Très jeune, Sean était maladroit. C’est à force d’efforts, et grâce au cadre dans lequel il évoluait, qu’il a pu apprendre et se dépasser. Le dépassement. Il s’agit là d’une notion très forte pour le guépard. Il cherche constamment à se dépasser, et surtout à dépasser les autres. Il se compare constamment, cherche toujours la compétition, voire la confrontation. Son objectif est d’être le meilleur et, lorsqu’il l’est, il s’assure que les autres le sachent.

Pourtant, il est habitué à l’obéissance. Il a grandi en laboratoire et a constamment évolué dans des environnements martiaux, voire militaires. La hiérarchie ne lui pose pas de problème. Il aura toujours du mal, cependant, à accepter cette autorité de la part de personnes qu’il considère comme largement inférieur à lui, particulièrement sur le plan physique. Il peut le supporter, il l’a toujours supporté, mais sa docilité à ses limites. Les plus forts considèrent les hybrides comme inférieurs, cela lui va. Tant que les plus forts sont les plus forts, il n’aura rien à y redire.

Il ne faut pas non plus assimiler le guépard à une brute sans cervelle. Il est capable de reconnaitre d’autres types de puissances que la force physique, comme le pouvoir des mots, de l’argent ou des relations. Tout ce principe d’évaluation de force est au cœur de la philosophie de Sean, qui restera toujours loyal à celui qui le surpasse. Il est également loyal à sa parole, il assume les conséquences de ses décisions et de ses prises de position. En d’autres termes, il ne fuit pas, à moins d’y être obligé, notamment pour des questions de survie.

Sean agit vite, très vite. Le mécanisme bien commun de perception, de décision et enfin d’acte est chez lui extrêmement rapide. Ce peut être un avantage, mais qui tourne à l’inconvénient majeur lorsqu’il précipite sa décision. La précipitation est la principale source d’erreur et de souffrance pour lui.

S’il reste impulsif, le combat qu’il a mené contre cette partie de sa personnalité l’a mené à un surcontrôle de ses émotions et de ses attitudes. Ce n’est pas un manipulateur, et il aura bien du mal à mener ses interlocuteurs là où il veut aller. Heureusement, son expérience avec Svana lui a apprit à écouter un peu mieux. S’il ne sait pas influencer, il est au moins capable de percevoir et d’intellectualiser certains signaux. Il cherche à améliorer cette compréhension sociale qu’il considère désormais comme une force.

Le guépard reste cependant belliqueux. Il s’est toujours battu contre cette facette de sa personnalité, qui lui a causé bien du tort.  Mais en cas de conflit, les mots laissent rapidement place aux poings.

Ayant subi le mépris toute sa vie, Sean se garde bien de mépriser ouvertement quiconque. Il aura du mépris pour les personnes qui exercent un pouvoir qu’ils n’ont pas. Mais il sera très conciliant, voire professorale, avec les personnes qui se savent faibles et cherchent à progresser. Il aura toujours un mot d’encouragement pour ceux-là, et ne les prendra jamais de haut.

Il reste enfin une dernière catégorie, les personnes qui se savent faibles, et le restent sciemment. Peu importe la raison, Sean cherchera à les ignorer. Ils lui rappellent sa propre faiblesse, le fait qu’il reste, et restera, un esclave, incapable de quitter cette condition, condamné donc à rester faible sur de nombreux aspects. Le guépard est désillusionné depuis bien longtemps, il ne pense pas que cet état puisse changer. L’exercice physique et la volonté de placer le physique au-dessus de tout sont pour lui des placebos. Ce sont des manières qu’il a de se soulager quant à son statut, et de le supporter. Ce mécanisme n’est pas tout à fait conscient, cependant, et il aura bien du mal à l’expliquer. Il a également besoin de l’exercice physique comme d’un exutoire émotionnel. Cela l’empêche d’exploser à cause de son surcontrôle. Si Svana l’a aidé à surmonter ces difficultés, leur idylle n’aura pas durée suffisamment longtemps pour qu’il comprenne vraiment la nature de sa souffrance et se mette à la faire évoluer.

Cette idylle a également fait naitre un nouvel aspect de la personnalité de l’hybride. Il est curieux. Lui qui restait auparavant dans son coin est désormais bien plus à même de déclencher les conversations. Une forte curiosité l’anime pour les personnes et les savoirs.

Résumé et dates clés:

2033 – Staten Island

Vibration des machines. Odeur de désinfectant. Bip continu d’un cardiogramme.
Deux hommes discutent. Blouses blanches. L’un, un calepin, l’autre assis devant son ordinateur.

- Alors ?

- Si vous parlez de la dernière expérimentation sur le croisement, il est en parfaite santé. Il devrait pouvoir naitre demain.

- Et l’assimilation des ADN ?

- Aucun problème, l’ADN des deux espèces semblent avoir influencé de manière équivalente son organisme, et de la manière que nous le souhaitions. D’un point de vue théorique, ce devrait être une réussite. Nous verrons si c’en est vraiment une lors de sa croissance.

- Très bien. Ne perdez pas de temps.

Sur ces mots, les deux hommes tournèrent le regard vers un poupon dans une cuve. Il avait les yeux fermés. Ses petits poings fermés également étaient roses, mais les traits les plus reconnaissables de son organisme étaient la queue et les oreilles félines qui ornaient son crâne.


2045 – Staten Island

Il courait. A perdre haleine, le jeune hybride courait. Devançant tous les autres, il sourit. Il avait réussi. Pourtant, sa joie fut de courte durée. Emporté par son élan, il s’écroula dans la poussière, se brulant au passage une partie du visage et du cou. Il hurla, et tous les autres hybrides du groupe lui passèrent devant. L’éducatrice arriva en vociférant.

- Encore ! Ce que tu peux être maladroit, à croire que tu le fais exprès ! Je n’en peux plus de devoir soigner tes brulures !

Le jeune croisé souffrait. Il ne pleurait pas, mais était déçu. Il aurait bien aimé ne plus tomber, ne plus se bruler avec le dos de ses mains chaque fois qu’il faisait une maladresse. Ses mains étaient douloureuses, plus pour lui que pour les autres, car il n’était pas immunisé le moins du monde à leur venin.

L’éducatrice l’emmena pour le faire soigner, ordonnant aux autres hybrides de continuer à s’entrainer.

- Tu pourrais même être le meilleur de tous si tu ne passais pas ton temps à tomber. Et tu pourrais arrêter de passer ton temps à l’infirmerie si tu mettais ces gants.

Le guépard le savait aussi. Il pouvait être le plus rapide, le plus souple, le plus vif. Mais chaque fois qu’il essayait de donner son maximum, il devenait extrêmement maladroit et faisait toujours une erreur, ces erreurs avaient généralement pour conséquence de le bruler, lui ou les autres. Il avait pour ordre de ne jamais sortir sans porter de gants, mais il oubliait systématiquement, et lorsque les exercices commençaient, il n’était plus question de retourner au dortoir pour les récupérer.

- Tu vas changer de groupe. Tes capacités physiques sont ta plus grande force et je pense que tu as besoin d’un encadrement plus strict. On verra bien ce qu’ils pourront faire de toi.

L’éducatrice ne parlait plus vraiment à l’hybride, elle marmonnait, mais ce dernier avait entendu. Il s’en moquait, son unique objectif était d’être le meilleur, et de ne plus souffrir.


Hiver 2051 – Manhattan

- Voici hybride monsieur. Il a été nommé Sean.

- Bien... J’espère que ses résultats seront aussi bons que vous le prétendez, au prix où vous me le vendez.

- Il ne vous décevra pas, il a été formé au combat et à la reconnaissance des dangers. Il a également reçu une éducation complète, variée, et ses capacités physiques ont été affinés de manière à pouvoir être adaptés à n’importe quelle tâche physique, il est très endurant, très rapide, très souple et très vif.

- Voyons un peu ça. Toi ! Viens un peu par ici.

Avant cela, Sean était immobile à côté du commercial de Chroma qui l’avait amené, droit comme un i. Il avait achevé sa formation haut la main, obtenant les meilleurs résultats, et avait directement été vendu à un expert de la sécurité. Il ne le savait pas encore, mais cet homme était le propriétaire de la plus importante entreprise de sécurité de New York, et membre d’Humanis.

Comme on le lui avait ordonné, le guépard s’approcha de son futur propriétaire. L’homme se leva de son bureau, se rapprochant de lui également et, soudain, lui projeta un coup de poing d’une vivacité phénoménale en plein visage. L’hybride vit venir le coup, mais ne fut pas assez rapide pour l’esquiver complètement. Il le reçut sur la pommette gauche. Déséquilibré, Sean eut cependant le réflexe de sauter en arrière et esquiva un coup de pied qui lui aurait, sans cela, explosé le genou droit. Il faillit perdre l’équilibre après cela, se tenant la joue gauche. Immédiatement, l’homme était sur lui, l’attrapa au col et le fixa dans les yeux.

- Hum pas mal, avec de l’entrainement tu devrais pouvoir faire mieux que la plupart de mes gars.

Le gros bras le relâcha, mais intercepta avant une pointe de défi dans le regard de Sean ;

- Hum et j’aime son regard, je le prends, vous recevrez le paiement sous quelques jours. Vous pouvez partir, toi, tu restes avec moi.

L’échange avait duré à peine une seconde. Le commercial de Chroma était toujours abasourdi lorsqu’il se fit congédier, si bien que son délai de réaction sembla déplaire au gérant.

- B.. bien monsieur, je vous remercie de votre achat.

Il s’en fut sans demander son reste.


Eté 2051 – Mannhattan

Le souffle court, Sean s’écroula contre le mur. Il attrapa la bouteille d’eau qui était posée à côté et la fraicheur de l’eau qui s’écoula le long de sa gorge le revigora.

- Cinq minutes de pause, après on reprend.

L’hybride ne perdit pas de temps. Il quitta directement le dojo. Son genou était en sang, et ses gants étaient déchirés. Il alla désinfecter la plaie, puis la banda convenablement pour éviter qu’elle ne s’infecte. Soigner ses blessures était la première chose qu’on lui avait apprise, en lui précisant bien que personne ne le ferait jamais pour lui, et qu’il n’avait pas intérêt à laisser une de ses plaies s’infecter. Il avait fait l’erreur une fois, cela n’avait en rien interrompu son travail ou l’entrainement, lui causant plusieurs semaines de torture et de quolibets.

Revenant sur le tatami. L’hybride but un coup avant de se placer à nouveau en face de l’entraineur. C’était un homme d’une quarantaine d’années, l’un des meilleurs combattants de l’entreprise avec le patron. Il était l’entraineur de toutes les recrues, humaines ou hybride, et s’assurait que ses derniers puissent faire honneur à la prestigieuse entreprise dont ils étaient issus. Il lui jeta une paire de gants neuve.

- On y retourne. Arrête d’essayer de me contrer en force. C’est ta principale erreur, tu vas au contact, à l’affrontement. Je ne te le dirais jamais assez, mais contre la plupart des adversaires vraiment menaçants, ou contre plusieurs adversaires, tu ne dois pas répondre à la force par la force. Ton physique favorise l’esquive et la contre-attaque, ou l’initiative. Si tu vas plus vite que ton opposant, tu n’auras pas besoin de bloquer ou lutter. Tu dois me mettre hors-combat rapidement, ou partir et revenir. Attaque-moi.

Et le combat reprit de plus belle. Les affrontements s’enchainaient à une vitesse effrénée, mais Sean ne gagnait jamais. Il voyait qu’il allait plus vite que l’homme, mais ce dernier paraissait toujours savoir avant lui-même ce qu’il allait faire, et le contrait immédiatement. L’hybride réussi finalement à lui causer un impact vraiment puissant au niveau de la hanche droite, avec sa jambe gauche.

- Tes jambes sont souples et puissantes, c’est bien, mais rappelle toi que ta plus grande force, ce sont tes poings. Je t’avais effectivement fourni une ouverture à droite et tu l’as saisi. Mais tu aurais pu également la saisir avec tes poings, en me forçant à bloquer avec la jambe. Vise les zones dénudées. Si un coup puissant peu me déstabiliser, la douleur causée par tes points est d’autant plus déstabilisante. On reprend.

Et l’entrainement se poursuivit ainsi jusqu’au coucher du soleil. Sean savait que ses poings étaient théoriquement plus dangereux, mais ils étaient gantés. Ce n’était pas un adversaire futur qu’il voulait vaincre, mais bien celui qui se trouvait en face de lui.

Il finit par quitter l’entrainement, épuisé et roué de coups. Il fut rattrapé à la sortie par un humain qu’il connaissait bien, le seul qui venait lui parler. Quatre personnes recevaient à ce moment les enseignements du maitre, il était le seul hybride. Il avait des horaires de travail bien plus longues que les autres, qui pouvaient profiter de jours de repos, mais pour l’entraineur, tous ses élèves étaient sur un pied d’égalité et seule la compétence primait.

- C’est toujours incroyable le temps que tu es capable de tenir face au maitre. Tu arrives même à lui porter des coups alors que tu es là depuis moins longtemps que moi. Je devrais peut-être me faire hybrider moi aussi…

Sean savait que c’était une plaisanterie, mais elle ne le faisait pas rire. Il lui adressa un regard noir et lui rétorqua avec hargne :

- Tu veux troquer tes jours de repos contre mes avantages physiques ? Je prends si tu veux.

- Non bien sûr…

Tout penaud, son camarade savait pourtant qu’il ne fallait pas essayer de plaisanter avec l’hybride lorsqu’il était épuisé. Un silence s’installa, avant que l’humain reprenne finalement :

- Et le travail ça va ?

- Rien de spécial, j’ai passé la journée au soleil devant une porte à observer les gens passer. Il n’est rien arrivé de notable et on ne m’a pas interpellé d’une manière ou d’une autre. En d’autres termes : ennui et fatigue.

- Classique… On préfère presque lorsque des gens essaient de voler...

- A qui le dis-tu.

Les vrais membres de l’entreprise protégeaient généralement des personnalités comme des membres d’Humanis et différentes personnes publiques ou influentes. En tant qu’apprentis, ils travaillaient plus de la moitié du temps comme agents de sécurité pour des magasins luxueux. Ils étaient tout de même apprentis de l’entreprise la plus prestigieuse, et leurs services se payaient. Sean étant un hybride, il ne travaillait jamais seul et était toujours accompagné d’un de ses trois camarades, ou d’un autre agent propre au lieu qui devenait temporairement son maitre. Il était d’une certaine manière à leurs ordres, du moins aux yeux des clients, de façon à ne pas incarner une figure d’autorité pour les humains.

- Bref, je dois dormir, je bosse tôt demain même si on est samedi, je te rappelle. Bonne nuit.

Cet humain était le seul, à part l’entraineur, qui semblait presque considérer Sean comme un égal. Il aurait voulu se rapprocher de l’hybride, cependant tout leur rappelait constamment qu’ils ne vivaient pas dans le même monde, à commencer par l’hybride lui-même. Il n’avait pas besoin de soutien, encore moins celui d’un humain.


2056 – Manhattan - MDA

L’odeur métallique du sang et celle, âcre, de la sueur, emplissait les narines de l’hybride. Le sang n’était pas le sien, les précédents combats en avaient déposé sur le sol de l’arène, la rendant glissante. La sueur par contre était bien sienne. Il était épuisé, au bout du rouleau. Il débutait son troisième combat de la soirée, après une journée entière à jouer les gardes du corps et une course-poursuite dans les rues de Mannhattan. Le guépard tenait à peine sur ses jambes et les vociférations de la foule lui donnaient mal au crâne. La voix du présentateur au travers des haut-parleurs surpuissants sonna comme une cloche douloureuse à ses oreilles.

- La méduse va-t-elle remporter son troisième match d’affilée ce soir ? Je serais d’avis que non ! Mais je suis sûr que nombre d’entre vous ont parié que oui ! Attention mesdames et messieurs le combat va commencer !

La méduse. Ce surnom insupportait le guépard. Pourtant, la morsure de ses poings plaisait tellement au public, tout comme ses yeux luminescents, qu’il fut rapidement surnommé ainsi dans l’arène. Le patron lui fit même tatouer une méduse sur l’épaule droite, pour surfer sur sa réputation.

Lorsqu’il eut fini l’entrainement, et arrivait parfois à vaincre le maitre, Sean entra vraiment dans l’entreprise. Il commença à servir de duo pour nombre des gardes-du corps. Beaucoup le méprisaient, mais la plupart reconnaissaient ses compétences. Il avait l’œil vif pour repérer les nuisances potentielles, et était tout aussi prompt à réagir face au danger. Cette vivacité lui avait cependant valu d’agir quelques fois précipitamment, causant des erreurs regrettables pour l’entreprise. Les punitions suite à ce genre d’écart étaient toujours… démesurément difficile à supporter. Au bout d’un an, le patron eut l’idée de le faire combattre à la MDA. Il travaillait donc la journée, et se battait la nuit. Ce rythme effréné avait causé de nombreuses défaites. Mais il gagnait toujours plus souvent qu’il ne perdait et le gérant dépensait d’importantes sommes d’argent afin que son meilleur élément soit épargné. Ce devait être rentable…

- 3, 2, 1... Fight !

La voix de l’annonceur ramena l’hybride à la réalité. La fatigue faisait vagabonder son esprit, mais il devait se concentrer. S’il ne gagnait pas ce combat dès les premiers échanges, il n’aurait plus la force de le prolonger.

Son adversaire était un hybride ours de taille massive. Pourtant, cette masse ne l’empêchait pas d’être vif et il se précipita sur lui. Sean esquiva le coup et lui en porta un violent à la tempe gauche. L’ours réussit à parer le coup, mais fut bruler par les points du guépard et grogna. Ce court instant de douleur suffit au guépard pour lui placer un puissant uppercut en pleine mâchoire. Déstabilisé, son adversaire tenta de battre en retraite, mais Sean ne lui en laissa pas le temps et le poursuivit d’une avalanche de coups de poings.

- Oh oh oh ! L’adversaire de la méduse est déjà en mauvaise posture, va-t-il pouvoir gagner ce combat ?

Son adversaire était coriace, et il crut qu’il n’arriverait jamais à le faire céder. Pourtant, d’un crochet du droit bien placé, Sean projeta l’ours dans les bras de Morphée, ou dans ceux de Thanatos pour ce qu’il en savait.

- La méduse nous satisfait encore d’un combat éclair et laisse derrière lui un cadavre brulé ! Je plains tous ceux qui avaient parié contre lui !

Le guépard fit bonne figure tant qu’il était sous le feu des projecteurs, puis s’écroula derrière les coulisses. Il fut accueilli par les applaudissements du patron qui jubilait.

- Tu as bien mérité de te reposer. J’ai bien cru que tu n’arriverais pas à bout de cet hybride, et beaucoup d’autres l’ont cru. Tu m’as fait gagner un beau paquet d’argent. Aller on rentre, tu ne gagneras pas un combat de plus ce soir.

Sean le suivit en trainant la patte. Il détestait cet homme qui restait caché derrière son bureau ou derrière les tribunes. L’hybride savait d’expérience que le gérant aurait toutes ses chances dans l’arène, mais seuls ses congénères venaient se battre dans ce lieu de mort et de souffrance.


2058 – Mannhattan

L’air frais du matin remplissait le guépard d’énergie. Il allait toujours courir le matin, cela le délassait et le préparait pour la journée de travail qui l’attendait. Pourtant, ce jour-là, ce n’était pas un client qui l’attendait, mais le patron. Sa mission avait été annulée la veille et il était convoqué à neuve heure au bureau. L’hybride était bien vêtu, comme le devait être un agent de sécurité, il imposait. Il arriva, comme de coutume, avec dix minutes d’avance. Le patron était déjà là, l’hybride le salua en inclinant profondément la tête.

- Viens à côté de moi.

Tout dans l’attitude et la voix du chef montrait son déplaisir. Sean vint se positionner debout, juste derrière lui sur la gauche, comme était sa place. Il était légèrement inquiet en entrant, mais la colère de l’homme n’était visiblement pas tournée contre lui, puisqu’il le laissait se mettre à sa place. Le gérant était généralement avare de parole, ne parlant que pour donner des ordres ou fournir des informations. Là, pourtant, il semblait volubile.

- Le salopard qui vient ici veut te racheter. Je ne suis pas censé le savoir, mais j’ai mené mon enquête. Ils veulent t’utiliser dans leur brigade de traque de déviants là. Je vais me battre bec et ongles pour que ça n’arrive pas, tu me rapportes trop d’argent.

Sean n’en doutait pas. Il était un esclave, ne coutait que sa propre nourriture et son hébergement, abattait plus de travail que ses employés et se battait même dans l’arène pour lui. Cependant, c’était la première fois que le gérant le lui disait aussi directement. Ce n’est pas une question que l’on abordait avec son hybride et celui-ci ne réagit pas. Le patron devait être très perturbé pour en arriver à parler autant.

- Il parait que c’est la lubie du gratin de cette brigade. Il ou elle t’a vu combattre dans l’arène et te veux pour son groupe. Ça va pas se passer comme ça !

L’homme et son hybride attendirent dans un silence entrecoupé seulement par les récriminations du gérant. L’invité arriva avec dix minutes de retard, il était vêtu d’un uniforme militaire, absolument pas le genre de personne que Sean avait l’habitude de côtoyer.

- Bonjour et excusez-moi, il y avait des bouchons sur la route. C’est bien vous avez déjà préparé le produit. Je repars tout de suite avec.

- Qu’est-ce qui vous fait croire que je vais vous laissez partir avec si facilement ? Il va falloir négocier mon gars. Cet hybride est mon meilleur élément, parmi les hybrides en tout cas.

Celui qui semblait être un soldat leva les yeux au ciel. Il chercha un document dans une de ses nombreuses poches, le déplia et le présenta au gérant.

- Ecoutez, moi j’ai pour ordre de venir le chercher. Si vous souhaitez protester, adressez-vous à l’auteur de cette lettre.

Sean ne pouvait pas en lire le contenu, mais il vit son maitre pâlir, et sut instantanément qu’il allait changer d’appartenance. Même s’il détestait cet homme, le guépard avait encore du respect pour lui et le comptait parmi les forts. Là, il le vit se coucher, s’aplatir. Visiblement il y avait plus fort que lui, beaucoup plus fort que lui. Et il n’essayait même pas de se battre une seule seconde, ce qui le fit énormément baisser dans l’estime de l’hybride.

- Nan nan c’est bon, vous pouvez y aller.

- Bien. On m’a également chargé de vous dire que vous recevrez la compensation financière indiquée dès que l’hybride sera arrivé à la caserne.

- Faites, faites…

Sean suivit donc le militaire. Il se demandait bien qui pouvait faire peur à ce point-là, à l’homme qui avait toujours fait office de figure d’autorité suprême dans sa vie.


2061 – Bronx

Le bruit assourdissant d’une détonation emplit la ruelle. Sean se jeta de côté pour esquiver la balle qui venait de lui être tirée, l’esquivant de peu. Il avait été séparé de son partenaire humain dans ce labyrinthe, et essayait de le rejoindre. Il répondit à ce coup de feu par une volée de plomb pour forcer son adversaire à se mettre à couvert, puis se remit à courir. Il devait absolument rejoindre son partenaire, être isolé dans ce nid de déviants était une erreur.

Soudain, il eut la sensation que la nuit se remplissait au-dessus de lui. Il sauta de côté de justesse pour éviter un hybride qui lui tombait dessus depuis un étage. L’agresseur se retourna immédiatement pour attaquer Sean au couteau. N’ayant pas le temps de lui mettre une balle, le guépard l’accueilli d’un puissant coup de poing sur la pommette. Le combat rapproché était son domaine, il ne valait mieux pas l’agresser sur ce terrain. Malheureusement pour lui, le pauvre déviant n’aurait pas l’occasion de reproduire l’erreur. Il n’avait que peu ralenti le guépard, qui rejoignit finalement son partenaire.

Ce dernier l’accueilli avec un froncement de sourcil et un hochement de tête. Il prit son talkie.

- C’est bon, j’ai Sean, on dégage.

Les deux repartirent rejoindre le reste de la brigade, et quittèrent le Bronx.

Ce genre d’intervention était la seule nouveauté du travail du guépard. Patrouille, protection et traque était son quotidien, quotidien finalement assez similaire à ce qu’il avait connu par le passé, si ce n’est que la hiérarchie était encore plus stricte. Il avait passé trois ans dans la BTD, et ne regrettait aucunement son ancien patron. Là, au moins, il n’avait pas à démolir des hybrides sous le feu des projecteurs toutes les nuits.

- On a bien bossé, un paquet de cette engeance éliminé aujourd’hui. Combien toi ?

- Huit.

- Ah ! Encore une fois plus que moi, j’en ai eu six. Incroyable que mon hybride élimine plus de ses semblables que l’humain que je suis. Aller file-moi ton arme.

Sean lui tendit son arme à feu. L’hybride était mitigé quant à ce compte de victimes. D’un certain côté, il n’était pas spécialement satisfait de tuer des personnes de sa race desquelles il se sentait plus proche que des humains. D’un autre côté, il était du côté des forts, et cela lui allait bien. D’autant que le jeu et la compétition ne pouvaient que l’amuser.
Il avait eu de la chance sur le partenaire. Certains méprisaient leur hybride et le mettaient plus bas que terre. Cet humain-là avait compris comment Sean fonctionnait. Il ne le traitait pas bien, mais jouait avec lui et ne le considérait pas comme un chien sans cervelle. Il lui avait montré dès le début qu’il était fort et n’hésitait pas à rentrer dans la compétition avec lui pour le stimuler, ou se mettre en compétition avec les autres agents pour se stimuler aussi. Cela convenait à Sean. Il n’avait jamais été traité autrement que comme un hybride. Avoir de l’adrénaline, du risque de temps en temps, et des personnes à dépasser, c’était tout ce dont il avait besoin. Tant qu’il ne souffrait pas trop.


2062 – Manhattan

Sans trop savoir pourquoi, Sean avait été assigné à la protection d’une scientifique d’Humanis. Il n’en savait pas plus lorsqu’il était monté avec son brigadier dans la voiture. Ce dernier l’informa qu’ils allaient être séparé pendant quelque semaines, il devrait protéger une certaine Svana Vigdisdottir qui courait une importante menace déviante. Sean s’interrogeait de cette assignation, qui ne semblait pas non plus ravir son coéquipier. Mais il n’avait pas son mot à dire et s’exécuta donc. Le blâme qu’avait reçu le duo à la suite d’une petite insubordination récente était peut-être en cause.

Une mission de garde rapprochée commença donc pour le guépard. On lui avait fourni un appartement sur le trajet quotidien de la scientifique, à mi-chemin entre son appartement et les laboratoires sécurisés de chroma. Il ne devait pas pénétrer dans ces derniers et n’était autorisé à se reposer que lorsqu’elle y était, à quelques exceptions prêtes. Le reste du temps, il lui servait de garde du corps.

Cette période de protection dura trois semaines, et ces trois semaines changèrent profondément l’hybride. La femme était assez distante. Elle parlait à son protecteur lorsque c’était nécessaire sans prendre de gant, mais c’était tout. Les choses changèrent petit à petit jusqu’à ce qu’un lien très fort unisse l’hybride et l’Humanis. Ils étaient simplement tombés amoureux l’un de l’autre. La naissance de cette émotion ouvrit le guépard socialement. Lui qui ne s’intéressait auparavant aux humains comme aux hybrides qu’en terme hiérarchique, il voyait désormais d’autres choses. Le monde n'était pas seulement fait de mission, de sport et de défi. Il était bien plus vaste, bien plus coloré, il y avait plus de choses à y apprendre et à y expérimenter.

Malheureusement, le quotidien reprit brutalement. A la fin de la période de protection, Sean revint à la BTD et reprit des missions habituelles. Son brigadier le regardait régulièrement d’un air suspicieux. Si son hybride était toujours aussi efficace en mission, il semblait un peu changé. Il lui arrivait déchanger avec les autres avec curiosité, ou de se perdre dans ses pensées avec un sourire nostalgique, choses qui ne lui étaient jamais arrivé auparavant. Heureusement, rien ne permettait d’identifier l’origine de ce changement…