Mon caractère s'accorde à mon physique. Je ne mâche pas mes mots, je suis d'une franchise brutale. Je préfère dire les choses de façon directe, abrupte même, que perdre mon temps en finasseries. J'aime l'efficacité, avant tout.

Contrairement à ce qu'on peut penser en me voyant, je ne suis pas négligente ou désorganisée. Bien au contraire, je suis à la fois pragmatique et carrée dans ma façon de faire les choses.  Ainsi, je sais où trouver ce qu'il me faut, que ce soit un objet ou une information. Avec mon métier, c'est nécessaire, afin de ne pas me perdre dans mes échantillons et mes dossiers.

Je suis passionnée par mon travail, par l'océan en général, et en particulier par les créatures y vivant. Ne me lancez pas sur le requin pélagique ou les différents grandgousiers, je peux vous en parler durant des heures... On peut sans exagération dire que je vis pour mon travail. Même sur mon temps libre, j'adore plonger. Je ne recueille pas mes échantillons dans la nature, sauf exception, mais je considère que connaître le milieu naturel de mes spécimens permet de mieux appréhender les hybrides qui en sont issus.

Sur un plan plus personnel, je parais du genre solitaire, mais c'est surtout que j'ai du mal à sociabiliser. Je n'ai plus de rapport avec Jonas, mon ex-mari, et je m'occupe beaucoup de Njáll, notre fils de six ans. Depuis mon divorce, je ne me suis jamais engagée dans une histoire sérieuse, mon travail et mon fils remplissent ma vie. Je ne m'interdis pas des passades sans lendemain, mais je n'ai pas vraiment le physique qui attire pour ce genre de choses. Pour le moment, ça ne me pèse pas trop, et je peux toujours me consoler devant un verre au bar lorsque je me sens trop seule.

Récemment, j'ai perdu de ma passion pour certains aspects de mon travail. Jusque là, intégrer de l'adn animal, en particulier non mammifère,  au génome humain,  me paraissait un défi exaltant.  Aujourd'hui, je m'inquiète de l'éthique de mes actes. Qu'est-ce qui me donne le droit d'infliger ça à d'autres personnes ? Surtout que je ne peux plus me leurrer, les volontaires ne le sont que rarement.  Il s'agit surtout d'enfants isolés ou de personnes poussées par la nécessité,  acculées par la pauvreté.  Mais je connais trop de secrets pour que Chroma me laisse partir. Et de même pour Humanis, que j'ai rejoint sans conviction, poussée par mes collègues et supérieurs.  Aujourd'hui ils me révulsent, mais je ne sais comment les quitter sans danger. Non seulement pour moi, mais surtout pour mon fils.

Dates clés:

Je suis née en Islande, à Reykjanesbær, une ville côtière. Mon père était pêcheur, ma mère biologiste marine. J'ai donc passé mon enfance sur la mer, et j'ai appris très jeune à nager et à plonger. Comme je suis fille unique, mes parents m'ont très souvent emmenée avec eux, me transmettant leur passion de la mer. Ce qui faillit finir tragiquement.
Alors que j'avais environ neuf ans, nous sommes partis naviguer en haute mer durant plusieurs jours, sur le voilier de mes parents. Il était bien sûr équipé de tout le confort moderne, et des systèmes de sécurité assortis, mais quelque chose est allé de travers. Je ne sais plus exactement quoi, je crois qu'il y a eu une défaillance du système d'énergie, qui nous a privé de tout les systèmes de navigation automatisés. En navigant à l'aveugle, nous nous sommes retrouvés pris dans un groupe d'iceberg tabulaires, des fragments de banquise à la dérive.  Le navire a été pris entre deux morceaux de glace, et sa coque a éclaté comme une noix. J'ai reçu des éclats de bois et de métal, dans le visage et sur le côté du corps.
Heureusement, mes parents ont pu me faire monter dans le canot de sauvetage. Mais, arrosées par les embruns salés, mes blessures se sont creusées. Je ne saignais pas tellement, mais il a fallu trois jours pour nous retrouver, et les médecins n'ont pas pu effacer mes cicatrices. J'étais trop jeune, et trop affaiblie pour supporter de trop grosses interventions, ils ont paré au plus pressé. Et plus tard, je n'ai pas jugé utile de corriger ça. Ces marques font partie de moi, j'ai grandi avec, et je pense que, sans elles, je ne me reconnaîtrais plus dans un miroir.

Cet accident ne m'a pas privée de ma passion pour l'océan. Clouée dans mon lit de convalescence, j'ai découvert que j'aimais apprendre et étudier, autant que naviguer et plonger. Ce goût de la science m'a poussée à suivre des études de zoologie, spécialisée en océanologie.

J'étais une élève brillante, et j'ai eu droit à une bourse pour apprendre dans l'une des meilleures écoles d'Europe. Comme je n'ai jamais été un modèle de séduction, quand mes camarade hommes et femmes se tournaient autour, je restais plongée dans mes cours, ou je hantais l'aquarium scientifique tout proche. Mes week-ends et mes vacances, je les passais en mer.

Je ne suis pas pour autant qu'une acharnée du travail, et au cours de mes sorties au bar proche, pour me détendre, j'ai rencontré Jonas, qui préparait son entrée à l'école militaire. On a continué à se fréquenter pendant ses classes. Si je n'étais pas la plus belle femme du monde, il aimait ma passion et mon caractère. Nous nous sommes mariés après mon master en 2051.

Pour ma thèse, j'ai eu la chance de décrocher un stage auprès du laboratoire Chroma de Staten Island, où ma spécialisation en zoologie marine et génétique me rendait très intéressante pour certains projets. En particulier l'un d'entre eux, Hybrids In Space, qui s'est concrétisé deux ans plus tard avec un premier cobaye. Comme stagiaire et comme scientifique, j'ai beaucoup côtoyé le jeune Fajar, après qu'il ait été changé en hybride. Je faisais partie de l'équipe ayant séquencé et intégré l'ADN de Rorqual Bleu et de grand dauphin, et qui surveillait leur bonne assimilation, ainsi que le bon développement du sujet. Il n'était pas un adolescent ordinaire, et j'essayais de prendre en compte ses sensibilités particulières lors de mes interactions avec lui. Puis en 2058, il a rejoint la NASA pour préparer son premier séjour dans l'espace, et j'ai cessé d'avoir contact avec lui, même si en tant que scientifique impliquée, j'ai su que son séjour donnait des résultats prometteurs, bien que son retour ait posé quelques problèmes. Une fois qu'il a été écarté du programme, je n'ai plus rien su à son sujet. Je n'ai pas trop cherché à savoir ce qu'il devenait, d'autres projets m'accaparaient, ainsi que ma vie quotidienne.

Une fois ma thèse validée et mon doctorat obtenu, Chroma m'a offert un poste permanent dans leur laboratoire new-yorkais. Je n'allais pas laisser passer pareille opportunité. Jonas avait obtenu un poste comme détaché à l'étranger pour me suivre dans mon stage aux Etats-Unis, et il était d'accord pour rester. Nous avons pu concrétiser notre désir d'avoir un enfant, et Njáll est né en mai 2056. Nous connûmes plusieurs années de bonheur.

Alors que la vie suivait son cours, une distance s'était creusée entre mon mari et moi. Pas de vraie discorde au début, mais on s'est rendu compte que nous n'étions plus amoureux, le travail nous accaparait tant, chacun de notre côté, que nous réservions notre temps libre et notre affection pour Njáll, sans rien conserver l'un pour l'autre. Puis les choses se sont envenimées. Jonas arrivait au bout de sa mission, et il voulait rentrer en Islande. Ce qui aurait impliqué que j'abandonne mon travail. Je n'en avais aucune envie, et Chroma ne comptait pas me laisser partir, d'autant qu'ils n'avaient pas de poste pour moi au pays. Le ressentiment de Jonas s'est accentué, au point qu'il me posa un ultimatum : il m'annonça qu'il rentrait en Islande, avec ou sans moi. Et qu'il emmenait notre fils.
Je me suis battue. Avec tout le poids que peut donner un réseau comme Chroma et Humanis, que j'avais rejoint sans conviction, mais poussée par mon entourage professionnel. Ils m'ont trouvé les bons avocats. J'ai obtenu la garde totale. Jonas a un droit de visite s'il se trouve sur le territoire américain. Il est reparti en Islande,  et je n'ai plus de contact avec lui, hormis pour Noël et l'anniversaire de Njáll.

Je me suis encore davantage impliquée dans mon travail, mais en restant disponible pour mon fils. Et puis ce fut l'erreur. Je ne saurais pas expliquer comment c'est arrivé. J'ai eu une liaison interdite dans mon milieu.  Avec un hybride. Un inférieur, un non-humain. Son état nous a séparé.  Et tout a basculé.  Je ne peux plus voir les hybrides comme des animaux, pas après une telle passion. J'ai réussi à garder cette histoire dissimulée,  mais je ne suis pas douée pour cacher ce que je ressens. Et avec la garde de Njáll,  Humanis et Chroma ont un énorme moyen de pression sur moi. Je ne sais plus que faire. J'aime mon travail,  mais certains aspects de celui-ci me sont maintenant insupportables. Seulement,  j'en sais trop sur les secrets de Chroma pour qu'on me laisse partir...