On a tout de suite compris qu'on ne le verrait pas briller dans une matière intellectuelle. L'apprentissage de l'écriture et des calculs a été laborieux. Ses entraîneurs lui ont prédit très tôt un avenir dans les tâches demandant de la force et de l'endurance. Plus intéressant à observer dans une activité qui demande de la pratique et peu de réflexion, c'est sa capacité à passer à l'action immédiatement qui lui a permis de s'adapter à un grand nombre de situations. Bien qu'il puisse apparaître comme indolent voire distrait lorsqu'il n'est pas sollicité, sa réactivité brutale et sa trop grande franchise gestuelle peuvent le rendre imprévisible et difficile à canaliser. Rendu tant bien que mal obéissant par l'éducation, cette maigre qualification peut toutefois rapidement dégringoler face à un maître à la main trop tremblante ou à une suite d'ordres incohérents. À noter qu'il n'est pas un hybride qui s'interroge particulièrement sur la morale et l'éthique des choses, le bien et le mal n'ont pas de valeur concrète à ses yeux. Il s'inquiète peu des conséquences de ses actes et favorise sa propre survie avant tout, peu importe que cela doive passer par le fait de servir un humain. Enfin, sa curiosité naturelle le conduit régulièrement à explorer l'environnement autour de lui et à s'intéresser à ce qui se passe, même s'il peine à comprendre les technologies nouvelles et concepts complexes. Il aborde le monde bâti par les humains avec une naïveté certaine et ponctuelle, puisque, autrement, l'hybride de combat qu'il fut n'a pas éprouvé le moindre remord à dévorer ses opposants sur le ring.

Ni chien, ni loup.
Un entre-deux.

Né en laboratoire, certains disent que ce caractère bâtard est à l'origine du fonctionnement un peu trop primitif chez Fang. Un peu trop bête, trop simple, puisque n'importe qui peut lire en lui comme dans un livre ouvert. Inutile de suivre les mouvements de sa queue canine dont le frémissement s'accompagne de chaque changement d'humeur : incapable de mensonge et de supercherie, l'hybride a depuis toujours été drivé dans le but de servir l'être humain. Et à succès, semble-t-il. Son désir de liberté semble s'être enfoui quelque part au fond de lui, sans doute dans un but de survie, puisque la survie, dès sa naissance, s'est illustrée dans le fait de suivre et d'obéir aux humains. Bien que démontrant une réticence à suivre des commandes illogiques ou provenant d'humains hésitants, il s'est démarqué tôt de ses congénères canins par la rapidité et l'efficacité de ses exécutions. On ne lui demandait pas de réfléchir, mais d'agir. Ce qu'il faisait avec brio.

À ses dix-huit ans, Chroma l'envoie en animalerie. Comme il est issu d'une race relativement courante et que ses compétences théoriques sont moindres, la boutique le tarifie au prix moyen. On en fait surtout la promotion par ses facultés physiques étonnantes, et qu'une éducation complémentaire pourrait le rendre tout à fait apte à un métier de chien pisteur. Cependant, c'est un maître féru de combats clandestins qui tombe sur l'hybride et choisit de le nommer Fang, en raison d'une mâchoire qui se révélera particulièrement redoutable sur ses adversaires. Le ring devient alors la nouvelle maison du warrigal dont le quotidien alterne entre les joutes à la fosse de combats et les quelques instants de solitude autorisés dans les rues malfamées du Queens. Il s'accommode à cette existence de sauvage apprivoisé avec une aisance presque naturelle. Quatre années passent. Tout du long, son maître le perçoit comme un gagne-pain et un moyen de distraction.

Au terme de ces quatre années, ce propriétaire trouve brutalement la mort, retrouvé sans vie au pied de l'escalier qui menait à son appartement. Si certains journalistes détracteurs de la cause hybride ont tenté de rejeter la faute sur Fang, l'enquête menée n'a cependant trouvé aucune preuve décisive, et le dossier s'est refermé sur la conclusion d'un accident. La perte soudaine de son maître est vécue dans un silence rare chez Fang, lequel se fait reconduire à l'animalerie dans l'espoir d'un éventuel rachat, mais peu de citoyens veulent se risquer à l'acquisition d'un hybride dont la rumeur court qu'il aurait attenté à la vie de son ancien propriétaire. On tente de réinitialiser les dernières années qui ont affecté son comportement pour effacer l'instinct primitif qui le fait déclencher face au moindre rival potentiel. Évidemment, le responsable à la charge de sa vente se garde bien de signaler son passif de combattant clandestin à la clientèle en quête d'un gentil hybride domestique. Si tant est qu'il soit possible de convertir un ancien chien de combat à chien de canapé.

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