(!) Plusieurs parties de l'histoire ont été mises sous hide, car les éléments peuvent être choquants (cannibalisme, violence, mutilation, gore).
La neige, les conditions extrêmes, ça connaît bien la famille qui t’a récemment accueilli dans son foyer. Né dans un tout petit village, dans l’Extrême-Orient en Russie, tu as tout de suite été bercé dans la neige, les coutumes du village, et surtout, le fait de coexister avec peu de personnes. Là-bas, tout le monde se connaissait, les rumeurs couraient vite, s’échappaient et les bonnes comme les mauvaises nouvelles arrivaient tout aussi vite aux oreilles de ceux qui voulaient bien tendre l’oreille. Ta venue au monde est donc rapidement arrivée, tellement vite qu’à peine sortis du seul hôpital du village, tout le monde était déjà au courant de cette naissance. Ils t’ont appelé Matvei, un joli prénom pour un joli poupon.
Ta vie n’a rien eu de bien fascinant jusque-là, tu as appris les règles en communauté, à aider les autres, à les accepter comme ils sont : bienveillance, écoute… Sauf pour certaines choses que tu allais découvrir bien trop tard. Tu es très vite devenu un grand garçon, mais foutrement chétif pour ton âge ; difficile pour toi d’aider les parents à ramasser le bois en grandes quantités pour le leur ramener.
Puis vint la crise d’adolescence, là où tout le monde se cherche plus ou moins. Tu avais quatorze ans quand tu as commencé à ressentir une certaine frustration, à vouloir dégager de ce village pour aller voir du monde. Oui, c’était jeune, mais tu souhaitais voyager, tu étais lassé des belles images dans les livres qu’on t’apportait. Tu as donc commencé à faire de nombreux caprices, en espérant que tes parents comprennent ton besoin urgent de travailler. Et ça t’a bien réussi ! Ils se sont cotisés, un peu dans ton dos, pour finalement t’offrir les meilleures vacances de ta vie. Tu avais une place pour aller au Japon avec une famille très proche de la tienne, mais il fallait prendre son mal en patience : un long voyage en bus, pour enfin arriver à un aéroport et y aller.
Tu es revenu au bout de trois semaines de pur bonheur. Émerveillé, changé, tu en voulais toujours plus, et tu as immédiatement commencé à refaire des caprices, sans que ceux-ci ne soient exaucés pour le moment. Dommage, parce que ça t’enchantait bien de continuer comme ça. La réalité est revenue au pas de course ; pas d’argent, pas de voyages. Pas de travail, pas d’argent. Mais du haut de tes quatorze ans, tu ne pouvais pas gagner ton propre argent, malheureusement.
Isolé de ce beau monde qui t’attendait dehors, tu n’as cessé de travailler pour tes parents, en plus d’être éduqué et de te chercher en même temps. Tu as longtemps remué les mêmes idées dans ta tête, pestant jusqu’à finalement te faire un ami et te rapprocher de lui sans plus attendre. Il te fallait de l’attention, il fallait que tu te changes les idées, et au fil du temps, tu as fini par développer des sentiments pour le garçon en secret. C’était frustrant, angoissant, parce que tu n’as jamais connu l’amour avant ça, pas même les petits bisous en secret à l’école.
Tu t’es remué sans cesse, encore et encore, frustré, dégoûté de ne pas savoir quoi faire de cet amour naissant et grandissant. Alors tu as fini par craquer, avouant tes sentiments pour ce garçon lors d’une fête pour ton anniversaire. Tu t’attendais à être rejeté, moqué, mais finalement, le secret a été gardé, et il t’a souri tendrement. Le lendemain, il a fait comme si il ne s’était rien passé, et tu as commencé à angoisser, à chercher son attention. Au fil d’une discussion, tu as compris qu’il hésitait, avant de finalement accepter d’essayer avec toi.
Tu as passé de beaux mois avec lui, l’enlaçant, le cajolant, avant qu’il ne se s’éloigne de toi, jusqu’à finalement proposer une rupture, tout simplement. Au moins, ça ne s’est pas fini dans une colère noire, il t’a expliqué que ça ne lui plaisait finalement pas, mais qu’il ne t’en voulait pas. Toi, malheureusement, tu étais encore fou amoureux de lui. Tu as longtemps pleuré, jusqu’à éveiller les soupçons de tes parents qui ont préféré te réconforter en espérant que ce ne soit pas ce qu’ils pensaient. Tu pensais qu’ils seraient assez compatissants, mais tu allais très vite te mettre le doigt dans l’oeil. Et alors que tu te pensais en sécurité avec eux, ils ont fini par être mis au courant avant que tu ne leur avoues, victime d’une vengeance puérile.
Ils ont cependant été assez patients pour attendre que tu ne leur avoues ce lourd fardeau qui ne cessait de te détruire la santé : tu ne mangeais plus, tu ne voulais plus sortir, ça attristait tes parents certes, mais la raison de ce coeur brisé ne les enchantaient pas. Alors tu as fini par craquer, tu as vidé ton sac devant eux… Et tu as compris qu’ils t’avaient tourné le dos depuis un long moment maintenant. Ils avaient déjà prévu un coup, ils étaient en quête d’argent perpétuelle, et une annonce est parvenue jusqu’à leurs oreilles, et ce, au plus profond de la Russie. Ils t’avaient déjà vendu à une firme en devenir qui leur avait filé un gros chèque, et ils avaient déjà prévu de fuir ce village pour aller en ville, sans toi bien sûr. Quand tu l’as compris, c’était déjà trop tard.
Tu as à peine eu le temps de fêter ton anniversaire qu’il a fallu que tu t’enfuies, trois jours après ton aveu. Des gens sont venus te chercher, ils étaient grands, forts, et surtout nombreux. Ils ont toqué à la porte, mais tu étais déjà parti depuis longtemps. Tu allais user de cette adrénaline pour fuir, prendre le bus et te tirer de là, vivre une vie de fuyard s’il le fallait mais il était hors de question qu’ils t’attrapent et qu’ils te fassent du mal. Tu as pris le strict minimum, c’est à peine si tu as pu enfiler tes baskets. C’était difficile, il faisait froid, tu avais à peine de quoi te couvrir mais tu as fui dans la forêt que tu connaissais plutôt bien, jusqu’à un certain point. Ici, tu étais persuadé qu’ils n’allaient jamais te retrouver : les arbres étaient grands, la forêt était bien dense, mais à chaque fois que tu espérais te poser, tu pouvais apercevoir des lumières inquiétantes au loin.
Mais ils ont fini par te retrouver, et ils ont recommencé à te suivre. Jamais tu n’as trouvé de bus, ou quelconque civilisation, traversant les paysages à perte de vue en espérant trouver un peu de béton pour venir t’y échouer. C’était ton vœu le plus cher, retourner à la civilisation, te cacher chez une famille, te faire passer pour leur chien s’il fallait, mais tu ne voulais pas te laisser faire.
Cependant, au bout de deux jours de plus, tu as fini par sombrer.
Effondré, épuisé, affamé et encore sous le choc de la trahison, ils n’ont eu qu’à te cueillir pour t’emmener avec eux. Tu leur avais donné du fil à retordre, mais maintenant qu’ils te possédaient, ils se sont empressés de te maîtriser pour t’empêcher de fuir de nouveau ; ils n’ont quand même pas pensé à te faire taire, et encore moins à te restreindre davantage, et l’un des hommes s’est retrouvé balafré par ta simple personne sous un élan de rage et de sauvagerie. Finalement, ils t’ont emmené jusqu’en Alaska à bord d’un bateau qui n’a cessé de tanguer sous ton agitation. Au loin, tu pouvais voir ces murs tristes, ce laboratoire aux allures miteuses, pour finalement rencontrer mes murs blancs et le sol froid du bâtiment qui allait t’accueillir pour bien des années, le temps de quelques tests.
Ton arrivée a été fracassante ; tu as tout de suite compris ce qu’ils allaient faire de toi, alors tu n’as cessé de te débattre, balafrant un autre homme, mordant un troisième jusqu’à ce qu’ils se décident enfin à te maîtriser pour de bon avec les outils adaptés. Les tranquillisants faisaient des ravages sur ton petit corps frêle, et ils ont immédiatement commencé à te changer au gré de leurs envies. Cheveux blonds rasés, jetés comme une jette une botte de paille au bétail, habillé d’une simple tunique, ils t’ont finalement jeté dans une prison aux allures de chambre d’hôpital, te gardant sous sédatifs le temps de te calmer, et de gagner ta confiance.
Et ils en ont mis du temps. Tu as longtemps grogné, juré en russe, tu as essayé de comprendre leurs conversations mais ton anglais était basique, risible, et tu n’as jamais réussi à interpréter leurs dires. Finalement au bout de longues semaines, complètement brisé et attristé, tu les as laissés s’approcher de toi pour qu’ils se décident quoi expérimenter sur ta petite bouille d’ange. Ils en ont profité pour te faire oublier ton nom, ton identité, ton toi du passé, puisque maintenant tu leur appartenais. Sur ton dossier, tout a changé, et ils ont trouvé ça logique de te nommer Zero. Tu étais l’un des premiers, du moins, à être encore vivants, alors ils s’amusaient à réutiliser le nom des défunts qu’ils donnaient comme ça, sans plus de cérémonie. Ils t’ont marqué, utilisés comme un vulgaire outil, mais jamais ils n’ont réussi à effacer cette lueur de sauvagerie ne demandant qu’à se venger d’une famille traîtresse.
Le temps passait, les scientifiques cherchaient quoi te faire, ils voulaient tester d’autres choses, tenter de jouer avec les gènes régénérant d’un animal d’une rareté qu’on connaît tous. Il leur a fallu un mois à peine pour se décider à quoi faire, avant qu’ils ne commencent les expériences petit à petit. Ils t’appâtaient avec un peu d’attention, de nourriture, non sans cacher la seringue dans leur dos. Au début, tu te laissais avoir, mais à chaque fois, tu te réveillais d’un sommeil profond et peu reposant avec des douleurs dans tout le corps. C’était désagréable, et très vite, tu as fini par voir des changements sur ton corps d’adolescent.
Ce n’était clairement pas la puberté qui faisait pousser ces ongles durcis aussi rapidement. C’était désagréable, oppressant, à tel point que tu en as hurlé à plusieurs reprises ; à ton insu, tu passais sur la table d’opérations, encore et encore. Six mois de tortures, six mois à jouer avec ton corps, ils n’ont eu aucun scrupule à te mentir et à jouer avec toi, jusqu’à ce que tu comprennes qu’ils faisaient des expériences sur toi.
Bien sûr, ça ne demandait pas d’avoir fait de grandes études pour comprendre que les cicatrices n’étaient pas là par hasard. Mais étrangement, tu guérissais assez vite, comme si quelque chose t’aidait à aller mieux, bien trop vite à ton goût. Pendant cinq autres mois, ils t’ont observé, ils t’ont tourné autour, mesuré, pris ta température, observé sous toutes les coutures avant que leur stylo ne vienne gratter les carnets. Ils cherchaient des tumeurs sous les scanners, des malformations non voulues, tu n’étais rien à leurs yeux si ce n’est un banal sujet d’expérience qu’ils étaient prêts à jeter pour la bonne cause si tu venais à crever de maladie, d’infection ou d’autre chose.
Ils n’ont rien remarqué, si ce n’est un changement de comportement. Une réaction naturelle face à la trahison qu’ils disaient, mais c’était une rage qui brûlait en toi et qui grandissait, qui te démangeait jusqu’au plus profond de ta moelle alors que tu nourrissais cette haine pour ta famille pour la rediriger vers eux.
Et alors que tu pensais qu’ils allaient te préparer une petite fête pour ton dix-septième anniversaire, c’était plutôt une expérience mémorable qu’ils étaient en train de planifier. Tout ça pour voir si ils avaient bien dosé les gènes avec lesquels ils t’ont hybridés. Tu t’es laissé avoir en pensant sérieusement qu’ils allaient enfin te lâcher pour ce jour spécial, mais c’est comme s’ils n’étaient même pas au courant de cette date. Après tout, ça ne les avançait pas dans leur travail.
Attrapé, emmené, tu restais accroché à l’homme en qui tu avais fini par développer une confiance. Il était la seule exception, et tu lui faisais confiance au point d’en fermer les yeux le temps d’être transporté. Tu t’attendais à une surprise, mais à la place, tu étais de retour dans une salle ignoblement blanche. À cet instant tu as compris, mais tu ne t’attendais pas à ce qu’ils se décident de te couper le bras droit sans même réfléchir aux conséquences.
Ramené dans ta chambre, tu n’as cessé d’hurler, le temps que l’anesthésie passe. Mais finalement, elle a fait effet bien trop tard, et tu t’es endormi pour une journée complète, leur laissant le luxe de faire de toi ce qu’ils voulaient. Ils venaient régulièrement te faire quelques diagnostics, s’occupant de ta plaie recousue sommairement, pour ne pas que ça s’infecte. Et quand tu t’es réveillé, tu as continué d’hurler, encore et encore, en espérant qu’ils arrêtent ce supplice et qu’ils te rendent ce qu’ils t’ont arraché de sang-froid. Les anti-douleurs ne te suffisaient pas, et les traitements te rendaient malade comme un chien. L’enfer était ici, et tu allais y rester jusqu’à ce que la vie daigne enfin te faire crever comme le chien que tu étais.
Le test continuait, les observations avec. Au bout de trois mois, rien n’a changé, pas même un début de guérison, et encore moins de repousse. Brisé, malmené par ces scientifiques, tu as pourtant tenté de refuser tout contact avec eux, en particulier l’homme avait qui tu avais noué une petite confiance. Au détour d’une conversation, tu les as entendus dire qu’ils avaient visé trop haut, qu’ils auraient dû t’arracher un doigt et rien de plus. Ils ont songé à te jeter et à te laisser crever dans la nature, mais finalement, tu leur était revenu beaucoup trop cher pour qu’on te laisse vivant hors du laboratoire. Leur expérience avait raté, ne laissant plus qu’une monstruosité, un cobaye sans réel nom qui ne voulait que vivre pour lui.
L’enfer continuait, encore et encore. Maintenant, tu étais majeur, et quand bien même ils semblaient n’avoir aucune once de pitié pour toi, ils n’ont cessé leurs conneries. C’était même pire, plus douloureux, plus intense, et tu devenais de plus en plus instable et mauvais, crachant ton venin inexistant à la gueule des blouses blanches qui t’apportaient de quoi survivre ; ils te gardaient en vie, alors que tu voulais quitter ce monde depuis longtemps, ou te baigner dans leur sang. Malheureusement, seul et chétif, sans ton bras droit, utilisé de tous les côtés, humilié en te retirant ce qui t’était le plus cher, tu ne pouvais pas t’en sortir. Et tu oubliais souvent leurs horreurs après une grosse colère, comme une amnésie soudaine qui te faisait perdre la tête dans tous les sens du terme, au point de définitivement oublier ta vie d’avant.
Sauf ce jour où tu as crevé ce pauvre animal pour survivre.
Ce souvenir persistant te cognait la tête, revenait encore et encore s’acharner sur toi, te rendant toujours plus agressif, au grand dam des scientifiques qui pensaient simplement que c’était à cause de l’expérience. Les mois sont passés, et ils ont fini par te laisser fréquenter d’autres sujets durant ce temps, puisque tes crises s’étaient calmées. Mais il auraient probablement dû te filer la chambre la plus éloignée, car petit à petit, tu as fini par leur transférer ta rage qu’ils ont incubée pendant des semaines. Pourtant tu ne leur a rien dit de spécial, tu les as griffés, tu t’es parfois battu pour t’affirmer et rien d’autre. Alors ils ont préféré t’isoler, après des mois à sévir dans le silence le plus total.
Mais le mal était déjà fait, ils avaient du poison dans leurs veines galvanisées par les crises fréquentes, les prises de tête et les règlements de comptes. Sans même les voir, tu les manipulais, tu en avais fait des marionnettes, des monstruosités comme toi, rongés d’une maladie encore inconnue de tous, et surtout de ta simple personne. Pour eux, tu étais le premier à avoir survécu à ces maux qui rongeaient les premiers patients. Ils ont voulu t’isoler un peu plus, mais ils avaient d’autres chats à fouetter, et il fallait s’occuper des autres malades avant de se décider de quoi faire de ta sale personne. L’envie de fuir était maintenant impossible à dégager, tu attendais qu’on vienne te chercher pour une énième observation.
Et ça a fini par payer. Dans la nuit, on est venu te chercher pour des analyses, et tu es parvenu à mettre à terre l’homme venu pour t’emmener avec lui. Tu as usé d’une ruse dont tu étais incapable d’user jusque-là pour te dégager, libérer tes collègues, et tu les as laissés foutre le bordel en cette froide nuit. Ils avaient bien fait de ne pas te nourrir grassement, puisque tu étais assez maigre pour te faufiler dans les conduits et te dégager de là. C’était une grande première pour eux, qu’un de leurs patients réussisse à s’échapper aussi facilement, et ils ont bien tenté de te retrouver, mais tu étais déjà évanoui dans la nature, t’accrochant désespérément à ce semblant d’espoir pour laisser tes jambes avaler les kilomètres, jusqu’à t’échouer au beau milieu d’une forêt dense.
Pour être sûr qu’on ne te retrouve pas, tu es venu te faire du mal pour jeter la puce qu’ils t’avaient greffée, en te fichant bien que la blessure s’infecte… Ce qui n’a pas raté.
Tu espérais sincèrement ne plus exister à leurs yeux, n’être qu’un simple patient qui s’est enfui, laissant un dossier prendre la poussière. Ton dix-neuvième anniversaire, tu l’as fêté en pleine nature, contraint de fuir et de changer de localisation tous les jours, puisque tu savais très bien qu’ils étaient quand même à ta poursuite. Sans la puce, c’était bien plus difficile, et tu avais appris durant ces cinq jours de fuite quand tu étais plus jeune à ne pas laisser de traces, si ce ne sont quelques cendres et touffes d’animaux dépecés.
Il a fallu que tu te démerdes, que tu réadaptes tes techniques puisque maintenant, tu te retrouvais avec un bras en moins. C’était difficile de te nourrir, et de survivre. Quand tu tombais, il te fallait un peu de temps pour te relever. Mais tu as fini par savoir te servir de ta tête, et de ton dernier bras. Tu as réussi à être plus intelligent que toutes ces créatures qui t’ont servies à rester un jour de plus en vie, et en forme ; tu as développé des capacités de survie au fil des mois, endurci par la nature, refusant de retourner à la civilisation pour le moment. Tes cheveux ont poussé petit à petit, peut-être plus vite que prévu, et tu continuais d’avoir des crises intenses, des rages de sang qui te poussaient à arracher à la nature une ou deux créatures de plus pour satisfaire un appétit insatiable, presque bestial.
La gueule en sang, des pensées noires envahissant ta tête, tu n’as cessé de te nourrir d’une haine de plus en plus viscérale envers les scientifiques qui t’auront fait vivre deux ans en enfer. Il fallait que tu deviennes plus fort, sous la crainte du moindre contact humain, sous la crainte d’être retrouvé. Quand tu voyais un vagabond dans ton territoire, tu le chassais, hurlant comme une bête pour l’intimider et lui faire comprendre que tu n’allais pas lui laisser le temps de te parler.
Finalement, les années sont passées, et tu es devenu presque un maître en survie, laissant tes pas te mener ici et là, te baladant sur ces terres hostiles sans savoir où tu te trouvais vraiment. Étais-tu toujours en Alaska, ou avais-tu changé de pays depuis le temps ? Tu n’en savais rien, et franchement, tu t’en fichais royalement. Mais la haine… La rage de vaincre, de te venger, ça n’a cessé de te bouffer. Plusieurs fois, tu as songé à revenir au laboratoire pour leur péter la gueule, mais tu as préféré viser plus gros : New York. Le siège. Là où tout semblait rose, là où l’hydre laissait ses têtes reposer. C’était risqué de te mesurer à ça, mais tu étais bien déterminé à te venger, un jour ou l’autre. Et ce, même si ça devait prendre cinquante ans. Pour le moment trop faible, et surtout trop seul, tu as fini par t’approcher de la civilisation pour reprendre un peu de contact avec.
Dans les quartiers mal famés de la ville où tu avais atterri, la rumeur d’une bête était parvenue très vite aux oreilles des habitants. Tu rôdais, jour et nuit, à la recherche d’un nouvel abri, jusqu’à finalement tomber sur un groupe de malfrats. Tu t’es immédiatement proposé pour rejoindre leurs rangs, bien déterminé à les mener en bateau pour atteindre tes objectifs. Il a fallu que tu te battes avec eux, jusqu’au sang parfois, pour leur prouver que tu n’étais pas facile à vivre. Ils ont fini par t’accepter dans leur clan, et tu n’as cessé de leur donner envie de se focaliser sur la firme qui prenait de plus en plus de place avec la création des hybrides.
Un an plus tard, en 2032, tu étais bien ancré dans le groupe, et tu avais déjà pas mal changé les objectifs de celui-ci. Tu pensais par ailleurs sincèrement que le laboratoire avait fini par abandonner les recherches te concernant, encore doucement naïf quant à leurs sombres desseins. Les hommes et les femmes du groupe se sont vite rendu compte que tu n’étais pas n’importe qui, mais la recherche était silencieuse, alors ils ont préféré ne pas en faire toute une histoire pour le moment. Vous étiez tous soudés, rackettant ici et là, ravitaillé par ta personne qui partait jusqu’à quelques jours de temps en temps pour ramener du gibier et manger autre chose que des conserves.
Puis il y a eu un gros trou, où tu as commencé à bien t’ancrer dans leurs habitudes. Tu n’as cessé de leur rendre service, et ils ont fait de même. Mais finalement, ce n’est qu’à tes vingt-six ans que tu as compris la supercherie : entre temps, ils ont eu vent de ton avis de recherche, et ont essayé de t’amadouer assez longtemps pour confirmer leurs doutes et t’épuiser en t’envoyant ici et là. Ils avaient besoin de fric, et les riches personnes qu’ils attaquaient ne suffisaient pas, le laboratoire en Alaska leur avait promis bien plus, et une protection non-négligeable. Le choix était donc vite fait, ils t’ont dénoncé, et ils ont empoché l’argent tandis que tu étais emmené par les hommes venus te chercher.
Tu n’as cessé d’hurler, de te débattre, tu n’as pas pu en finir avec ce clan que tu pensais être ta nouvelle famille. Tu t’es débattu, mais c’était déjà trop tard. Derrière les barreaux, tu n’étais plus vraiment dangereux, et ils faisaient bien attention à ne pas se laisser attraper par ta personne, comme si tu étais malade, mauvais pour eux. Et les crises sont revenues, tu n’as cessé de tourner en rond dans cette cellule qui était là en attendant que tu sois régulé et renvoyé en Alaska. Plusieurs fois, tu as essayé de t’échapper, mais la ruse ne suffisait plus, et ils faisaient en sorte de te calmer, t’observant pendant tes heures de sommeil en enfer pour tenter de comprendre les symptômes de la maladie que tu as répandue, et le moyen de transmission.
Quand tu étais debout, tu les entendais dire des horreurs sur toi. C’était horrible à entendre, horrible à supporter. Et tu allais tenter le tout pour le tout pour que ça s’arrête, faisant les yeux doux pour que leurs sanctions soient moins dures… Juste assez pour que tu puisses réussir à t’échapper à force de creuser les barreaux. Sous leur nez, tu t’es échappé et tu t’es de nouveau évanoui dans la nature. Courant, encore et encore, tu n’as cessé de fuir de nouveau le contact humain, convaincu que ça ne servait à rien et qu’il fallait que tu te débrouilles tout seul, vivre comme un parasite en te rapprochant de New York pour te venger tout seul.
Tu étais complètement fou à panser que tout allait bien se passer, mais tu ne pouvais plus te permettre d’accepter l’aide des gens, te battant avec eux, qu’ils aient de bonnes ou mauvaises intentions. Tu n’as cessé d’être plus sauvage, angoissé à l’idée qu’on te retrouve et qu’on ne te laisse plus le temps de t’échapper cette fois-ci. Alors tu t’es battu pour ta vie, tu as laissé des hommes et des femmes dans leur propre sang pour te frayer un chemin, évitant la population pour voguer vers New York, à ton rythme certes, mais bien déterminé à t’en prendre à Chroma. Ces fils de pute se retrouveront avec leur tête sur une pique un jour ou l’autre, tu t’es juré de le faire, et ce, en te fichant bien de l’éthique. Ils ne t’ont jamais respecté, et tu comptes bien faire de même pour eux. Malheureusement, sans argent, et sans même avoir eu le temps de passer le permis, il fallait que tu fasses ton bout de chemin à pied.
Ca t’a pris trois ans, mais tu es arrivé au Wisconsin. Ou plutôt, tu es allé t’y échouer. C’était long, mais enrichissant, nourrissant cette envie d’aller toujours au plus proche de New York. Aux États-Unis, tu te sentais moins en sécurité, mais il fallait que tu te débrouilles pour te venger, et ça commençait par te rendre petit à petit jusqu’à la ville. Tu savais très bien que tu étais encore loin, qu’il te restait du temps avant d’y arriver, mais tu restais déterminé, alimenté par une haine qui n’a cessé de grandir, encore et encore. Mais cette longue escapade t’a complètement épuisé, et il fallait que tu te trouves un abri, qu’importe où tu devais vivre.
Finalement, tu as jeté ton dévolu sur une ferme pour aller t’installer dans une grange avec les animaux. Montant tout en haut, tu as dû cohabiter avec la paille et les araignées pour pouvoir te créer un petit lit douillet et t’y installer le temps de reprendre des forces. Pendant un mois entier, tu as réussi à être complètement indétectable, te nourrissant de ce que tu pouvais comme des fruits et quelques rares légumes que la famille jetait car ils n’allaient pas convenir aux consommateurs. Mais ce que tu voulais, c’était de la viande, et les animaux qu’ils élevaient te faisaient foutrement saliver. Tu aurais pu céder, voler un mouton et le dévorer en une semaine mais ça allait faire trop d’échos, et la carcasse aurait vite mené jusqu’à toi, alors tu as fait avec ce que tu pouvais, vivant comme un véritable parasite jusqu’à ce qu’ils ne te découvrent.
Ils pensaient que tu n’étais là que depuis un ou deux jours, mais ils ont beaucoup gueulé sur toi, comme si tu leur faisais peur. Tu as grogné, montré les crocs, pour finalement t’enfuir de cette ferme pourtant accueillante. Tu t’étais reposé assez longtemps pour aller mieux, reprenant ta route pour recommencer et faire le tour des fermes le temps d’une nuit ou deux. Tu te sentais foutrement mal de dépendre de nouveau autant de la civilisation, mais c’est elle qui t’a permis de pouvoir arriver dans l’état de l’Ohio. Et alors que tu te pensais encore comme un fugitif, ton dossier a finalement été classé sans suite, Chroma pensant probablement que tu as fini par crever avec tes crises nombreuses et surtout, crever de ta propre folie.
Quelle aubaine pour toi, puisque tu as ainsi pu reprendre ta route en te sentant moins observé.
Malheureusement, ça n’allait jamais se finir. Après six ans à divaguer ici et là, tu t’es fait de nouveau attraper à tes trente-six ans. Mais aujourd’hui, ce n’était pas Chroma qui avait réussi à mettre la main sur toi, mais plutôt un laboratoire clandestin cherchant des cobayes pour créer leurs propres hybrides et rivaliser avec cette firme grappillant toutes les parts du marché. Bien sûr, tu ne leur as pas laissé le choix, mais eux non plus. C’était épuisant, mais l’adrénaline, la crainte de te retrouver de nouveau aux mains de scientifiques, c’est ce qui t’a permis de te démener, encore et encore.
La bataille aura été longue, épuisante, mais tu es parvenu à te dégager d’eux, t’éloignant de ces derniers avec une blessure à la jambe. Tu as longuement pesté, angoissé à l’idée que tu te retrouves avec une plaie ouverte et infectée les jours à venir. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé, puisque tu ne pouvais pas cautériser la plaie, et encore moins la désinfecter. Tu n’as cessé de te plaindre, jurant en russe, t’éloignant au beau milieu de la forêt en fuyant ton dernier agresseur qui refusait de te lâcher. Pourquoi ne voulaient-ils pas lâcher l’affaire ? Il y avait des gens bien plus faibles, plus faciles à amadouer, et toi, quand bien même tu te retrouvais avec un bras en moins, tu n’en étais pas moins agressif, combatif et indomptable. Sauvage créature retournant indéniablement à la nature pour continuer ses méfaits.
Finalement, il est tombé sur toi, et tu lui as fait payer cet affront. Il t’a épuisé, il t’a bouffé toutes tes dernières forces, mais lui s’est retrouvé la gorge déchirée, son regard vitreux rivé vers toi. C’était dégueulasse, horrible, tu refusais de le regarder alors que tu essayais de te dégager de lui, en vain. Pris d’une crise, tu refusais de rester là comme ça, avec une plaie béante et ignoble, l’odeur du sang envahissant tes narines, te faisant perdre complètement la tête et toute humanité sur le moment. Il te fallait des forces pour ne pas crever bêtement suite à un combat aussi impressionnant. Alors tu as fini par te dégager, fixant ta jambe te faisant atrocement souffrir.
Endormi pour quelques heures, tu t’es réveillé avec une douleur toujours plus intense, une forte fièvre. Les astres refusaient d’éclairer la forêt, mais tu parvenais à apercevoir les arbres grâce aux expériences que les scientifiques t’ont fait subir il y a bien longtemps maintenant. Petit à petit, tes yeux s’étaient adaptés, avaient même adoptés une forme plus féline. Tu n’as cependant pas réfléchi, t’éloignant de cette odeur de sang, de ce cadavre en proie aux charognards qui ne tardèrent pas à s’occuper de son cas.
Rampant, ou à deux pattes et demi, tu t’es traîné en direction de la civilisation. Les lumières au beau milieu de la nuit t’attiraient comme un insecte, et après presque une heure à t’épuiser et à escalader la maigre barrière, tu es allé t’échouer dans le jardin d’une femme. Complètement résigné à crever, à te faire arrêter ou à ce qu’on fasse n’importe quoi de toi, tu t’étais endormi de nouveau, incapable de te débattre. À nouveau, tu étais détruit, faible, tu t’attendais à ce qu’on vienne te crever mais finalement c’est une femme qui est venue jusqu’à toi, surprise jusqu’à même hurler pour te réveiller.
Terrorisée, tu as levé les yeux vers elle, la gueule en sang. Tu as beau lui avoir lancé un petit sourire, elle n’était que plus terrifiée et a même commencé à te mettre des coups de pied pour essayer de te faire fuir. Alors tu as tenté le tout pour le tout, tu as essayé de lui parler, de lui expliquer la situation, et sa bienveillance t’a laissé le temps de la convaincre que tu n’étais pas là pour les ennuis. Tu lui as conté ton histoire, et ton passé l’a touchée droit au cœur.
Elle ne supportait pas les horreurs qu’on faisait subir aux hybrides, et à ces pauvres humains qui se sont fait avoir par le laboratoire pour être transformés. Bien que méfiante, elle t’a quand même accueillie chez elle le temps de te soigner et de te laisser te reposer. Avec un bras et une demi-jambe en moins, elle doutait de ta dangerosité, alors elle a bien daigné t’offrir un bout du canapé, ainsi que ses services.
Pour la première fois depuis longtemps, tu as vu quelqu’un t’accorder sa confiance.
La tienne, cependant, tu as eu énormément de mal à lui céder. Tu avais peur que le lendemain, elle vienne te vendre au labo. Mais ça n’a jamais été le cas, alors tu as fini par être soulagé.
Les mois sont passés, et tu n’es toujours pas parti. Tu es resté avec elle, tu as fêté tes trente-sept ans avec elle, et tu vivais sous les yeux de l’autorité qui t’a pourtant oublié. Tu as appris à découvrir son histoire, à comprendre sa haine envers Chroma, et tous les laboratoires concurrents. Elle refusait d’avoir un hybride chez elle, de peur de lui faire du mal et ne pas lui offrir la vie qu’il souhaitait ; pourtant, elle t’a hébergé pendant une année entière, en sachant très bien que tu en étais devenu un. Cependant, sa bonté n’avait pas de fond, et elle a compris que tu dépendais énormément d’elle. Avec ton caractère, elle savait que tu ne supportais pas avoir besoin d’elle en permanence. Alors elle t’a fabriqué une prothèse pour ta jambe, et une pour ton bras, et elle s’est procurée une béquille pour t’aider à te déplacer, et à pouvoir aller chercher de toi-même un peu d’eau et de nourriture.
Bon, la prothèse du bras était plus esthétique que fonctionnelle, et tu avais l’air d’avoir le bras cassé en permanence… Mais tu l’as remercié, encore et encore, sans t’arrêter. Dès que tu la voyais, tu la couvrais de reconnaissance, d’attention, c’est bien la première fois depuis un long moment que tu as montré un semblant d’affection pour quelqu’un. Mais malheureusement, la paranoïa revenait bien souvent, et elle devait te supporter avec toutes tes crises qui revenaient sans cesse.
Tu as réussi à faire fi de ces horreurs jusqu’à ce que ça ne soit plus supportable, et ce, malgré les paroles rassurantes de la femme. Une nuit, tu as été pris d’une crise de panique intense. Dévoré par la paranoïa, tu t’étais mis en tête et surtout convaincu qu’elle faisait ça pour mieux te vendre et te filer à la poubelle. Tu as longtemps pleuré pour une peur qui n’avait aucune source, aucune raison d’exister, et pourtant, tu as fini par te tirer de là sans même l’avoir remercié une dernière fois de peur qu’elle ne finisse par te dénoncer. Tu as pris quelques affaires avec toi, et la douleur intense à ta jambe manquante t’a poussé à être persuadé qu’elle te faisait du mal à ton insu, qu’elle voulait que tu te calmes pour te rendre aux autorités compétentes après un an de repos.
Alors tu lui as tourné le dos, tu as fui cette pauvre maison, requinqué par ce long séjour chez elle. Tu as fui loin, très loin d’ici, jusqu’à une autre ville du pays où tu es resté quelques jours, et repartir en direction de l’état de Pennsylvanie. Encore une fois, tu ne voulais pas dépendre des autres, tu voulais être indépendant, mais à cette vitesse, tu n’allais pas très vite. Tu prenais parfois des bus, mais jamais tu n’étais seul, comme pour te rassurer que ce grand groupe de personnes allait te permettre de te cacher alors que tu étais un homme boiteux et inquiétant.
Tente-huit ans déjà. Cela fait plus de vingt ans que tu as fui ce laboratoire, et tu n’es toujours pas arrivé à New York. Tu étais frustré, angoissé à l’idée de ne jamais y arriver. Déposé à l’entrée d’une ville, tu es allé immédiatement dans les quartiers mal famés pour te trouver un abri, ou plutôt un sale squat pour t’y poser. Ta jambe te faisait toujours aussi mal, et tu ne comprenais pas pourquoi tu avais cette impression de rentrer de moins en moins dans ta prothèse. Peut-être avais-tu grossi à force de t’empiffrer dès que tu le pouvais, pris de crises te poussant à voler plus que le strict nécessaire pour arrêter d’avoir peur de ne rien trouver le lendemain, tu n’en sais rien, mais tu ne pouvais pas rester longtemps comme ça.
Parce que la douleur te bouffait petit à petit, tu voulais que tout ça s’arrête, pour de bon. Les semaines sont passées, et tu as finalement demandé de l’aide à une personne aux airs louches ayant accepté de t’aider. Tu ne lui faisais pas confiance, et tu étais prêt à décamper au moindre bail suspect. Ceci dit, il ne t’avait pas vendu, alors tu pouvais lui faire confiance, non ? C’était bizarre, mais tu t’es étrangement calmé, comme si l’aura de l’homme t’apaisait de force pour que tu ne pètes pas les plombs plus longtemps. Il te filait des anti-douleurs et tu allais bien mieux, te reposant chez lui le temps de comprendre ce qu’il t’arrivait.
Ce n’est qu’au bout de longues semaines d’observation que vous avez compris ce qui était la source de tes maux ; petit à petit, ta jambe manquante semblait te résorber, créer des tissus disgracieux pour finalement gagner du terrain, encore et encore. C’était effrayant, mais ça avait l’air d’intéresser l’homme qui s’était mis en tête de te faire un scan pour voir ce qui se tramait. Ta jambe repoussait, lentement et sûrement. Pour la première fois, les gènes de l'Axolotl qui s’étaient greffés aux tiens étaient en train de pleinement fonctionner.
Oui, tu avais une certaine régénération augmentée, mais c’était douloureux, et surtout, c’était capricieux. Tu as passé plus de temps à devoir soigner tes blessures infectées de toi-même plutôt que de laisser ton corps se remettre de lui-même de la blessure. Et là, c’était quelque chose de surréaliste qui se passait devant vos yeux. Au moins, ça expliquait tes douleurs atroces, cette gêne permanente qui grandissait et tes nombreuses crises. L’homme qui t’abritait semblait intéressé par ce phénomène, et accepta de te suivre le temps de voir l’évolution de cette prouesse.
Entre temps, quelques échos faisaient surface. À la radio, tu entendais des rumeurs comme quoi des hybrides tomberaient petit à petit malades, mais rien de bien alarmant. Au fond de toi, tu savais un peu que c’était de ta faute : tu t’étais battu de nombreuses fois avec des hybrides, et ça n’a pas toujours été une partie de plaisir pour eux, comme pour toi. Ton dossier commençait également à refaire surface, comme si… Comme si ces pauvres hybrides avaient soulevé ton affaire, qui s’est petit à petit ébruitée, un an plus tard.
Et quelle année de merde ce fut ! 2050, année de l’enfer, le retour dans les ennuis, et tu ne l’as compris que bien trop tard. L’homme louche était devenu un semblant d’ami, puisqu’il n’a jamais tenté de lever la main sur toi. Il t’a fallu un an pour que la repousse de ta jambe soit complète, et tu n’en étais pas vraiment fier. Lui, en revanche, n’a pas hésité à te féliciter. Cette nouvelle jambe était disgracieuse, étrange, les os semblaient plus mous, bien moins résistants, mais elle était là, fonctionnelle… C’était une vision de dégoût à tes yeux, une véritable prouesse pour l’autre homme…
Il voulait voir si tout allait bien, avant de passer à l’attaque.
Quand tu t’es réveillé au beau milieu d’une salle blanche, tu as immédiatement commencé à hurler. Ton ami est venu jusqu’à toi, a passé une main sur ton visage, brossé tes cheveux longs, il a tenté de te rassurer en te murmurant des mots doux, avant de te faire comprendre ce qu’il voulait réellement. Il savait que tu n’étais pas humain, et il espérait qu’avec toi, il allait pouvoir se faire beaucoup de fric. Dans la confidence, il est venu t’avouer qu’il faisait du trafic d’organes pour aligner les billets plus facilement. Et maintenant, tu allais pouvoir devenir sa ferme à organes, en espérant que tout repousse, bien sûr. Même si cela prenait du temps, il était persuadé que tu étais une source de revenus fiable.
En vérité, il ne savait pas pourquoi tes organes repoussaient, mais il avait compris que tu étais un hybride. Il avait sa petite idée, mais il voulait que ça sorte de ta bouche. Il voulait comprendre, apprendre ton histoire, découvrir ton nom, ton identité, et tes origines. Tu as longtemps pleuré, tu t’es débattu, et il a commencé à te torturer pour te faire tout cracher. Il insistait, se jouait de toi, et dès qu’il te forçait à ouvrir les yeux, c’était pour venir fourrer une lumière aveuglante devant tes yeux. Tout ce stress a déclenché une pousse d’une queue de tigre, douloureuse, fonctionnelle elle aussi. Et il continuait, encore et encore, à tenter de te faire cracher le morceau en t’arrachant les ongles, en te faisant hurler, en laissant cette odeur de sang planer dans la pièce et t’enivrer.
À force de te faire du mal, l’homme a fini par détruire tes yeux, et les déformer de manière permanente : tes pupilles se sont dilatées, et éclaircies. Tu voyais beaucoup moins qu’avant, mais surtout, tu étais maintenant sensible à la lumière, une véritable épave avec laquelle on s’amuse comme on veut. Pourtant, tu ne t’es pas résigné à te laisser faire comme la dernière fois. Il n’a jamais réussi à te faire cracher le morceau, mais il ne pouvait pas attendre plus longtemps avant de commencer son petit trafic avec toi.
Le lendemain d’une soirée horrible, tu t’es réveillé avec un rein en moins.
Et une cicatrice dans le dos.
Il comptait recommencer le soir d’après, mais tu ne l’as pas laissé faire. Tu as attendu qu’il vienne vers toi, qu’il baisse sa garde le temps d’un instant pour agir. La simple vue de cette personne que tu considérais comme un ami t’a mis hors de toi, et l’adrénaline est venue t’aider à le repousser. Tu t’es finalement jeté sur sa gorge, pour le mordre, pour le battre, le griffer comme tu le pouvais de tes ongles repoussant difficilement. Tu as labouré sa chair, tu l’as laissé crier, tu l’as laissé tenter d’appeler la police, mais finalement, une nouvelle crise est revenue. Le sang te rendit fou, t’affamait, tu bavais à grosses gouttes et tu t’es finalement défoulé sur lui.
Tu avais besoin de prendre des forces et de te venger, alors tu ne t’es pas arrêté, jusqu’à ce que tu prennes conscience de ton acte. Tu as relevé les yeux vers ce qu’il restait du cadavre, tu as manqué de tout recracher, mais tu t’es contenté de te reculer, tétanisé par ce corps encore chaud. Essuyant ta bouche, tu as baissé le regard vers ta main maculée de liquide vermeil, encore et toujours. À croire qu’à chaque fois que ça te prend, tu revis le jour où tu t’es nourri de cette pauvre créature, encore et encore, jusqu’à ce que la faim insatiable s’arrête.
Alors tu t’es redressé, complètement dégoûté. Maintenant, cette planque t’appartenait, mais plus pour bien longtemps puisque tu es allé prendre une douche pour te débarrasser de cette crasse. Tu t’es ensuite séché, tu as pris un sac, rassemblé tes prothèses, volé quelques biens et de la nourriture, et tu es parti sans un mot, le goût du sang encore bien présent dans ta gueule grande ouverte sous la panique.
Tu as couru, tu as marché, tu as voyagé, tu t’es échoué dans tellement de villes, de forêts, de plaines, tu as fini par perdre la notion du temps. Et tu étais tellement occupé à vouloir te venger de tous ces gens qui t’ont voulu du mal que tu n’as même pas eu conscience que tu as passé ton quarantième anniversaire déjà, bercé par les nouvelles inquiétantes concernant ton dossier et les hybrides toujours plus malades. Tu n’as donc pas fait ta crise de la quarantaine, à moins que ce soit ton état permanent depuis que tu es sorti du laboratoire. Il n’empêche que tu refusais toujours de faire confiance aux gens, tu en avais eu assez à tes yeux. Pourtant… Il fallait que tu trouves quelqu’un à New York qui daigne t’aider. Pestant, ça ne t’enchantait pas, mais c’était comme ça.
Enfin arrivé dans l’état de New York, tu te savais proche de la ville en elle-même. Tu t’es fait discret, tu as attendu doucement pour te rapprocher de cette ville cauchemardesque à tes yeux, qui allait bientôt brûler. Au détour d’une information, tu as compris qu’un mouvement pour les hybrides commençait à faire surface. Évidemment, tu t’es rappelé de cette pauvre dame qui t’a recueilli alors que tu n’étais qu’un piètre animal dans son jardin, et tu pensais retrouver des personnes comme elle. Tu n’as cessé de vagabonder, te dirigeant vers la ville pour espérer t’y échouer.
Mais plus tu marchais, plus tu sentais ta nouvelle jambe fébrile, presque cassante. Elle craquait sous ton propre poids lourd, et les muscles se tendaient difficilement quand tu devais forcer sur tes chevilles. Les tendons se disloquaient de façon désagréable, et tu savais que tu n’allais pas survivre longtemps avec elle sans qu’elle ne se casse. Ceci dit, tu avais fait le bon choix de garder tes prothèses et ta béquille au cas où, mais surtout parce que tu t’y étais attaché sentimentalement.
Un jour, tu as enfin vu les grattes-ciels à perte de vue. Tu as pu découvrir les clichés de New York, maintenant que tu étais enfin arrivé. Mais tu devais toujours faire profil bas, pour ne pas éveiller les soupçons, maintenant que tu étais véritablement en territoire ennemi. Quand tu voulais observer les bâtiments touchant le ciel, tu te devais de fermer les yeux immédiatement, à cause de la lumière trop forte. De quoi te frustrer, encore et toujours.
Épuisé par tes combats, tu t’es rendu au quartier général d’Unity, qui venait tout juste de naître. Tu leur as demandé de l’aide, et tu t’es effondré devant eux. Ils t’ont pris en charge, inquiets, et tu te fichais bien qu’ils te renvoient à Chroma… C’était peut-être ton but en même temps, de te retrouver au siège-même, pour t’emparer de la tête du dirigeant. Mais pour le moment, il fallait rester calme, et reprendre des forces.
Heureusement pour toi, les âmes qui se sont occupées de toi n’avaient pas de mauvaises intentions. Elles t’ont choyé, ont fait beaucoup d’analyses qui t’ont tout de même fait paniquer, mais ils te gardaient libre de tes mouvements. C’était étrange, de te sentir en sécurité avec eux. C’était tout aussi étrange de subir des prises de sang et des scanners sans avoir à être couché contre une table et maintenu par des liens. Alors tu t’es détendu, tu as fermé les yeux, et tu as pensé à autre chose, emporté par des songes, loin des regards accusateurs te cherchant pour la prime.
Tu ne pouvais cependant pas rester éternellement ici. Tu occupais une place, et c’était une place en moins pour un hybride plus mal en point que toi. Une femme est venue vers toi, elle était vieille, son regard était vide, mais son aura dégageait quelque chose de bienveillant. Elle tenait sa longue robe entre ses doigts manucurés, elle t’a souri, et t’a gentiment demandé si elle pouvait s’approcher de toi, et te toucher. À l’instant même où tu as senti ses doigts contre ta peau, tu as fermé les yeux, comme apaisé par sa présence.
Elle t’a proposé de te prendre en charge, de t’offrir un toit, à manger, et une protection. Elle t’a assuré qu’elle était connue ici, que jamais elle ne lèverait la main sur toi. Elle s’est confiée à toi, et tu as fait de même, pour voir si le courant passait bien. Elle a vite compris que tu n’étais pas n’importe qui, et tu as fini par accepter sa proposition. Elle t’a pris dans ses bras, avant de t’emmener avec elle jusqu’à son appartement dans le Queens. Ce n’était peut-être pas le meilleur quartier, mais là-bas, tu pouvais rester caché, et planifier ta vengeance petit à petit.
Malheureusement, tes crises à répétition t’ont beaucoup ralenti dans ta vengeance, mais la vieille dame était toujours là pour te consoler. Comme une mère attentive pour son enfant, elle n’a cessé de te cajoler. Elle t’a redonné un peu d’espoir, un peu d’affection, et surtout, c’est elle qui t’a aidé à te reconstruire petit à petit. Plus les jours passaient, plus tu t’ouvrais à elle, et elle t’a offert des lunettes de soleil à ta vue pour ton anniversaire. Avec ça, tu n’avais plus à te soucier de la gêne concernant la luminosité, et surtout, tu pouvais enfin voir clairement les taches de couleur comme avant. C’était une renaissance pour toi, mais surtout, elle avait prévu encore mieux pour ton anniversaire.
Un nom.
Une identité.
Hunter.
Tu n’as cessé de la remercier, de la couvrir d’affection. Elle était un second ange venu veiller sur toi, et tu t’es juré de ne plus la quitter. Tu t’es juré de la protéger, et ce, malgré ton bras en moins et cette putain de jambe qui te faisait parfois défaut à cause de sa fragilité. Tu lui as souri, et tu es finalement parti dormir, épuisé par ces émotions soudaines.
Hunter… C’était un nom qui t’allait foutrement bien. Ceci dit, ça ne t’a pas fait honneur ce jour-là, en 2055. Quarante-quatre ans, tu commençais à t’épuiser doucement. Peut-être que l’Axolotl te gardait en bonne santé ou presque, mais tu n’as pas su échapper à cette bataille qui a éclaté entre hybrides. Tu voulais simplement rentrer chez toi, mais ils t’ont pris à part, ils sont venus t’intégrer dans cette longue lutte. Ils voulaient s’en prendre à toi, aux autres, et ils ont jeté leur dévolu sur toi, en te pensant faible. Les coups ont été violents, et tu les as rendus tout aussi violemment ; malheureusement, ta jambe, jusque-là en quasi bonne forme, s’est retrouvée cassée en quelques coups de pied. Tu as hurlé, tu t’es débattu, et finalement, tu les as fait fuir à coups de griffures et de morsures, à deux doigts de péter les plombs avec cette odeur de sang te donnant envie de venir goûter à la chair d’une faim insatiable.
À nouveau, tu as dû te traîner jusqu’à la maison, boitant, t’effondrant devant le bâtiment pour finalement monter comme un grand garçon. Non, ça n’a pas été facile, et ça a été encore moins facile de te dire que la femme n’était pas là pour t’aider et t’ouvrir. Tu as dû te faire violence, mais tu es rentré. Tu es allé te poser dans ta chambre, en essayant de te calmer. Ton erreur ? Tu aurais dû te laver la main et la gueule, car l’odeur du sang n’était que plus forte, presque appétissante.
La petite dame est revenue un peu plus tard, et a tout de suite senti cette horrible odeur de sang dans ses narines. Elle a couiné, crié presque, suivant le parfum morbide pour finalement entrer dans ta chambre. Elle ne savait pas ce que tu faisais, mais les bruits significatifs de mastication, cet horrible son quand l’os craque, ça lui a mis la puce à l’oreille. Alors elle a hurlé, elle a essayé de te ramener à la raison mais c’était déjà trop tard. Elle a dû appeler les médecins d’Unity, puis te maîtriser le temps qu’ils arrivent. Ils sont arrivés aussi vite que prévu, mais tu as tenté de l’agresser et de la repousser en vain. Sa petite voix triste te faisait petit à petit prendre conscience de ton acte, mais sûrement pas assez pour que tu sois calmé à l’arrivée des secours.
Ils ont dû te mettre sous sédatifs, t’emmener avec eux jusqu’à leur salle d’opération. C’était risqué, mais il fallait qu’ils essayent de sauver ta jambe. Cependant, quand ils sont arrivés, ils ont tout de suite compris qu’elle était irrécupérable tant tu l’avais attaquée… Et après de nombreux scans, ils ont compris que ta jambe aurait été trop fragile pour fonctionner de nouveau. Tes os étaient en fait du cartilage depuis le début, et ça a été un miracle qu’elle ait tenue jusque-là. Alors ils ont préféré t’amputer proprement, te recoudre, et surtout, soigner cette vilaine blessure pour t’offrir une prothèse sommaire pour ta jambe, et ton bras.
C’était bizarre de pouvoir bouger librement ce bras oublié depuis longtemps. Tu as dû avoir une rééducation, et surtout, des traitements adaptés pour tes crises à répétition. Ils pensaient que des anti-dépresseurs suffiraient, mais ce n’était pas ça qui te rongeait au plus profond de toi. Alors ils ont changé de traitement, un bien plus simple et agréable à supporter. Aidé par la vieille dame, tu t’es petit à petit acclimaté à ce renouveau, presque heureux d’avoir retrouvé un bras, bien qu’il soit d’une bien moindre qualité que les prothèses avec un gros budget. Pour toi, c’était amplement suffisant.
Malheureusement, ce bonheur n’a pas pu durer. À tes quarante-sept ans, tu as fini par faire un rejet très violent de la prothèse à ton bras. Elle t’empoisonnait presque, pour aucune raison valable, puisque tout allait bien jusque-là. Tu n’as pas voulu alerter la vieille dame, alors tu es parti en prétextant aller faire des courses pour retourner au QG en pleurs. Tu es venu t’effondrer devant eux, souffrant, malade, en leur suppliant de te la faire retirer.
Tes gènes faisaient n’importe quoi de façon aléatoire, et c’est probablement pour ça que tu as tenu aussi longtemps sans que tout ne dégénère. Ils t’ont donc retiré la prothèse, laissant derrière de vilaines cicatrices, mais tu t’en fichais bien, tu étais déjà assez détruit. Ils ont préféré te garder un petit moment pour surveiller tes réactions, et tenter de comprendre pourquoi ça déconnait de temps en temps.
Tu aurais pu rester tout docilement, mais finalement, apeuré à l’idée qu’on fasse de nouveaux tests sur toi, tu es retourné chez la femme avant la fin de ta garde ; ils ne pouvaient pas vraiment te retenir, puisqu’ils savaient que tu allais probablement péter les plombs, au vu de ce traumatisme ancré en toi. C’était même un exploit que tu ne sois pas parti plus tôt.
Deux ans plus tard, tu n’étais pas plus heureux, au contraire. Ton état mental s’est aggravé, et après avoir pris du recul, tu t’es demandé pourquoi tu ne t’es toujours pas ôté la vie. Tu aurais dû crever il y a bien longtemps, mais jamais tu n’as eu la force d’en finir avec ta vie misérable. La haine te rongeait toujours, et l’envie de te venger était plus forte que l’envie de crever. Tu voulais voir Chroma sombrer, crever avec toi, et tu voulais surtout t’occuper personnellement du cas de Melvin Curtis. Ce sale chien directeur de Chroma, tu allais lui faire regretter d’avoir choisi de reprendre la firme, et céder à tes pulsions pour te délecter de sa chair putride et le faire disparaître pour de bon.