La colère hurle dans chaque pore de sa peau. Blaine est un homme dont la haine l’a poussé à devenir d’une vulgarité dissonante. Il n’accorde sa confiance à personne, s’armant d’une sauvagerie meurtrière. Tu es dans son camp où tu es contre lui, il n’existe plus aucune demi mesure dans son vocabulaire car son innocence a été brisée trop jeune.

Il se complaît dans un malheur, dans des douleurs qui le forcent à avancer jusqu’à son but. Et rien ni personne ne pourra jamais l’en détacher. Ce qui a transformé l’hybride en une brute sanguinaire qui ravage de ses poings sans distinction lorsqu’on lui annonce qu’il doit les utiliser.

Sa méfiance l’a rendu paranoïaque, il observe le monde avec la certitude qu’un jour on le plantera. Qu’on le fera retourner dans cette cage dorée où il était forcé de se battre, d’abandonner son ancienne humanité et n’être qu’un objet au plaisir d’un véritable monstre. Alors il insulte, il se protège de sa carrure monstrueuse.

Il dort peu aussi, abattu de sa dépression, de ses traumatismes. De ce qu’il a vécu comme un cauchemar qui devient lointain mais qui le rattrape tous les jours. Blaine ne supporte plus qu’on l’approche, il s’apprécie dans sa solitude car dans une certaine réalité, il a peur. Il craint de s’attacher et qu’on lui arrache ce qu’il aime tant.

Il a découvert des petites addictions desquelles il ne peut plus se défaire. L’alcool, la clope, c’est des soulagements qu’il s’octroie pour s’oublier un peu plus. Blaine se noie lentement.

Tout n’est qu’une façade pour protéger ce corps meurtri. Une mascarade qui lui colle tellement à la peau qu’il n’est plus en mesure de s’en débarrasser. Un hybride détruit par un fléau. Un humain défiguré qui a oublié les loisirs d’une vie. Il n’est plus capable d’apprécier une chose, le monde est devenu d’un gris monotone duquel il rêve de s’échapper de son propre dernier souffle.

C’est pourtant d’un œil critique qu’il observe le monde lentement se détruire d’une guerre perdue d’avance. Loin d’être stupide, il est conscient des projets insensés des déviants. Mais de sa colère, il acceptera sans peine de faire des dégâts.

Son danger réside justement dans son regard brillant d’intelligence. Même s’il ressemble à une énorme créature sans cervelle, c’est oublié qu’il a été humain, qu’il raisonne comme un humain, mais qu’il se bat comme un hybride. Un lavage de cerveau n’a pas réussi à briser sa capacité d’analyse et sa prudence.

Blaine est pragmatique, réfléchi, ça ne lui empêche pas que sa colère le pousse à repousser les limites de son corps. La douleur lui fait oublier, le défoule. Il aime se battre, car c’est son exutoire, et une nouvelle victoire est une nouvelle arme pour atteindre son obsession.

2035 – Naissance des jumeaux Blaine et Laniel en France, d’un père américain et d’une mère française. 
2040 – Déménagement aux Etats-Unis. 
2045 – La mère part un jour, et ils n’ont plus aucune nouvelle. 
2050 – Ils retrouvent leur père pendu, avant qu’une femme de la mafia coréenne et investisseuse pour Humanis ne vienne leur annoncer que la mère était criblée de dettes qu’elle n’a jamais remboursé. Elle les prend alors sous son aile pour leur permettre de finir le lycée, et en profite pour augmenter la dette. 
2053 – Une fois majeur, elle cesse de s’occuper d’eux et les envoie travailler. Blaine devient son jouet en lui faisant du chantage en échange de la protection de son frère.  
2056 – Elle envoie Blaine dans les laboratoires de Chroma pour le transformer en hybride. 
2058 – Il ressort de Chroma détruit, et apprend le suicide de Laniel. Commence alors son entrainement pour la MDA. 
2059 – Il fait ses premiers combats en arène, il est plutôt bon et réussit à survivre tant bien que mal, uniquement son tout premier sera un échec. Blaine sera infecté durant un de ses combats, mais le cachera et sera à peine conscient de l'être.
2063 – Après une intervention d’Unity qui permet aux hybrides de s’échapper, Blaine sort, à moitié mort. Sa puce lui sera retirée par la même occasion. Il pourra alors enfin goûter à la liberté. 


Le sac sur l’épaule, Blaine se tenait légèrement en retrait, traînant les pieds en regardant le goudron sur lequel il traversait la ville. Laniel davantage attiré par l’idée de s’engouffrer dans l’étau confortable de sa couette l’avait devancé trottinant fièrement jusqu’à la porte d’entrée. Un quotidien insoutenable dans lequel ils menaient une vie à la banalité tendre, bienveillante. Un quotidien qui se fourvoyait de rêves et d’ambition. Un quotidien brisé lorsque le sac s’écrasa sur le sol, ce fut la gâchette qui élança la première balle pour éclater ce miroir, éclater le reflet et faire apparaître les non-dits de la violence acharnée d’une vie factice. 

L’incompréhension se dessina sur le visage de Blaine, qui s’écraserait plus tard de sa culpabilité de n’avoir su être présent, de ne pas avoir été le premier à pousser la porte. De ne pas avoir été le premier à hurler au milieu d’un voisinage stoïque. Il courut, franchissant les quelques mètres pour observer à son tour la réalité qui les attendait au tournant. Les orbes céruléens s’écarquillèrent d’horreur. La vision qui aurait dû être floue se gravait dans la mémoire, chaque détail se parcourant d’une netteté écœurante. L’immonde vérité éclatait, et Blaine saisit son frère, dissimulant trop tard son regard bien trop identique. L’odeur de la mort fit monter un haut le cœur, qui s’éparpilla sur le sol avant même qu’il ne puisse le repousser. Laniel venait de rendre son déjeuner aux côtés de son jumeau qui n’eut pas la force de réagir. 

Le corps était là, accroché au plafond. Le corps de l’unique personne qu’ils chérissaient. Le corps de celui qui les avait abandonnés. Le corps de leur père. Et ce ne fut qu’à ce moment que Laniel explosa d’un sanglot hurlant dans les bras de son frère. Ils n’avaient alors que quinze ans. C’était le glas qui sonnait le début de leur enfer. 

« Laniel, Blaine Adams, soupira une voix élégante au fond du couloir. Mes pauvres enfants, en voilà une fin tragique. »

Les deux adolescents tournèrent leur visage dans la direction de la jeune femme qui s’approchait avec virtuosité. Elle ne se délestait pas d’un apparat luxueux, une femme, régnant d’une puissance palpable derrière un masque affable. Déguisée d’une robe noire, ceignant sa taille splendide, chaque mouvement était soigneusement maîtrisé, la splendide jeune femme se distinguait d’une éducation stricte. Blaine, d’un mouvement protecteur entoura son jumeau de ses bras, il la fusillait d’un regard meurtrier.

Un rire s’échappa de ses lèvres, et elle repoussa son épaisse chevelure sombre dans son dos, saisissant d’une main un dossier qui lui était tendu.

« Un ou deux reins vendus ne suffiront pas à recouvrir la dette qui m’est due, s’exprima-t-elle d’un anglais parfait. Mais je ne suis pas assez cruelle pour m’attaquer à des enfants. »

Le large sourire étira ses lippes pulpeuses, décorées d’un rouge écarlate. Elle se pencha alors à la hauteur de Blaine, qui tressaillit sans un mot. Les longs doigts épousèrent la courbe de sa joue, puis d’un mouvement sec, elle attira son menton dans sa direction.

« Cela dit, si vous pouvez vous montrez utile à l’instar de votre idiote de mère, et de votre bon à rien de père, je me sentirais peut-être d’humeur assez généreuse et vous offrirez un futur glorieux. »

Elle abandonna alors les deux pauvres chatons terrifiés qui se serraient l’un contre l’autre dans l’espoir de fuir ce cauchemar. Mais ce fut Blaine qui releva la tête, fièrement, derrière une voix tremblante. Un fauve encore trop jeune pour mordre mais qui ne s’échappait pas de sa ténacité.

« J-je paierai ! S’insurgea-t-il. Mais laissez mon frère en-dehors de ça. »

Laniel resserra ses doigts autour de sa taille, devenu totalement sourd à l’échange qui se déroulait à ses côtés. Il secoua la tête, alors que l’étau se resserrait davantage. La jeune femme lui fit alors les yeux ronds avant de s’esclaffer puis de revenir vers eux avec une magnificence extrême.

« C’est ce que ton père avait dit également, regarde le triste sort qui l’y a attendu. Il a voulu protéger une femme qui vous a abandonnés sans même un regard un arrière. Il faut croire que la France lui manquait terriblement. Mais soit, si tu penses pouvoir rattraper leurs erreurs, je peux bien te laisser une chance. »

Les deux garçons furent entraînés bien malgré eux dans une voiture sombre. Ils apprirent que la jeune femme se dénommait Jung Soo Min, une coréenne qui siégeait sûrement bien trop haut dans la société pour être atteignable. Et que la dette engrangée par leur mère était une somme colossale qu’elle s’était évertuée à dissimuler à sa famille jusqu’à disparaître un soir, laissant un père seul avec deux enfants. Une colère innommable s’empara de Blaine, un sanglot angoissé, lui étreignit le plus jeune des jumeaux. Rien ni personne ne les avait préparés à un tel changement.

Soo Min glissa l’un de ses longs doigts osseux pour soulever le menton de Blaine comme elle l’avait fait un peu plus tôt, lui extirpant une grimace désagréable. Mais il ne la repoussa pas, la jaugeant d’un regard agressif.

« J’attendrai quand même que vous ayez atteint votre majorité avant de vous lancer aux chiens. Et je vous garderai chez moi pour être sûre que vous n’ayez pas l’idée folle de vous enfuir.»

Blaine hocha vigoureusement le crâne, mais n’apporta rien de plus, pressé de consoler son frère qui s’était soudainement enfermé dans un silence inquiétant. Il fourra son visage dans son cou en lui murmurant des mots réconfortants.

Ils passèrent leur première nuit, ensemble, inséparables depuis l’incident, dans une chambre d’un luxe impersonnel, froid, et inhospitalier. Ils ne dormirent probablement pas non plus ce jour-là, alors qu’un sac contenant leurs biens avaient été grossièrement jeté dans la chambre. La poitrine lourde, Blaine ravala la tristesse qui l’incombait, maîtrisant ses émotions pour soutenir le frère s’était enfermé dans son mutisme.

Quelques jours passèrent alors que leur quotidien n’était perturbé par une routine, qui aussi étonnante soit-elle, ne s’éloignait que peu de ce qu’il avait connus. Avant que les réels problèmes ne commencent. Soo Min n’était que peu présente, occupée par un travail colossal. Parfois, elle s’assurait du bien-être des deux garçons sans se départir de son sourire de renard qui amplifiait leur malaise. Mais ils mangeaient, dormaient, et étudiaient, sans savoir que la dette s’allongeait de quelques zéros.

Puis, vint un soir, où le visage de Blaine était recouvert d’ecchymoses, le nez en sang, il tremblait encore d’une rage à peine contenue. La belle coréenne se tenait élégamment installée sur son fauteuil, pencha la tête sur le côté, soutenu par la main gracile. L’arche de son sourcil se déforma brièvement, avant qu’elle ne laisse échapper un mince sourire. Elle lui fit signe de s’approcher, mais il demeura immobile.

« Eh bien Blaine ? Que t’arrive-t-il ? Demanda-t-elle. Je t’imaginais hargneux, mais pas au point de revenir dans un tel état.
-  Ça vous regarde pas, rétorqua-t-il en un grognement.
- J’ai une certaine tolérance à ton insolence, mon garçon, je ne pense pas que tu tiennes à me mettre réellement en colère. Viens ici, tonna-t-elle impérieusement. »

Il hésita, quelques secondes avant que l’impatience ne gagne la jeune femme. Elle tira son bras pour l’allonger sur ses genoux. Blaine ne résista pas, se laissant faire comme une poupée de chiffons, grognant juste des tiraillements qu’il ressentait là où les bleus étaient les plus prononcés. Soo Min tendit la grâcieuse en direction d’un employé qui se tenait comme un piquet à ses côtés.

« Lee Han, la trousse de secours, clama-t-elle d’un coréen langoureux.
- Mais madame...
- La trousse de secours, réitéra-t-elle d’un ton qui ne lui laissa pas le temps de rétorquer. »

Il s’inclina, puis jeta un regard glacial dans la direction de l’adolescent, qui ne lui apporta aucune attention. Seulement tendu d’être ainsi soumis au bon vouloir de cette femme. Sa mâchoire était contractée, et le corps était électrisé par l’adrénaline qui n’était pas encore descendue. Du revers de la main, elle dégagea lentement les mèches dorées qui épousaient son visage, un piège dans lequel Blaine ne souhaitait pas tomber mais y succombait tout de même.

« Ne vas-tu donc rien me dire ?
- Qu’est-ce que ça vous apporterait de toute façon ?
- Rien, j’imagine. Mais je suis tout de même curieuse de savoir qui a bien pu te mettre dans cet état et pour quelle raison. As-tu gagné au moins ?
- Evidemment ! Certains abrutis ont la langue trop pendue et s’attaquent aux mauvaises personnes.
- Vaniteux donc. »

Soo Min sourit de nouveau, alors que la trousse de toilette lui était enfin apportée. D’une main habile, elle épongea les plaies malgré les protestations de l’enfant. Bientôt, le visage fut pansé et nettoyé. La jeune femme le relâcha alors, laissant Blaine lui baragouiner quelques vagues remerciements.

« Mais je t’en prie. »

Rien, si ce n’était le caractère explosif de Blaine n’eut d’impact dans leur vie lycéenne. Ils semblaient oublier que la date butoir se rapprochait lentement. Les rêves s’élançaient, abreuvant l’espoir des adolescents qui menaient leur vie dans un luxe qu’ils n’avaient jamais connus. Laniel s’attendrissait, semblait oublier, tandis que Blaine mordait en attente de l’impact douloureux qui les attendaient à la sortie de la prison dorée. Et en même temps, la douceur de Soo Min l’entrainait avec ferveur dans des idéaux qu’il ne maîtrisait pas. Elle était belle, dangereuse, mais terriblement attirante de sa pseudo bienveillance.

Les années s’écoulèrent dans le lent sablier de la vie, les garçons grandissaient à vue d’œil, et Blaine s’était endurci jusqu’à devenir un homme à la carrure inquiétante. Plus chétif, Laniel ressemblait toujours autant à son frère sans qu’il ne soit difficile de les différencier. Et ce fut à l’anniversaire commun de leurs dix-huit ans qu’un large collier enferma la nuque de chacun d’eux.

Soo Min poussa un ronronnement appréciateur, en tirant la chaîne qui reliait les deux parures de cuir.

« Et si nous discutions d’adulte à adulte désormais ? »

Blaine tira sur la chaîne prêt à riposter, avant qu’un coup ne lui fasse rejoindre le sol, maintenu par le pied solide d’un des chiens de la CEO. Il le savait, il l’avait toujours su qu’elle leur avait fait refléter le confort d’une vie éphémère. Soo Min déposa ses doigts sur ses lèvres, étirant un large sourire carnassier derrière son visage de poupée.

« Depuis les années que je rêve de te voir ramper comme ça... Tu as toujours été mon favori. »

Laniel lui avait été retenu de son côté, incapable d’esquisser le moindre mouvement pour secourir son frère. Blaine quant à lui rugissait en vain sous l’étreinte ferme du garde. Soo Min s’approcha langoureusement en soulevant son menton avec la pointe de son escarpin. Le visage enragé du garçon la fit jubiler, qui ne put se dissimuler dans la lueur de son regard.

« Alors, récapitulons ce que vous me devez les garçons. »

La liste était longue, infinie alors qu’elle la récitait comme si elle la connaissait par cœur. Ils blêmissaient, et soudain, Blaine réalisa qu’il avait été stupide de croire une seule seconde qu’il aurait pu être capable de rembourser une telle somme. La jeune femme s’accroupit, déposant son avant-bras sur ses genoux, tandis que de l’autre main, elle redessina lentement la ligne de sa colonne vertébrale.

« Je pourrais ventre tes organes un par un si l’envie me venait. Mais ce n’est pas drôle et beaucoup trop simple. Ça ne rembourserait même pas les intérêts que vous me devez. Sinon... »

Elle se redressa pour se glisser dans le dos de Laniel, laissant sa main glisser sur son torse avec une langueur glaçante. Blaine se débattit d’autant plus, alors que le jeune frère la regarda faire.

« Ce joli garçon pourrait me servir dans un bordel. »

Laniel réagit aussitôt, et lui donna un coup d’épaule avant de cracher à ses pieds avec dédain. En retour, une gifle l’envoya au sol. Il aurait certainement pu recevoir un châtiment plus terrible, alors qu’un des molosses de Soo Min sortait un poing métallique.

« Non ! Stop ! Hurla Blaine qui se débattait. Je ferai tout ce que tu voudras. Ne le touche pas. Je te promets, je paierai tout, je ne fuirai pas. »

Elle arrêta son homme de main d’un geste de ses doigts, alors qu’elle se rapprochait lentement. Désormais libéré, Blaine se redressa douloureusement et avec méfiance. Son bras le lançait, mais il n’en montra rien, seulement tête baissée, il observa la jeune femme.

« Je ferai ce que tu voudras, répéta-t-il soudainement docile.
- Soit, je n’en attendais pas moins de toi, mon adorable petit chat. Ne me déçois pas. »

D’un signe, Blaine fut jeté dans la chambre de sa nouvelle maîtresse, et ce qui se passa en ces lieux furent tu de ces quelques lignes. Soo Min le voulait, et désormais elle le possédait. Le sujet fut tabou entre les deux frères. La dette s’amenuisait lentement, trop lentement. Ils furent alors jetés à la rue, livrés à eux-mêmes dans une ville florissante et dangereuse. Pourtant, ils réussirent à survivre, à travailler alors qu’entre deux Blaine revenait anéanti d’une autre entrevue avec la femme. Ils tinrent bon, un an, deux ans... Ils avaient perdu le fil dans une routine de débauche. Les jumeaux se réveillaient, travaillaient, mangeaient à peine ce qu’il leur fallait pour survivre, et les zéros décantaient à une vitesse qui irritait Soo Min.

« Tu as bien dit que tu ferais tout pour moi, n’est-ce pas ? »

Avait-elle un jour annoncé à Blaine alors qu’il se rhabillait. La jeune femme nue avait la joue qui reposait sur ses doigts parfaitement manucurés. Elle tendit alors son autre main pour épouser la courbe du dos du garçon. Il lui jeta alors un regard glacial en la repoussant avec humeur.

« Tu as déjà tout ce que tu veux de moi ! Cracha-t-il. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?
- Bien des choses mon adorable chaton, ajouta-t-elle énigmatique. »

Quelques jours plus tard, le corps fut jeté dans une cuve, la confusion avait empêché Blaine de réagir. Il ne réalisa que trop tardivement ce qui lui arrivait. Cette humanité qui lui serait retirée, et ce corps défiguré. Les années passèrent, dans une agonie profonde, rendant le garçon fou, amorphe, perdu.

Deux années, lorsqu’il ressortit, une ligne d’écailles luisantes décorait son dos, des crocs saisissaient ses canines. Une force s’insufflaient dans ses muscles, et pourtant il n’était plus qu’une ombre de lui-même. Une ombre colossale qui retrouva les murs d’un appartement qu’il détestait tant.

« Ne me le dressez pas, avait-elle dit. Ce plaisir me reviendra. »

Son regard bleuté avait perdu toute étincelle de vie. Il le savait, il en était sûr, il serait son jouet jusqu’à sa mort. Cette garce avait tout planifié alors qu’elle lui tendit une lettre froissée. L’incompréhension habilla les orbes céruléens de Blaine. Un drap blanc recouvrait une masse difforme, et il déplia la missive les mains tremblantes. Quelque chose clochait.
 
« Je ne peux plus, c’est devenu insoutenable. Nous séparer, nous briser, j’ai l’impression qu’ils m’ont arraché ce qu’il restait d’humanité chez moi, qu’elle t’a enlevé à moi pour mieux nous écraser. Je ne le supporte plus, j’ai l’impression que chaque respiration m’entraîne vers la mort, et qu’elle ne sera que mon soulagement.  

Blaine je suis désolé. Je sais que tu ne me le pardonneras jamais. Je ne te le demande pas, je veux juste que tu comprennes que ce geste égoïste était mon seul recours pour briser mes chaînes. Je suis désolé.  

Laniel » 

Comme un chiffon qu’il étreignait dans la poigne de ses mains, Blaine tremblait, la gorge étouffée d’un cri muet, il ne restait maintenant qu’un drap qui recouvrait une dépouille méconnaissable. Les poings se heurtèrent au sol et il hurla enfin, d’une rage démentielle, tandis que les joues s’étaient couvertes d’un torrent de larmes intarissables. Comme un dernier souvenir qu’il ne pourrait emporter, il serra la maigre lettre contre sa poitrine, le front posé sur le sol. Un gémissement étranglé lui échappa entre deux sanglots. 

Le bruit des talons résonnèrent dans son dos et aussitôt, le nouvel hybride se retourna vers sa maîtresse, se jetant à sa gorge de fureur.  

« Jung Soo Min ! Je vais te fumer ! Hurla-t-il » 

Mais aussitôt son corps fut empoigné, contraint de rester à plat sur le sol avant même qu’il ne puisse à peine l’effleurer. Un sourire malicieux fendit la courbe délicate de ses lèvres, tandis qu’elle remontait l’éventail devant son visage pour dissimuler son amusement. Un léger rire secoua ses épaules avant que sa chaussure ne vienne s’écraser sur son dos. L’hybride hurla, se débattait, en vain, tandis que ses mâchoires claquaient d’indignation.  

Elle se pencha en avant, toujours aussi splendide, revêtant ce masque de perfection.  

« Mon pauvre petit chiot, nous avons essayé de l’arrêter. Quel tragique incident. Ne t’en fais pas, je lui offrirai une belle sépulture si tu montres de la bonne volonté. » 

Comme un animal essoufflé par l’effort, Blaine inspirait lourdement, fulminait d’une fureur à peine contrainte. La poitrine s’élevait lourdement, la haine se lisait dans le regard, transperçant de son bleu profond. Elle le perça alors de son talon acéré, lui tirant alors un râle d’agonie.  

« Tu sais ce que je préfère mon adorable ‘'Handbag’’, c’est de devoir moi-même faire ton éducation. Je regrette que ton frère ne puisse pas voir à quel point tu es devenu sublime. 
-  N’imagine pas t’en sortir, attends le jour où je t’arracherai la gorge ! »

Retirant son pied, Soo Min fit quelques pas en arrière, la lueur de son regard sombre luisante dangereusement. Elle rit, non sans attiser la frustration de l’hybride qui remuait en vain. Les bras tendus sous l’effort, perclus par la douleur, Blaine ne s’était même pas aperçu que des perles ruisselaient le long de ses joues. Il n’avait jamais pleuré, pas même lorsque sa mère était partie, ni quand le corps de leur père avait été découvert. Encore moins lorsqu’ils avaient été soumis à la surveillance de Soo Min. Il gardait cette frustration, cette colère, cette tristesse, enfouie dans un coin de sa poitrine. Il était resté fort même lorsqu’ils avaient testé les limites de son hybridation. Blaine l’avait fait parce qu’il avait ce frère qui l’attendait. Et qui lui n’avait pu l’attendre. Et la dure réalité le frappa soudainement. Maintenant, il était seul.

« J’attendrai de voir ce que tu feras, souffla-t-elle en le sortant de sa torpeur. Alimente cette colère et fais monter les paris pour que nom soit craint. »

L’incompréhension marqua le visage de Blaine, car désormais, il était encore loin d’imaginer ce qui allait lui arriver. Il fut enchaîné, muselé et dans l’incapacité d’effectuer la moindre de ses menaces, dans cette chambre devenue trop grande pour lui.

Elle l’y abandonna non sans un avertissement.

« Ne me déçois pas Handbag, sinon je jette ce qui reste de ton frère aux chiens. »

La dépouille avait été embarquée loin des regards, peut-être mettrait-elle dans menace à exécution. Il ne savait pas mais il se renferma dans un étau brisé au milieu d’un silence terrifiant.

Les premiers jours, il fut emmené comme un chien avec sa maîtresse à s’exercer. Il détestait ça. La tension dans ses muscles, les poumons s’embrasant au rythme des battements de son cœur. Mais il oubliait partiellement, concentré sur l’effort qu’on lui imposait sous la menace.

Blaine devint plus large d’épaule, plus massif, que lorsqu’il sortait dans la rue au bon vouloir de sa maîtresse, il imposait la peur. C’était à peine si les gardes du corps de Soo Min osaient l’approcher maintenant. Mais moins d’en être fier, l’hybride n’était qu’une coquille sans vie qui laissait place à des torrents de rage qui ne firent que sourire davantage la coréenne.

Un an s’écoula dans cette routine lasse. Blaine avait perdu tout espoir, de vie, d’envie, de rêves pour être simplement plongé dans cet enfer sans fin. Ponctué par la torture psychologique qu’on lui infligeait. Et pourtant, ce fut dans cet état d’esprit qu’il fut trainé dans l’arène pour la première fois. Un décor sombre alors qu’il pouvait voir les chiffres monter.

Blaine n’était plus qu’un chien galeux, entraîné pour amuser la galerie, pour le bon plaisir de sa maîtresse. Mais son instinct le poussa à abandonner avant même que le premier coup ne lui soit infligé. Ça ferait chier cette connasse, surtout si elle perdait son précieux jouet.

La mort l’attendrait sûrement à la fin de ce match. Il paierait sûrement des millions pour voir la tronche qu’elle tirerait alors que son adorable chaton ne se défendait même pas.

Il fut jeté au sol, mais pas achevé. Un regard de dédain lui étant jeté, on lui cracha dessus. L’hybride se baissa à sa hauteur, en l’empoignant par le col, soufflant lourdement de l’effort qu’il venait de fournir seul.

« Je peux même pas t’achever alors que tu réagis à rien. Tu viens à peine d’entrer ici, et t’as déjà perdu tout espoir de vivre. »

Il le relâcha, le corps de Blaine s’écrasa sur le sol, à moitié conscient. Il n’avait plus aucune force, aucune envie et il se sentait lourd, lui qui avait toujours eu la force d’espoir, celle d’infliger les coups les plus douloureux, il s’abandonnait dans les bras de l’inconscience.

« J’sais pas qui t’a envoyé ici, mais à ta place, je me battrais jusqu’à avoir l’occasion de faire tomber la tête de celui qui a osé me faire ça, entendit-il dire avant de sombrer. »

Lorsqu’il se réveilla, il se retrouva nez à nez avec le visage contrit de Soo Min. Elle le toisait avec contrariété. Elle se pencha au-dessus de lui, qui grièvement blessé ne pouvait esquisser le moindre mouvement.

« J’imagine que tu es fier de ton petit manège, asséna-t-elle froidement. »

Un sourire s’étira au milieu de la masse tuméfiée de son visage. Ça lui fit mal, mais ça en valait la chandelle, et avec un dernier effort, il lui cracha à la figure. Ce n’était pas comme s’il avait encore quelque chose à perdre. Elle grimaça en s’essuyant le visage.

«  Je vois que ta force d’esprit est bien moindre que ce que j’imaginais. Mais je crois que tu oublies un détail, c’est que même si tu le voulais, je ne ferai pas cette erreur une deuxième fois. »

Une deuxième fois ?

« Voyons, tu ne pensais tout de même pas que je désirais la mort de ton père ? Cet imbécile était acculé et s’est donné la mort. »

Il plissa les yeux, sans comprendre. Ce n’était pas la deuxième fois…

« Tu…
- Ton frère c’est une autre histoire en effet, il ne m’apportait rien, c’était plus simple de l’y pousser. Vendre ses organes était simple. Mais comme promis il a eu une tombe. Cela dit, rien ne m’empêche d’inhumer le corps pour le laisser à ses scientifiques. »

Il fulminait, chaque mot s’imprégnait comme au fer rouge sur son corps. Il rentrait de nouveau dans son jeu, sauf que cette fois-ci, il avait la ferme intention de la faire tomber. Elle n’aurait plus le loisir de lui offrir ce sourire malicieux, et même si cela devait lui coûter la vie.

À partir de cet instant, il compta les jours. Survivait dans les assauts de l’arène. Chaque victoire, il la détestait, car elle lui octroyait ce que Soo Min désirait. Mais son plan s’élaborait de jour en jour dans l’espoir de planter ses crocs dans sa gorge, de lui soutirer son dernier souffle. Mais chaque combat était d’une rage qui s’écoulait de sa haine, il était alors mordu, griffé mais se relevait.

Une nouvelle sensation après un combat lui avait fait monter une fièvre délirante au milieu de ces quelques années, l’enrageant jusqu’à être craint lorsqu’il pouvait rencontrer d’autres hybrides.

Jusqu’à ce jour. Ce jour où la mort manqua de le cueillir à nouveau. Il était à peine conscient quand il y eut ce débarquement. Quand il y eut un affolement qui tira les hybrides hors de cet enfer. Qui le tira lui de cette arène maudite.

Il n’eut aucun souvenir de s’être évanoui, ni de ce moment où la puce lui fut retirée quelque part dans un centre Unity. Il ne sût même pas qu’il goûterait bientôt à la liberté, ni qu’il rejoindrait les rangs meurtriers des déviants.