passer pour un humain. Respectueux et travailleur, Signature sait que chaque action doit se faire en son temps et que l'on ne peut rien accomplir d'envergure si l'on est seul.
Marginalisé à la fois par sa nature d'hybride et son métier de dératiseur, il a trouvé en l'art une façon de se connecter au monde. Ce n'est pas qu'il n'est pas sociable, mais il n'est pas le genre de personne que l'on aime côtoyer. Et puis il s'y est fait, à ses petites habitudes de solitaire. Avec qui pourrait-il partager son art ? Ses expériences ? Ses anecdotes de métier ? Ce serait aller à l'encontre de la prudence la plus élémentaire.
La morale est un concept très flou à ses yeux : l'essentiel, c'est d'arriver à ses fins. Bien-sûr on peut minimiser la casse au passage !

La vie a toujours synonyme de débrouille. Ne pas se faire remarquer. Ne pas refuser un job correct. Ne pas rater le paiement du loyer. Mais depuis ce jour où il est tombé sous un carton du Bronx, Signature n'a fait que s'élever. De ses petits jobs journaliers à son accord avec cette boite d'exterminateurs de vermines, il a su tirer son épingle du jeu. Désormais il occupe un luxueux appartement de dix mètres carrés, chauffé, et avec une fenêtre donnant sur un mur décrépit.
Mieux, il s'est mis à espérer. Depuis un mois, Il a trouvé LA combine. Celle qui rend enfin sa condition d'hybride avantageuse. Celle qui remplit ses poches de billets verts. Celle qui lui permet d'exprimer son art ! Signature pousse la lourde porte qui le sépare de son prochain salaire. Il avance jusqu'au comptoir blindé où il dépose un flacon et une note de papier.

- Signature. Les concentrations sont notées là. C'est important de respecter les dosages si vous ne voulez pas rendre dingues les limiers.

Sans prévenir, il baille au point de devoir essuyer ses yeux cernés. Qu'importe, son masque couvre sa gueule. Signature ? Ouais, c'est à la fois son pseudo, son nom et son identité. C'est sa signature quoi. Le clin d’œil à son art et son hybridation. Un bruit de trappe métallique se fait entendre, sa marchandise disparaît du comptoir. Une voix s'élève de l'autre côté :

- Retrait au point habituel. Ah, le Lion m'informe qu'il va avoir besoin de doses pour ses filles.
- Combien  ?
- Vu la fréquentation du moment, pour trois cents clients par semaine, au moins.

Sig' grimace. Produire une telle quantité, tout assurant son job et sans se planter sur la qualité du produit... Le Lion est vraiment un client exigeant. Mais il ne peut se permettre de le contrarier, encore moins de se le mettre à dos. Tant pis, il reportera son grand projet.

- Tu peux ou pas  ?
- Ouais. Je vais me débrouiller.

Un mal pour un bien, car lorsque le coup de cette nuit sortira au grand jour, il devra se faire plus discret. Pour la première fois de sa triste vie, il a hâte ! Il se sent vivant, c'est si grisant que ça le fait tapoter sur le comptoir avant de se reculer d'un pas léger.

- À plus !

Signature quitte les lieux. Sa journée de dératiseur va bientôt débuter et il a un rendez-vous à ne pas manquer. Il file jusqu'à la station la plus proche, somnole sur le trajet, puis descend à son arrêt. Il sort des entrailles de la ville pour s'émerveiller de la surface d'Harlem. Puis il attend. Le soleil commence à briller, et c'est alors que le métro aérien apparaît. Il l'admire. Avec douceur, les UV du soleil dévoilent une magnifique fresque qui s'étend sur toute une rame. Elle représente l'un des cadres dirigeants d'Humanis, sous une forme mi-humaine, mi-porcine. La posture est particulièrement peu flatteuse. Signature sourit derrière son masque. Ce graff entre sans conteste dans le top 5 de son art. Autour de lui, il entend les réprobations des passants, les hoquets de surprise et la clameur des indignés. Encore un sacré coup de pied dans la fourmilière.