«Sac à puces » répété par deux fois. Il a déjà entendu beaucoup plus inspiré venant d’humains. Il n’ose arquer les sourcils ou soupirer, mais ne s’empêche pas de penser qu’au moins lui n’empeste pas la friture de mauvaise qualité à longueur de journée.
Regard stoïque fixé vers la grandeur de Chinatown, les panneaux remplis d’idéogrammes et aux néons colorés lui font plisser les yeux, néanmoins impossible d’échapper à la beauté des bâtiments qui s’étendent à la verticale, que ces amas de bétons sont parfaitement alignés dans ces espaces exigus. Ici, les rues prennent l’apparence d’un dédale urbain, ils ne sont que des rongeurs dans une souricière  bien alambiquée, occupés à chasser des proies camouflées. La moindre erreur sera fatale, les actions doivent être minutieuses. Une unique faute dans le code et tout s’écroule.

Il écoute le chef, jamais dans les yeux, la violence dans ses pupilles l’ont toujours intimidé.
Crash ne donne qu’un signe de la tête pour témoigner de sa compréhension, peu importe la nature du commandement, il se tenait prêt à s’exécuter.
Après avoir insisté longuement, se résoudre à dévoiler sa carte d’agent. Il réquisitionna une tenue de civil classique pour ne pas dire habits qui manquent de classe.

Se montrer suspect ? Ça n’a jamais quitté sa peau, les chuchotements moqueurs, les regards persécuteurs les poursuivent encore tel un esprit hanteur.
Il suffit de parraître naturel, de se comporter comme avant. Quand il agissait dans leur camp, il incarnait même les idéaux destructeurs des rebelles, ça pulse encore et encore dans les veines.
Quelques minutes, pour que tout le monde soit en place, pour qu’il se sente opérationnel. Il quittait le restaurant, la démarche fuyante, comme quand, boule au ventre il se dérobait de ces mêmes agents. Les poils hérissés par la paranoïa rampante, le pas légèrement plus rapide pour se distancer de la menace. Il perçoit encore le bruit des bottes tenaces.

Dans le salon thé, le visage crispé, il gardait son souffle court. L’ambiance tamisée et florale donnait un semblant de paix. S’assoir et vite, à une table vide, il tentait de zyeuter la pièce pour repérer ses collègues en vain. Dévoré par les souvenirs, à se remémorer  le flou du passé, il reste planté à sa place en oubliant presque sa mission.

Ainsi c’est comme ça qu’il vivait avant ?

Il ne pensait pas se montrer à fleur de peau. L’absence de cercle social ou du moindre élan de compassion l’a emmené à un état aussi faiblard. Une simple : tout va bien, réussi presque à lui faire monter les larmes aux yeux.
Une aura imposante venait de s’échouer à sa table, une attraction réconfortante. Quelque chose de si doux dans son intonation le ramenait dans le passé. Elle vint déposer, si bas, au creux des tympans, des mots si importants pour le reste.

«Je..heu...oui...je veux dire…hein.. »

Le coyote se trouvait désarmé, entre surprise et émoi, garder les pieds sur terre était primordial. Il ne faisait pas cela pour lui. Il ne doit pas échouer. Il n’a pas peur de l’échec, mais des conséquences de l’échec. Il faut jouer le jeu, feindre l’agneau qui bêle. Aucun agent sur place ne semblait mieux placé que lui pour agir avec les autres hybrides. Le terrain était bien différent des bureaux du quotidien. Ici, maintenant, il avait les rennes de la mission, un brin de pouvoir. Il doit agir, prendre le meilleur choix logique, ne plus se laisser envahir par ses afflictions. Toujours le visage déformé par l'inquiétude et ce nœud dans l'estomac, il peinait à trouver l'oxygène.

«Je suis désolé...Je ne veux pas mêler des citoyens comme vous à mes histoires ».

Peut-être une part de vérité dans ses dires. Un pincement au cœur de se dire qu’une personne comme elle se retrouverait dans les draps sales des déviants. Que peut-être ici, dans quelques heures se trouverait une zone d’intervention. Il réfléchit déjà à des plans lunaires, où tout s’arrangerait avec des mots, la paix émergerait avec des accords modérés. Mais les plans sur la comète finissent par tous se désagréger.
Il passe la main sur glock planqué, comme un retour à la réalité. Tiraillé par l’évidence, il n’y aura pas d’autre échappatoire que l’affrontement et la répulsion.

«Ils sont encore loin...je crois. Je voulais juste un peu de liberté. »

Les gouttes salées n’ont rien de véridique, il ne chouine pas sur son sort. Plutôt débèqueté par son propre mensonge. Il agrippe par réflexe la main de son interlocutrice, le regard apitoyé croise son soutien. Quelques griffures nerveuses se glissent contre les poignets de celle aux cornes proéminentes sans qu’elle semble protester.
Un souffle épuisé, comme un murmure.

«Aidez-moi »

Et il maudit sa conscience, de devenir cette perfide brebis. Et il attend patiemment une réaction, un ordre, des syllabes. Les yeux encore embués de ce voile aqueux.

Un long souffle traversa la tasse de thé chaude. Ses muscles s’apaisèrent quelques instants, il en venait presque à oublier qu’il détestait cette boisson. À trop se prendre à son jeu, le coyote eut frôlé la crise de panique, mais depuis que le rideau fut tombé et sa douce bienfaitrice lui faisait face il semblait regagner une forme de quiétude.

Elle ne peut pas trainer dans des affaires louches, pas vrai ? Ils n’ont rien à faire à voir avec l’opération actuelle n’est-ce pas ? On peut juste devenir ami pour une fois ? Ses mains sont bénignes, et sa présence pieuse, au moins encore quelques minutes je vous prie, Crash ne demandait que de cette once d’attention.
Malheureusement les dires ne mentent pas, et l’évocation de cette Dame Sayako ne présageait que l’avancement de cette enquête. À voix étouffée, l’hybride cornu laissa échapper quelques mots, l’allusion à Humanis ainsi que leurs vœux de s’en débarrasser ne firent que confirmer les pensées de Crash, ils sont préparés à cette éventualité de le chasser.

« Huma...nis… Je crois bien que ce sont eux, Humanis ou humains lambdas, quelle grande différence ? Tant que la racine est pourrie, peu importe ce qui en pousse... »

Une touche acide dans les paroles, ce ressentiment dans le timbre chancelant du coyote.

«Pardon. Pardon. Pardon. Je..je me suis égaré… Cette Dame Sayako, elle doit vraiment être puissante si elle peut dompter vos soucis comme ça… Vous pensez qu’elle peut m’aider sans rien demander ?  Vous avez l’habitude de ce genre de problème ? Vous... ne prenez pas beaucoup de risque à me protéger ?... Ah...Désolé si je pose trop de questions...»

Le temps jouait contre eux, si  cette Dame Sayako possède une telle influence, alors la situation peut rapidement dégénérer. Il faut agir, mais pour cela il doit encore rentrer en contact avec les autres agents pour les tenir au courant.
Ou alors, il peut tout abandonner, rien ne l’empêche de tourner le dos à la mission, de revivre cette existence de fuite et déviance, rien à perdre tout à y gagner. Les bras restent plus chaleureux de l’autre côté, comme une envie de s’y endormir sans jamais se réveiller.

« Je dois encore vous dire une chose... »

Il va tout avouer, il va tout leur dire, tous ces ennemis qui trainent leurs regards et oreilles dans l’établissement. Ces cafards d’Humanis vont fuir la queue entre les jambes, il sera encore une fois de plus un traitre si c’est le prix à payer pour l’avoir détraqué. Cette fois ils ne l’attraperont plus, il possède des alliés, des personnes qui prennent soin de lui. C'est sûr il peut avoir foi aveugle en eux.

«Ce thé est délicieux. »

Beurk.
Il éclipsait tant bien que mal la grimace après une gorgée de cette eau chaude infâme. De grandes risettes sur le visage pour gommer l’amertume.
Il n’a jamais oublié le traitement qu’il a subi dans le rang de ces réprouvés du système, que d'autant d’exécrations pour les Hommes que les Déviants coulent dans sa salive, qu’il détestait le discours creux qu’ils étendent en symbole. Que jamais plus il ne pactiserait avec ces bêtes.
Les réflexions contradictoires se confondent et en autant de doutes Crash de tordait. Sentiment ou raison, peu importe, la mission doit continuer. Il veut juste survivre à cette sortie.

«Madame, je peux avoir votre prénom ? » Et pour cela, il aura toute leur confiance.