Certains diront qu'être enfermé n'attire que la douleur.
Certains diront qu'être muselé n'entraîne que le malheur.
Certains diront que la fermeté n'amène que la peur.
Certains diront que la liberté est ce pourquoi le loup est né.

Tout commence avec un automate.
Un pantin aux cheveux courts.
Un corps frêle, un corps lâche.
Des yeux effrayés, mais des yeux doux.
Une voix amicale, une voix mélodieuse.
Un collier de chien...
Des chaînes aux poignets, des chaînes aux chevilles.
Des chaînes infinies, reliées au néant.

"On ne dompte pas une bête sauvage."
Pourtant, cette bête était heureuse d'être attachée. Heureuse ?
Elle vivait dans le bonheur d'appartenir à un Ordre. Bonheur ?
Elle vivait fière de suivre des directives, elle vivait fière de baisser les yeux, fière d'être tirée en laisse. Fière...? Vraiment ?

Pourquoi ? Pourquoi petit loup ? Toi qui dois courir vers la Forêt, là où se trouve ta place, ta destinée ?

Un hall sans chandelier.
Des murs sans bougie.
Un centre éclairé, et un sol écarlate.
Le sol est froid, glacial même. C'est comme si un vent d'hiver refroidissait même le sang.
Une silhouette pathétique, fixant le vide.

"Bonjour mademoiselle."
"A votre service mademoiselle."

Corps droit. Tête haute.
Souris, fais la révérence.
Sois un beau chien. Sois un bon chien.

Une autre voix, une voix enfantine, une voix masculine.
Une voix de petit garçon, une voix qui résonne dans cette pièce sans vie.

Pourquoi adores-tu autant ces chaînes ?
Toi que la Lune attend, toi qui l'admires- pourquoi préfères-tu rester sous un toit ? Pourquoi préfères-tu t'éloigner de cette fascinante lumière argentée ?
Pourquoi ce collier, toi au corps qui supplie liberté- toi qui rêves que le vent glisse pleinement sur ta peau ?

La silhouette frisonne.
Elle ne semble pas vouloir écouter.
Elle continue son jeu, comme elle continuerait un spectacle- en ignorant volontairement un désagréable invité.

"Je suis fier de vous obéir, mademoiselle."
"Vous me rendez si heureusex mademoiselle."

Mademoiselle ? Tu veux parler de Joyce Warren ?

Les pupilles du pantin disparaissent, alors que ses prunelles jaunes tremblent, comme si des larmes allaient bientôt monter.

Tu es un loup, Alistair. Tu dois courir, courir vers la Forêt, tu dois fixer la Lune, parce que c'est ce pour quoi tu es né ! C'est ton instinct, l'essence même de ton existence ! Tes pulsions, tes véritables désirs primitifs ! Ta véritable joie...
Et pourtant, tu crois être un chien, tu crois être heureux en acceptant de souffrir en échange de friandises.
Tu crois être heureux, parce que c'est ainsi que l'on t'a dressé.
Mais le corps n'oublie pas, Alistair.
Le corps n'oublie pas, et l'instinct reste. Il restera toujours, et te rappellera toujours qui tu es.
Ce que tu es.

Un gros bruit.
Comme une flèche d'horloge qui bouge tout d'un coup.

Tu dois l'accepter, c'est l'étape que tous doivent franchir.
Tu ne peux pas grandir en tant que chien, être ce que tu n'es pas.
Tu peux porter un masque, mais il ne durera pas. Le masque tombera, il se brisera. Ce n'est pas ton véritable visage.
Ton cœur peut mentir, battre comme celui d'un chien-
Mais la vérité se révèle toujours.

Le pantin tombe à genoux.
Les chaînes s'agitent et tintent sauvagement, tandis que la marionnette s'attrape les cheveux.
Elle tire dessus en hurlant, son visage noyé par les larmes.
De la fumée sort du sol, lentement.

"Maîtresse ? Maîtresse par pitié, ne m'abandonnez pas !"
"Je ne veux pas être ce que je ne suis pas !"
"Je veux être avec vous, finir avec vous, à vos côtés !"

De nouveaux faisceaux de lumières.
Un peu partout autour de la marionnette.
Plusieurs paires de nouvelles silhouettes- des silhouettes sombres, comme des ombres, rouges souriantes.
Un couple à chaque fois, le même, dansant amoureusement autour du pantin malheureux.
Une femme, et lui-même.

"Je suis un chien, votre chien !"
"Sans vous, qui suis-je ? Que suis-je ?"
"Ces rêves... Ces idées, ces pensées.. Elles vont revenir... Elles vont me hanter !"
"Je ne veux pas d'elles, ce n'est pas ce pour quoi je suis né !"
"Ce n'est pas la destinée que je souhaite !"

Ses cheveux poussent.
L'horloge avance. Elle est illuminée au loin, en face de lui.
Tic tac. Tic tac.
Comme si quelqu'un frappait contre une vitre... Qui se fissure à chaque coup.
Des ciseaux apparaissent plus loin, tandis qu'une lune se dévoile, tout là haut- la Lune... Elle brille- c'est elle qui l'éclaire, lui, son adepte.

On n'échappe jamais à ses besoins.
Ce qu'on veut... N'est pas ce qu'il nous faut.
Alistair, tu peux te mentir.
Alistair, tu peux continuer de jouer la comédie.
Mais tu n'es pas comme eux.
Tu n'es pas comme ce chien que tu croises à la rue.
Ton regard n'est pas le même. Il ne reflète pas ta maîtresse, peu importe à quel point tu peux y croire.
Tu peux peindre par-dessus, essayer de cacher ce que tu ne veux pas...
Mais tu sais pertinemment ce qu'il y a derrière.
Tu ne l'oublieras pas, tu ne l'oublieras jamais.
La véritable image, celle qui s'est affichée à toi depuis toujours, amenée au plus profond de tes entrailles... Elle restera dans tes pensées, elle subsistera !

Le pantin avance, tirant sur ses chaînes.
L'horloge continue d'avancer et ses cheveux continue de pousser.
Les couples continuent de danser, la Lune continue de briller...

"Je dois... Je dois me couper les cheveux..."

Ce n'est pas Joyce que tu vois-
Mais la Lune, la Liberté.

Ses yeux se lèvent vers le ciel, alors qu'il réussit enfin à attraper les ciseaux d'argent.
Il les serre contre lui, alors que ses prunelles prennent la forme d'une paire de lunes écarlates.

L'odeur que tu sens, ce n'est pas celle de la fumée, peu importe à quel point tu peux fumer.
L'odeur que tu aimes, ce n'est pas celle de la cigarette, peu importe à quel point tu essaies de te forcer !
L'odeur qui te fait trembler, l'odeur qui éveille tous tes sens...

"M-MAITRESSE !"

Le pantin crie de toutes ses forces, alors qu'il finit par se couper les cheveux.
Ses mèches partent dans les ténèbres, ténèbres qui crachent une silhouette derrière la marionnette.
Une silhouette masculine qui se glisse tout près, sans qu'elle le sache.
"Alistair" pleure, les ciseaux contre sa poitrine.

Tu ne peux pas fuir tes désirs.
Tu es une bête sauvage, tu n'es pas destiné à porter une muselière.
Eloigne-toi de cette odeur de fumée, et chante à pleins poumons.
Hurle comme un loup, et non plus comme un chien malheureux.

Un nouveau faisceau de lumière apparaît, dévoilant des escaliers qui semblent sans fin, juste en face de lui.
Alistair, effrayé, ne sent plus ses membres.
La silhouette masculine derrière lui approche... Le poussant vers sa destinée.

...
Le pantin tombe, et à chaque coup contre chaque marche... L'horloge avance et le corps se fissure comme du verre.
Clic. Clic. Clic.
Clac. Clac. Clac.
Les chaînes ne se brisent pourtant pas.
Les couples derrière lui disparaissent.
La fumée le poursuit.
Et la Lune ne s'éteint pas.

Clac. Clac. Clac.
Clic. Clic. Clic.

"Pourquoi, réponds-moi."

Une voix féminine, celle de la marionnette, s'élève aux côtés de la voix assurée du petit garçon.

Rappelle-toi.
En échange de quoi, t'a-t-elle donné toutes ces "friandises" ?

"Je lui devais loyauté. Lui obéir pour tout."

Et quels étaient ses ordres ?
Dans quel but ?

Comme si une cassette s'était mise, des images défilent sur le côté des escaliers, comme sur un gigantesque mur dans le néant.
Des images de sa vie... Une immense arène...
Des seringues.
Des cachets.
Du sang.
De la chair.
Du sang.
De la fumée.

"Elle voulait être protégée. Elle voulait m'entraîner."

Non Alistair.
Tu sais très bien pourquoi.

Clic. Clic. Clic.
Clac. Clac. Clac.

L'horloge continue d'avancer, et les images partent à toute vitesse pour finir sur une paire de ciseaux d'argent... Ensanglantés.
Plusieurs horloges apparaissent.
Partout.
La cassette disparaît.
Il n'y a plus que les escaliers, les horloges, la fumée et la Lune.
Le temps passe. Tic Tac.

Alistair.
Elle voulait réveiller tes instincts.
Elle t'a tenté.
Elle voulait voir jusqu'où tu pouvais aller.
Elle voulait voir ce que tu étais vraiment.
Elle t'a poussé au combat.
Elle a demandé de te provoquer.
Elle t'a drogué.
Et elle t'a forcé à avancer vers tes pulsions en échange de friandises.

"Tu... Tu mens..."

Le corps continue de tomber.
La voix du pantin tremble.

Pourquoi te mentirais-je ?
Je ne suis qu'une voix dans ta tête.
Si j'existe, c'est que tu doutes déjà.

"Je..."

Puis les escaliers se terminent enfin.
Le corps explose en morceaux sur le sol froid des doutes.
Les morceaux fondent en rouge.
Du rouge qui s'étale sur le sol.
Des mains en ressortent, des mains puis des bras. Puis un corps, nu, infesté de cicatrices.
Un corps, nu, mâle, mais aux traits de femelle.
Des seins naturels et un pénis ajouté par des mains humaines.
Un changement incomplet, formant une aberration.
Un hybride de sexe comme de race.
...
Les chaînes ne l'abandonnent pas. Des chaînes qui se dessinent à nouveau à son cou, ses poignets et ses chevilles.
Ses oreilles canines sont baissées. Tout comme ses yeux jaunes et phosphorescents.

Un nouveau corps s'affiche alors.
La même silhouette masculine de tout à l'heure.
Elle avance, et plus elle avance, plus elle rapetisse.
L'homme devient un enfant... Et, dans un nuage de plumes de corbeaux, les couleurs lui viennent. Des cheveux châtains, une peau claire...
L'enfant sourit au Loup.

"Pourquoi m'avoir soutenu ? Pourquoi avoir payé tout ça... Pour ce corps ? Pour moi ? Pourquoi m'avoir fait manger à table ? Pourquoi-"

Elle voulait te tenter, par la méthode de la "carotte".
Elle voulait te dresser à devenir toi-même. C'est ce qui me fascinait chez elle. Elle ne faisait pas comme les autres.
Elle voulait pousser un hybride endoctriné à devenir lui-même ! Le fouetter pour le libérer !
Pourquoi t'a-t-elle demandé de gagner tous ces combats, hein ?
Pourquoi t'a-t-elle demandé de tuer, de ne pas hésiter à mordre ceux que tu souhaites ?

"..."

L'enfant rit, et la fumée forme un corps de femme derrière Alistair.
Une femme qui l'enlace, sa tête posée contre son épaule.

Pourquoi ne t'a-t-elle pas retenu, cette soirée-là ? Je ne sais pas.
Pourquoi a-t-elle arrêté de te dire de te couper les cheveux ? Je ne sais pas...
Qui a continué de les couper, hein ? Moi...
Rappelle-toi de cette soirée-là.

Rappelle-toi. Le jour où elle t'a demandé de manger son corps...

"Non..."

N'as-tu pas ressenti de joie à ce moment-là ?
De plaisir ?
La liberté, ta salvation... Elle est là.
La violence, le sang... Tes pulsions !
Tu es un loup, Alistair !
Et elle l'a bien vu... Elle voulait faire de toi un loup, te sortir des chaînes des humains !
Elle était fascinée par ton potentiel, tout comme moi !
Et je l'ai aidé... Maintenant... Tu es libre !

Les chaînes se brisent, et Alistair frôle de tomber.
Les horloges continuent de tourner.

N'est-ce pas ce que tu voulais réellement ?
Alistair, Joyce le voulait. Elle voulait que tu te libères.
Haha, tout comme moi... Elle voulait voir tes crocs !
Elle voulait voir à quel point tu pouvais être affâmé.
Animal...
C'est ça, la vraie liberté !
La vraie beauté !

"Non, non... Non..."

Alistair se tient la tête puis ouvre grand la bouche, des cascades sortant de ses yeux.
La femme-fumée entre dans sa gueule.
La fourrure les cheveux du Loup deviennent plus longs encore.
L'animal fait tomber ses ciseaux.
L'enfant rit. Encore.

Regarde au plus profond de toi.
N'est-ce pas ce que tu souhaitais ?
La manger, les manger tous, tuer...
LA LIBERTE !
N'est-ce pas la joie que tu voulais ?

"Non..."

La voix du Loup devient faible, vide, perdue dans le néant.
Des aiguilles se dessinent dans ses prunelles, avançant comme celles des horloges, en parfaite synchronisation.

"Ce n'est pas la joie que je voulais."

Toutes les horloges s'arrêtent à minuit.
Même celles dans ses yeux, celles qui reflètent des lunes vermillons.

HAHAHA !
Qu'est-ce que tu racontes ?
Pourquoi fumes-tu ? Pour te priver d'hurler, de chanter comme un loup ?
Pourquoi fuis-tu tes pulsions ? Pourquoi te crées-tu des chaînes ?
Ecoute-moi, Alistair !

La voix du garçon devient double. Une voix plus grave, plus rauque, plus brutale et mature s'ajoute à la sienne.
La voix de l'homme qu'Alistair connaît si bien.
Le Loup le toise.
L'enfant est devenu un corbeau au grand sourire.

Au plus profond de ton être...
Tu as aimé le goût de la chair.
Tu as aimé le goût du sang.
Tu t'es habitué à la violence.
Tu aimes dominer.
Tu détestais ces chaînes.
Tu voulais courir librement.
Tu voulais vivre par toi-même.
Tu ne voulais pas obéir à Joyce.
Non... Tu voulais la posséder.
Qu'elle t'approche, encore et encore.
Mais tu ne voulais pas l'embrasser.
Tu voulais... La manger.
La serrer jusqu'à-ce que ses os se broient. Tu voulais la briser !
Son doux parfum sucré... Ses vêtements rouges...
Tu voulais la mordre.
Après tout, n'as-tu pas toujours pensé qu'elle était "à croquer" ?
Elle le voulait.
Et tu le voulais.
Elle voulait que tu t'acceptes.
Tu voulais la manger, tu ne l'as jamais aimée !
QUAND ELLE DISAIT VOULOIR SE LIER A TOI, ELLE VOULAIT ETRE EN TOI... DANS TON VENTRE ! DEVOREE !

"FERME-LA !"

Une énorme bête.
Elle grandit, l'ombre grandit.

Oh Alistair, comme tu as de grandes oreilles !
Oh Alistair, comme tu as de grands yeux !
Oh Alistair, comme tu as de grandes mains !
Oh Alistair, comme tu as de grandes dents !

...
Le Loup géant en larmes ouvre la gueule...
Et dans un nuage de plumes et de sang, la lune qui l'éclairait devient écarlate.
Toutes les horloges sonnent...

Il est minuit.

En cours