Contrairement à l'apparence tape à l'oeil que la génétique des laboratoires Chroma m'a donnée, je suis de nature plutôt discrète.
Presque introvertie à vrai dire, je suis de celles qui se mettent dans un coin dans une pièce pleine de monde et ajoutent leur grain de sel uniquement quand ça leur paraît indispensable.
Je suis assez complexée par mon apparence, il faut dire que je sors de l'ordinaire des hybrides que l'on croise même au sein des Déviants, et mes courbes pour ma taille modeste n'arrangent rien à l'affaire !
De fait, j'ai tendance à m'agacer quand on me dévisage un peu trop longuement à mon goût et je n'hésite pas à cogner si jamais on ne trouve rien de mieux à faire que de m'insulter sur mon physique.
Pourtant je suis une créature patiente, je n'hésite pas à attendre autant que nécessaire pour quérir ou amener en toute prudence les biens dont nous autres Déviants pouvons avoir besoin et je suis particulièrement ponctuelle lors des rendez-vous pris avec nos contacts.
Je suis tout autant méticuleuse, j'ai cruellement conscience que n'importe quelle opération aussi facile semble-t-elle peut mal tourner si jamais on ne la prépare pas correctement.
Si mon caractère réservé me fait paraître froide au premier abord, une fois que je sais que je peux avoir confiance en la personne qui me fait face et que la glace est brisée définitivement, je peux me montrer chaleureuse voire même affectueuse envers autrui.
Comme tant d'autres hybrides, je suis née au sein du Laboratoire Chroma de Staten Island.
Une des premières phrases dont je me souvienne c'était "Regardez-moi cette petite merveille sortie tout droit de la cuve
".
Le fait que je sois une commande spéciale d'un riche client texan - pour ce que j'en ai entendu - avait sans doute quelque chose à voir avec leur enthousiasme...
Pourquoi il a voulu faire naître une hybride bovine telle que moi ?
Sans doute à cause de l'amour immodéré que les texans comme lui ont pour le bétail je présume.
Mais dans ma plus tendre enfance, tout cela n'avait guère d'importance, on me traitait bien pour autant que je m'en souvienne.
On me nourrissait autant que je le voulais, on prenait soin de moi, on m'éduquait autant qu'ils l'estimaient nécessaires.
C'est lorsque j'ai atteint ma puberté que ma situation a commencé à souverainement me déplaire !
Si je suis née avec la queue bovine qui jaillit de mes reins, les maux de tête qui ont précédé les atroces douleurs qui m'ont vrillé le crâne durant des semaines pendant que mes cornes poussaient pour prendre leur taille adulte ont failli me rendre folle en dépit de la quantité de médicaments dont on m'abreuvait chaque jour pour tenter de m'apaiser.
Et je m'étais à peine remise de cette phase de croissance que les injections ont commencé !
Ceux qui me les faisaient ont toujours prétendu qu'il s'agissait de vitamines mais mes muscles qui me brûlaient dans tout le corps m'ont laissé clairement entendre le contraire.
Et les tests de force qu'on m'a fait faire par la suite me l'ont clairement prouvé : si ces piqûres à répétition semblent avoir entravé ma croissance en termes de taille, sous ma carrure chétive ils ont développé ma musculature au point de me rendre capable de concurrencer n'importe quelle autre tête de bétail de bonne taille en termes de force physique.
Comme si ça ne suffisait pas qu'ils aient fait de moi une force de la nature avec ces injections, j'ai constaté avec aigreur que mes courbes s'accentuaient petit à petit de manière notable.
Je n'avais aucun point de référence bien sûr mais les vêtements qu'ils me donnaient et qui me semblaient rétrécir désagréablement autour de mes rondeurs de semaine en semaine m'ont alarmée bien avant que le poids de ma poitrine ne commence à sérieusement peser sur mes épaules et mon dos.
Et une fois de plus, on m'a dit de ne pas m'en inquiéter, que ce phénomène cesserait dès qu'on estimerait que je serais prête.
Prête à quoi ? Je ne l'ai jamais su... et même aujourd'hui je crois que je préfère ne pas le savoir.
Toujours est-il qu'un jour on m'annonça que je serais transférée au Texas (sans doute dans une des propriétés de l'humain qui m'avait commandée auprès de Chroma) et pour la première fois, j'ai quitté l'enclos qui m'avait vu naître.
Voir autant d'hybrides, dans autant de cages de verre, dans autant de couloirs interminables, m'a fait un choc : cela ressemblait... aux zoo que l'on m'avait montré dans mes livres d'enfant.
On m'a enfermée dans un container au nom de Brooks à destination de l'aéroport, à l'arrière d'un fourgon de Chroma et nous avons pris la route... mais pas pour longtemps !
Nous étions en 2054 cette année-là et je ne sais comment, les premiers membres des Déviants avaient appris que ce soir-là on transférait un "bien précieux" depuis le laboratoire de Staten Island.
Ils ont attaqué le convoi dans lequel j'étais, neutralisé les gardes et m'ont libérée : j'étais effrayée, je ne comprenais pas ce qu'il se passait... du moins, jusqu'à ce que j'arrive dans un de leurs repaires au coeur du Bronx après qu'ils aient fait le nécessaire pour me dépucer.
Ils ont pris le temps de me rassurer sur leurs intentions... mais aussi de me révéler tout ce que j'avais toujours ignoré jusqu'alors dans mon petit monde de verre au sein du laboratoire.
La réalité de ce monde, comment et pourquoi les humains avaient créé les Hybrides, le fait que nous n'étions que des marchandises pour eux, la manière dont ils nous traitaient aux quatre coins du monde... et il ne m'a fallu guère de temps pour comprendre que la cause que les Déviants défendaient était juste.
Petit à petit, au fil des années, j'ai appris ce que je devais savoir pour survivre à New York en tant qu'hybride, j'ai fait mes preuves dans leurs rangs jusqu'à devenir une fournisseuse en qui ils peuvent avoir toute confiance.
Contrairement aux plus radicaux d'entre eux, je n'ai pas d'a priori sur les humains qui prétendent vouloir nous aider (comme ceux d'Unity) donc c'est souvent moi qui vais à leur rencontre quand la situation l'exige, il faut dire que ma force physique se montre très utile pour les expéditions en solitaire que j'affectionne.
Mais je ne suis pas aussi placide que mes créateurs auraient voulu que je devienne : si jamais les Déviants doivent effectuer des actions coup-de-poing pour atteindre leurs objectifs, je n'hésiterais pas à leur prêter main-forte !...