Tu es un bon gars.

Alors pourquoi te faire ça ?

Tu as toujours suivi les ordres, dis oui à tout. Un bon petit soldat, prêt à mourir pour sa patrie. Tu es cet homme qui est prêt à suivre ses supérieurs n'importe la mission tant qu'il se fait bien voir et que l'on le traite comme un bon élément. Tu es ce soldat sérieux, mais souriant, qui tend la main en cas de besoin, et l'oreille quand quelqu'un en demande. De tes dix-huit ans à tes quarante ans, tu as été cet homme, toujours loyal et combatif, présent et toujours à l'heure.

Tu es un hybride. Un être méprisé des humains, voué à l'esclavage. Tu n'aimes pas ces oreilles et cette queue, tu n'aimes pas ces nouvelles sensations, cette nature. Tu ne haïssais pas les hybrides, tu ne leur prêtais même pas attention, tu écoutais juste les ordres, tu suivais les règles. Aujourd’hui, tu as ce goût amer en bouche, tu leur en veux. Tu leur en veux d’exister, parce que s'ils n'étaient pas là aujourd'hui, tu serais encore à l'armée. L'on ne t'aurait pas transformé. Tu préférerais être en prison, plutôt que d'être enchaîné et pris pour un animal.

Mais tu te tais. Même avec ce qui brûle en toi, tu écoutes les ordres, tu fais ce que l'on attend de toi. Mais la peur te fait faire des choses stupides. Tu as sans cesse envie de fuir, aller loin, là où on ne te trouvera pas. Tout autour de toi semble être une mauvaise idée, tu ne te sens nul part en sécurité. Tu es déchiré par ton sens du devoir et ce désir de t'échapper.
Tu es comme dans un autre monde. Tu ne reconnais plus celui où tu as grandis, tu as l'impression d'être dans une autre dimension. Plus rien ne semble avoir d'importances, de couleur. Tout est morne, et plus rien ne semble avoir de sens. Est-ce ça d'être un hybride ? Vivre dans la peur et l'humiliation ? Tu te sens étrange, jamais tranquille. Comme si quelque chose, ou quelqu'un te suis. Tu vois certaines choses, que personne ne voit. Tu ne sais pas quoi en penser.

Tu n'as rien oublié de ce que tu as vécu à l'armée. Tout te reste en tête, tes réflexes, ton comportement. Tu refuses de te comporter comme un hybride, mais ces vilaines oreilles et cette queue ne peuvent être cachés bien longtemps. Tu ne possèdes plus rien.

L’Amérique. Tu aurais tout donné pour ce pays, à vrai dire, tu as passé tellement de temps à l'armée que tu n'as jamais eus réellement de vie en dehors de ça. Tu es né dans ce beau pays, d'une famille modeste mais terriblement aimante. Malheureusement, ta mère mourut d'un cancer du sein quelques années après ta naissance, une première tragédie que tu as cependant réussi à surmonter avec ton paternel.

Bien qu'il t'aimait, il était très strict et très patriote. Lui-même a fait l'armée, mais n'a pas pu continuer à cause d'un problème de santé. À croire que c'était récurent dans ta famille... Mais ton destin fut tout tracé : dès que tu eus l'âge, tu entras dans l'armée, avec un désir de faire tes preuves et montrer à quel point tu ferais tout pour ton pays. Mais aussi pour rendre fier ton père et faire perdurer ce nom. On peut dire qu'il n'y avait pas grand chose qui comptait à part ça. Tu t'attachas très vite à tes supérieurs et à ton travail tout court. Tu étais ce soldat, qui ne disait jamais non aux ordres, même pour les plus ingrats. Peu importe si c'était long, dangereux, n'importe les heures que tu y passais, tu as donné ta vie à ta partie.

Il était important pour toi de bien te faire voir. Montrer que tu en voulais et que tu étais prêt à mourir pour ton pays. Un bon petit soldat comme on aimait t'appeler, bon garçon pour d'autres sous le ton de la moquerie voir du mépris. Tu es bien vu, souvent remercier, féliciter pour tes efforts et ton travail. Mais cela plaît pas à d'autres qui aimerait te voir trimer un peu plus. Alors on essaye de te rendre la vie impossible. Ce qui ne t'arrête pas, tu continues à faire la seule chose dont tu es capable... Ils n'ont jamais réellement réussi à te faire flancher, tu as toujours essayé de mettre ça de côté et de ne pas y faire attention. Tu te surprenais même à en remettre à leur place, lorsque leur seul sujet de conversation, était sur les hybrides. Toujours à critiquer, cracher leur venin. Se venter d'en avoir un ou deux, d’en faire faire ce qu'ils veulent. Tu ne pouvais pas t'en empêcher, de les reprendre, leur dire de penser à autre chose. Tu ne sais pas pourquoi cela t'était vital de réagir à ça. Au fond tu t'en fichais pas mal des hybrides, ils n'étaient pas l'objectif premier.

L'accumulation. Tu ne fis pas attention à ces regards mauvais envers toi. Tu faisais ton travail, tu écoutais simplement les ordres. Tu n'avais pas beaucoup de vie privé à côté mais tu t’en fichais bien. Rien d'autres importaient. Oh bien sûr, tu eus quelques aventures par-ci par-là, tu a eus même un chien, buddy, que tu avais sauvé de la SPA... Il a écoulé ses dernières années à tes côtés. Tu es loin d'être quelqu'un de parfait, bien au contraire. Mais aux yeux de ton pays et de tes supérieurs, tu te devais de bien faire. Tu avais réussi jusque-là, tu étais même prêt à monter de grade, après une énième félicitation pour tes années impeccable de service.

Tout bascula, alors que tu entrais doucement dans la quarantaine.

Tu ne sais pas si c'est ce soir-là que tu avais scellé ton destin, mais tu n'as pas pu les laisser faire. Même si tu te fichais des hybrides, voir des collègues s’en prendre à l'un d'entre eux, c'était au-delà de tes forces. Tu sais qu'ils auraient été capable de tout. Tu ne leur avais pas demandé pourquoi ils faisaient ça ce soir-là. Qui étais cet hybride, ce qu'il voulait et comment il est entré dans cette partie du bâtiment. Mais tu as décidé de le sauver et de l'aider. Sans aucune autre arrière pensée, tu pensais faire quelque chose de juste.

C'est à partir de ce moment-là que tout s’accélérait. Ce n’est plus de petits regards de travers que tu eus. Plutôt des messes basses, peu à peu, tu te sentis comme seul. Plus que d'habitude en tout cas, et comme d'habitude, tu essayais malgré tout de ne pas y faire attention.

Tu ne sais pas comment tu en étais arrivé là. Cette conversation était privée, et tu as tout entendu. Tu ne te rappel plus ce qu'ils se sont dit, comme si on t'avait extrait cette information de ta mémoire... Mais ce qui est sûr, c'est que c'était important et confidentielle. Encore les hybrides... Tu sais que sur le coup, tu as été surpris, voir choqué de ce que tu as appris. Tu as cru pouvoir t'en sortir comme ça, pourtant quand tu t'étais faufilé en douce, tu pensais qu'ils ne t'avaient pas entendus.

Et ce fut le trou noir.

Combien de temps étais-tu resté dans l'inconscience ? Tu ne sais pas. Mais ton réveil fut douloureux. Ton corps te lançait de partout et ta tête tournait affreusement. Lorsque tu reprenais enfin tes esprits... Tu te rendis compte enfin, que tu étais dans une cellule. Une cage. Tu ne te rendis pas compte tout de suite du vrai problème.

Ces oreilles.

Cette queue.

Un long moment de silence. Tu te demandais si tu rêvais, si c'était un cauchemar. Mais la douleur était bien réelle. Tu avais des oreilles, et une queue de chien. Tu avais tenté de tirer sur ces immondes choses sur ton crâne, mais cela te faisait atrocement mal.

Qu’est-ce qui se passe ?

Pourquoi ?

Tu as essayé d'avoir ds réponses, de les supplier de te laisser partir. De t'enlever ça. Mais tout ça était bien réel, ils t'avaient transformés en hybride. Tu ne le comprenais pas. Pourquoi toi ? Tu as toujours exécuté les ordres, dis oui à tout, sans rechigner. Tu as été un bon soldat, plus qu'ils ne l'auraient imaginés. Tu as fait un faux pas, c'est sûr, mais lequel ? Tu n'arrives plus à t'en souvenir.

À partir de ce moment-là, la peur t'as assaillis, tu n'arrivais plus à réfléchir.

Mais ton destin a été scellé ainsi. Tu es désormais un hybride, un être inférieur, voué à l'esclavage. Tu ne pensais pas que cela pourrait t'arriver un jour. Aucune explication, après un temps passé à reprendre tes esprits et encore des vérifications sur ton état mental et de santé en général, tu as été envoyé en vente. Toujours dans une incompréhension totale. Ton cœur battait si vite que tu avais eu envie de vomir. La peur t'envahissait toujours autant. Tu ne savais pas comment ça allait se passer.

Une statue de cire. Derrière ces barreaux, entouré d'hybrides, tu n'avais plus bougé d'un pouce. Le regard dans le vide, à te demandais ce que tu avais fait pour en arriver-là. Tu n'as jamais pensé à mal. Tu es un objet maintenant.

Malgré ce comportement étrange, voir inquiétant, quelqu'un s'était intéressé à toi. Mais pourquoi ? Tout ce dont tu te souviens de cette rencontre, c'est tout ce flot de sentiments qui t'avaient assaillis. Tout a défilé devant tes yeux, sans que tu ne réagisses. Le temps de tout encaisser et de te rendre compte de la situation.

C'est lorsque tu repris enfin tes esprits que tout semblait exploser en toi. Tu te pris tout dans la tronche, et cette fois, la peur ne t'avais pas paralysée. Elle te poussa à fuir. Fuir loin, sans que l'on ne puisse le prévoir. Elle te poussa à faire n'importe quoi, et ne pas réfléchir assez, pouvoir que l'on finira toujours par te retrouver, avec cette fichue puce. Mais tu as couru. Couru aussi loin et vite que possible, jusqu'à te fatiguer assez pour t'arrêter net, loin de la ville. Lorsque le silence était la seule chose que tu entendais, avec la brise et les craquements des feuillages... Tu sentis un profond vide au fond de toi.

Tu es seul.

Tu as beau avoir fuis, ta liberté ne te seras pas remis d'un claquement de doigt, et c'est dur de l'admettre.

Mais ta petite fuite ne s'en terminait pas là. Car c'est pendant cette dernière que tu croisas un autre hybride, visiblement reptile. Cela aurait pu être un confrère mais tu refusais encore de les considérer comme tel. Il n'avait pas eut l'air très amical et tu as eu raison de t'en méfier. Ces années à l'armée t'avaient permis de te défendre et ne pas succomber à ses coups, mais il avait réussi à te mordre grièvement au bras.

Tu as pu te débarrasser de lui, mais pas du reste du monde.

Ils ne leur fallait pas longtemps pour te retrouver et te soigner. Celui qui t'avait acheté, avait décidé de tout de même te garder. Tu n'avais plus qu'à continuer à jouer le bon petit soldat, malgré ces sentiments qui te déchiraient l'esprit et le corps. Là n'est pas ta place.

Combien de temps s'est écoulé ? Tu ne sais plus. Depuis cette mésaventure, tu ne te sens pas au top de ta forme. Tu as l’impression de sans cesse être suivi, observé. Tu as comme des hallucinations, mais est-ce vraiment ça, ou simplement la fatigue qui te fais faire n'importe quoi ? Tu essaies de garder ce rôle du soldat parfait, bien que désormais, ce soit l’appellation hybride qui est le plus juste. Mais tu ne veux toujours pas te considérer comme tel. Malgré ces oreilles et cette queue... Tu le refuses. Ils changeront forcément d'avis, non ?

Aujourd'hui, te voilà encore entre ces barreaux. Cela fait deux jours qu'il t'a rendu à cette boutique. Tu as l'impression de revoir les même têtes, mais ce n'est que ton imagination. La peur guette toujours en toi, mais n'est plus aussi forte que la première fois que tu es arrivé ici. Rien ne peut être pire que tout ce que tu as vécu jusque-là.

N'est-ce pas ?