Le loup vient de sortir de sa tanière. Les yeux luisants d’un carnassier, la grâce d’un prédateur, la prestance d’une régente. Elle se tenait face à lui parée de son attirail le plus faste. Immense par rapport au coyote qu’elle pourrait balayer d’un revers de main. Pourtant, dans sa gorge roucoule la même tendresse que la serveuse précedente. L’accalmie provoquée par son arrivée, ne laissant que les employés et le « couple » dans l’espace clos.
Silencieux, intimidé, il restait pendu à ses lèvres, à toiser le visage de l’humaine, à se demander pourquoi une personne comme elle lui viendrait en aide. Si, le poids de sa vie à une quelconque valeur pour elle.
Il n’écoutait que d’une oreille sourde le discours adressé à ses collègues non loin. La triade ? Il n’a que quelques réminiscences de ce nom, la mafia chinoise la plus célèbre, ça ne l’étonne que peu de comprendre qu’ils grouillent dans Chinatown, plus étrange le fait de savoir qu’ils s’allient avec les déviants.

Bientôt l’heure du baisser de rideau pour cette mascarade. Dans cette comédie il pouvait se féliciter de son jeu d’acteur, d’avoir trompé ce petit monde, le parfait appât pour amadouer les plus vils. Il se prélassait encore un peu dans cette laine d’agneau, car quelques syllabes du chef suffiraient pour se métamorphoser en chien docile.
À vrai dire, la position se trouvait peu favorable pour les tois camarades, sur tous les cinq individus convoqués pour l’opération, seul Lance, ici, semble taillé aux affrontements directs. Ce dernier, parfaitement inscrit aussi dans son rôle, tentait de démêler les nœuds de cette affaire. Soudainement, les doutes de la bovine tâchèrent l’atmosphère déjà tendue, si bien que des frissons hérissèrent les poils du coyote, combien de temps pourrait-il  se couvrir de ce masque ?

De son propre chef, il se trainait lentement vers Sayako. L’expression encore pénible dessine les courbes de son visage. Le pari paraissait osé. Doucement, sans un bruit, Crash tanguait vers sa salvatrice, les mains s’abattent contre la soie du kimono avant de s’y agripper. Dans un pathos jusqu’au-boutiste, la tête s’affaisse pour y trouver un creux entre le textile luxueux, les bras enlacent dans une étreinte cajoleuse. Des larmes viennent s’imbiber contre la majesté des lieux, il sait que la pitié est le plus tendre des vices de ces reines imbéciles.
Un faux sanglot s’échappe de son clapet

« Si vous saviez... »

S’ils savaient…

« Je ne veux plus traverser ce que j’ai vécu... snif... Merci... Je veux aider la triade comme elle m’aide, dites-moi quoi faire.»

Il laisse s’abattre un moment de kief, ce numéro misérable peut encore durer, tant qu’il peut encore rêver.
Au fond, se blottir là n’avait rien de désagréable; clore les yeux quelques instants pour oublier toute la rancœur, se reposer le temps de quelques soupirs. Des secondes ou biens des minutes ; la réalité pouvait bien se soustraire de ce confort retrouvé. Il se peignait en une bête pathétique se lovant grossièrement à la recherche de la quiétude.

Les doigts glissent entre le flanc et l’obi du kimono de Sayako, les mains tâtent ingénument comme pour mieux s’amignarder.
Il n’a jamais renoncé à sa raison d’être ici, les paumes innocentes ne font que par cet acte à demi intéressé, récupérer l’information si la dame est armée. Et comme un Judas après avoir baisé un saint, il laisse trainer sa main en un signe discret vers Lance, pour signifier que l’ennemi principal est sans arme à feu sous le furisode.
Il demeure, encore affalé, il ne regrette pas ce geste, il veut garder un goût affectionné, il sera trop tard pour implorer le pardon.  

Si vite, tout est allé si vite. Les éclairs avant le tonnerre, le ciel gronde et la foudre s’abat. Si naïvement il pensait s’être parfaitement préparé à cette situation, qu’après tout, le contrôle de la BTD est impeccable et que jamais ils ne peuvent être remis en doutes.
Le voilà, à genoux à terre, les mains derrière le crâne,le canon d’un 9mm pointé vers lui comme dans de mauvais souvenirs.
La peur se joint à la panique, comme si tout s’emballait en quelques instants. Arraché à ses espoirs de paix, il lançait un regard désapprobateur à son chef. Une mise en scène grotesque.
Il ne mimait plus la crainte, ne feignait pas le doute, tout était réel. Pensait-il vraiment à un dénouement heureux ? Lui l’instigateur de cette farce ?
Les multiples défiances traversent son esprit proche dans la paranoïa. Jamais il ne peut avoir confiance en eux. Il va y rester comme les autres. Il est un sac à puces trop bruyant.

«Je suis désolé,Sayako, désolé, tout est de ma faute. »

Terriblement désolé. Les paroles se tournent vers la cheffesse des lieux, il venait sans doute de la condamner, celle qui lui accordait un peu de pitié. Il scellait son sort, brisait son destin. Il n’était qu’une étape nécessaire au plan, il ne peut que récolter le fruit de ses mensonges.

«Mettez-vous au sol, je vous en prie… je suis sûr que c’est un malentendu… Vous pouvez expliquer que vous ne faites qu’aider innocemment. Vous êtes une humaine après tout. »

Une tentative vaine, de ramener du bon sens dans le chaos général. Fichu tout était fichu. Pourquoi lui ? Rester dans les bureaux derrière divers écrans c’est sa place, pas dans ce vacarme confus. Là où tous les sentiments se mélangent, où toutes les émotions contraires se bousculent. Crash au bord de l’effondrement nerveux.

«Bande de sales connards….»

Il laisse ses crocs mal acérés en évidence. L’insulte paraissait totalement gratuite.